"J'ai l'opinion, il a le parti", a noté Alain Juppé, dimanche dernier. Réplique du tac au tac de Nicolas Sarkozy : "Il m'est arrivé de dire la même chose lorsque je soutenais Édouard Balladur contre Jacques Chirac, avec le résultat qu'on connaît". Pas besoin d'être un expert en politique pour comprendre qu'en cherchant à balladuriser son rival, le patron des "Républicains" a voulu le ranger, du même coup, dans la catégorie de ces éternels loosers dont la popularité est une de ces bulles de savon qui, nécessairement, éclatent au rude contact des réalités électorales.
Pas de quoi fouetter un chat, a priori, ni de mobiliser les dernières ressources de la science politique. Ces échanges qui restent à fleurets mouchetés peuvent même sembler d'un registre trop classique pour mériter qu'on y revienne en détail. Et pourtant... La petite blague enrobée de vacherie qu'a lâchée Nicolas Sarkozy sur France 2, au lendemain de l'enterrement du l'UMP, est sans doute ce qu'il a dit de plus curieux – et du même coup, de plus intéressant - au cours de la dernière période.
En 1995, Chirac n'avait pas tout le RPR à sa botte
Il y a dans cette démonstration codée quelque chose qui cloche et qu'on ne peut comprendre qu'à condition de reprendre cette longue histoire dans l'ordre, en commençant par les faits. Si au 1er tour de la présidentielle de 1995, Jacques Chirac a devancé d'une courte tête son ex-ami de trente ans, ça n'est sûrement pas parce que le RPR était à sa botte. Le maire de Paris n'était plus alors que le chef d'une formation de beurre dont les effectifs avaient fondus au grand soleil de la division et qui n'avait plus alors les moyens de promouvoir quiconque à la tête de l’État.
Mieux, c'est la liberté retrouvée dans un isolement assumé qui lui a permis de mener, à sa main, une des campagnes les plus baroques de la Ve République. Cette campagne victorieuse n'opposait pas une légitimité partisane à une légitimité d'opinion. Elle faisait au contraire le pari que l'opinion – la vraie – n'était pas là où le croyait l'adversaire et qu'en prenant celui-ci à revers, sur le thème de la fracture sociale, il était possible de démontrer qu'il n'était pas le candidat du peuple mais celui des élites.
Sur ce terrain-là, on aurait pu imaginer que Nicolas Sarkozy vienne briser quelques lances avec le maire de Bordeaux. S'il ne l'a pas fait, ce n'est pas par pudeur ou par souci de ne pas blesser son rival – comme si c'était son genre! - mais parce qu'il demeure, quoi qu'il arrive, d'un classicisme old fashion qui ne manque pas d'étonner chez un homme qui prétend être précisément l'inverse.
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La loi de la primaire, c'est celle de l'opinion
Tout cela n'est pas arrivé par hasard. La loi de la primaire, c'est celle de l'opinion et non pas celle des militants. Le ressort de cette procédure n'est pas l'orthodoxie partisane mais la juste compréhension des attentes d'un électorat plus large et plus pragmatique, soucieux de se choisir comme champion le mieux à même de remporter la mise lors du scrutin décisif. En ce sens, Alain Juppé, s'il dit juste et si en effet l'opinion continue à le porter comme le prétendent les sondages, est un produit bien plus adapté à une primaire ouverte que ne l'est un chef de parti, tel que Nicolas Sarkozy.
Dans leurs échanges, par médias interposés, le plus lucide des deux n'est peut-être pas celui qu'on pense. Quand il revient sur la bataille de 1995, le patron des nouveaux "républicains" ne semble pas comprendre, par exemple, que si Edouard Balladur et Jacques Chirac s'étaient affrontés dans une primaire ouverte, neuf mois avant la présidentielle, c'est le premier, fort de sa popularité et de sa réputation, qui l'aurait sans doute emporté.
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Le congrès de La Villette, samedi dernier, n'a pas été le sacre dont il avait pu rêver. Dans la tradition de la droite, un pareil événement est nécessairement un rendez-vous fondateur dont découle toute la suite, sous un même étendard. Or, ce fut au contraire l'occasion d'une simple mise en jambe pour tous ceux qui pensent concourir lors de la compétition prévue à l'automne 2016. Comme chef du parti, Nicolas Sarkozy devait rassembler. Comme futur candidat à la primaire, il devait cliver en montrant l'originalité de son projet. En voulant faire les deux à la fois, il a tout fait à moitié, au risque désormais, dans ce voyage au long cours, de ne plus avancer qu'à la godille jusqu'à épuiser le soutien, comme dirait Juppé, du parti et de l'opinion à la fois.
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