Le journaliste Mathieu Lindon raconte la vie dans son journal, Libération, au moment où il a hésité à en partir.
Partir ou rester. Les journalistes ont le choix, suite au changement d'actionnaire majoritaire, entre rester ou partir. La clause de cession permet de quitter le journal, Libération, avant le 28 novembre 2014 avec comme indemnités un mois de salaire brut par année de présence. Mathieu Lindon est au journal depuis plus de trente ans. Il hésite, partir ou rester, puis il n'hésite plus, il reste. Jours deLibération est son carnet de bord du vendredi 7 novembre 2014 au vendredi 6 février 2015. Plusieurs portes d'entrée : plongée dans le monde de l'entreprise ; prises de notes d'un écrivain singulier ; dévoilement d'un univers pour les lecteurs familiers de Libération ; déclaration d'amour à un journal. Mathieu Lindon donne les prénoms des plumes et nous complétons par nous-même. Il écrit "Béatrice" et on se dit Béatrice Vallaeys ; il écrit "Gérard" et on se dit Gérard Lefort ; il écrit "Claire" et on se dit Claire Devarrieux. Et ainsi de suite.
Ce qui reste captivant, ce n'est pas eux, c'est son regard sur eux. On retrouve son humour, son goût du paradoxe, son intelligence. Il donne toujours l'impression de tout dire en sous-entendant qu'il pourrait en dire beaucoup plus. L'auteur de Ce qu'aimer veut dire (prix Médicis, 2011) se traite comme ses autres personnages. Il se comprend sans forcément se pardonner.
On se pose la question tout du long : Libération est-il un journal comme les autres? Mathieu Lindon est entré à Libération en 1984, après avoir débuté au Nouvel Observateur. Il écrit sur les livres le jeudi et sur l'actualité le samedi. Mathieu Lindon a vu son journal se transformer, jusqu'à aujourd'hui. Il commence son carnet de bord, sur le quotidien du journal, le vendredi 7 novembre 2014. Les locaux se vident, et se videront de plus en plus, suite au plan de départs. À un moment, il dit : "C'est mon époque qui s'en va." C'est la phrase la plus poignante de Jours de Libération. Partir ou rester et, quand on part, comment partir? Il y a ceux qui font un pot, ceux qui envoient un courriel collectif. Il y a "Gérard de Cinéma et de la Rédaction en chef" qui dit à ses voisins de bureau : "Bon, au revoir." C'est tout.
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Les problèmes de copinage
Deux raisons de s'interroger sur sa place dans le monde de demain quand on est journaliste littéraire : "journaliste" et "littéraire". Quel est le pire? Mathieu Lindon observe, en écrivain, un univers en plein changement. Est-ce qu'il y aura une prime donnée à ceux qui provoquent le plus grand nombre de clics sur le Web par des positions outrancières? Est-ce qu'on pensera un journal à l'aide d'études de marché où les lecteurs sont testés? Plaire à n'importe quel prix. L'auteur d'En enfance (POL, 2009) pose sur la table les caractères, les grandes questions, les scènes avec l'air de ne pas y toucher. Les problèmes de copinage dans les médias semblent une des rares choses immuables dans un monde en mutation. "À l'époque où les petits services entre amis étaient presque une règle au Nouvel Observateur, on raconta qu'un journaliste à qui Jean Daniel avait demandé une recension de tel ouvrage avait protesté, est-ce que ça ne risquait pas de sembler du copinage? "Du copinage? aurait répondu le directeur indigné. Pas du tout, c'est un véritable ami."" On rit beaucoup, dans Jours de Libération. Mathieu Lindon décide donc de rester à Libération. "Tant que je suis si libre au journal, de quoi me libérer?" et "Je suis content dans mon trou et content d'en sortir, ce serait moins agréable si j'y étais enterré."
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