Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Pour répondre à l'invitation lancée par Jeff dans un autre topic, je me permets d'exposer ici mes griefs à l'encontre du Conseil constitutionnel.
Un peu d'histoire, tout d'abord. En réaction aux dérives connues sous les IIIe et IVe République, les rédacteurs de la Constitution de 1958 décidèrent de limiter le domaine de compétence du pouvoir législatif (c'est-à-dire le parlement, à travers les lois), le reste relevant du pouvoir exécutif (c'est-à-dire le gouvernement, à travers les décrets et les arrêtés). L'article 34 de la Constitution énumère le domaine de compétence du pouvoir législatif, et l'article 37 de la Constitution prévoit que "les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire".
Le Conseil constitutionnel fut créé pour faire respecter cette délimitation. A l'origine, son rôle se limitait donc à contrôler les équilibres entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif (concrètement, il lui était demandé d'annuler les lois votées par le Parlement en empiétant sur le domaine de compétence du pouvoir exécutif).
En 1971, le Conseil constitutionnel rendit une décision "Liberté d'association" dans laquelle il déclara que le préambule de la Constitution de 1958 avait une valeur constitutionnelle, comme le reste de la constitution. Or ce préambule fait notamment référence à des principes généraux contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Ces principes acquièrent ainsi une valeur constitutionnelle. Le préambule de la Constitution de 1946 faisant lui-même référence à des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République", sans les définir, lesdits principes acquièrent eux aussi une valeur constitutionnelle.
Ainsi le Conseil constitutionnel s'autorise-t-il désormais à annuler des lois qu'il estime contraires aux principes contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux principes contenus dans le préambule de la Constitution de 1946, ou encore à ces fameux "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" que le Conseil constitutionnel sort de son chapeau quand ça lui chante...
Le rôle du Constitutionnel s'élargit donc, il n'est plus qu'un simple juge départiteur de compétences. A priori, cela n'allait pas de soi, puisque de nombreux juristes qualifièrent cette décision de "coup d’État juridique"...
La Conseil constitutionnel apparaît ainsi comme un défenseur des libertés, face à l'arbitraire éventuel du parlement et/ou du gouvernement. C'est bel et beau... Sauf que tous ces jolis principes que le Conseil constitutionnel est désormais chargé de défendre sont parfois très généraux, très subjectifs.
Nous avons notamment évoqué la question fiscale. Le Conseil constitutionnel se permet d'annuler des lois qu'il juge contraires au principe d'égalité devant l'impôt. Mais qu'est-ce que l'égalité devant l'impôt ? C'est très subjectif. Chacun peut définir ce principe de façon différente selon sa sensibilité politique. Par exemple, il y a quelques années, le Conseil constitutionnel avait déclaré que le principe d'égalité devant l'impôt implique un impôt sur le revenu progressif : ce n'est pourtant pas évident...
De ce fait, le Conseil constitutionnel devient une sorte de troisième chambre du parlement, on pourrait même parler de parlement des juges... Or je crois que les membres du Conseil constitutionnel n'ont pas la légitimité pour définir de si grands principes : ce faisant, ils quittent leur rôle de juristes pour faire de la politique.
Ce défaut apparaît également à la Cour européenne des droits de l'homme, qui est elle aussi chargée de définir des principes très subjectifs et très politiques.
Un peu d'histoire, tout d'abord. En réaction aux dérives connues sous les IIIe et IVe République, les rédacteurs de la Constitution de 1958 décidèrent de limiter le domaine de compétence du pouvoir législatif (c'est-à-dire le parlement, à travers les lois), le reste relevant du pouvoir exécutif (c'est-à-dire le gouvernement, à travers les décrets et les arrêtés). L'article 34 de la Constitution énumère le domaine de compétence du pouvoir législatif, et l'article 37 de la Constitution prévoit que "les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire".
Le Conseil constitutionnel fut créé pour faire respecter cette délimitation. A l'origine, son rôle se limitait donc à contrôler les équilibres entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif (concrètement, il lui était demandé d'annuler les lois votées par le Parlement en empiétant sur le domaine de compétence du pouvoir exécutif).
En 1971, le Conseil constitutionnel rendit une décision "Liberté d'association" dans laquelle il déclara que le préambule de la Constitution de 1958 avait une valeur constitutionnelle, comme le reste de la constitution. Or ce préambule fait notamment référence à des principes généraux contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946. Ces principes acquièrent ainsi une valeur constitutionnelle. Le préambule de la Constitution de 1946 faisant lui-même référence à des "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République", sans les définir, lesdits principes acquièrent eux aussi une valeur constitutionnelle.
Ainsi le Conseil constitutionnel s'autorise-t-il désormais à annuler des lois qu'il estime contraires aux principes contenus dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, aux principes contenus dans le préambule de la Constitution de 1946, ou encore à ces fameux "principes fondamentaux reconnus par les lois de la République" que le Conseil constitutionnel sort de son chapeau quand ça lui chante...
Le rôle du Constitutionnel s'élargit donc, il n'est plus qu'un simple juge départiteur de compétences. A priori, cela n'allait pas de soi, puisque de nombreux juristes qualifièrent cette décision de "coup d’État juridique"...
La Conseil constitutionnel apparaît ainsi comme un défenseur des libertés, face à l'arbitraire éventuel du parlement et/ou du gouvernement. C'est bel et beau... Sauf que tous ces jolis principes que le Conseil constitutionnel est désormais chargé de défendre sont parfois très généraux, très subjectifs.
Nous avons notamment évoqué la question fiscale. Le Conseil constitutionnel se permet d'annuler des lois qu'il juge contraires au principe d'égalité devant l'impôt. Mais qu'est-ce que l'égalité devant l'impôt ? C'est très subjectif. Chacun peut définir ce principe de façon différente selon sa sensibilité politique. Par exemple, il y a quelques années, le Conseil constitutionnel avait déclaré que le principe d'égalité devant l'impôt implique un impôt sur le revenu progressif : ce n'est pourtant pas évident...
De ce fait, le Conseil constitutionnel devient une sorte de troisième chambre du parlement, on pourrait même parler de parlement des juges... Or je crois que les membres du Conseil constitutionnel n'ont pas la légitimité pour définir de si grands principes : ce faisant, ils quittent leur rôle de juristes pour faire de la politique.
Ce défaut apparaît également à la Cour européenne des droits de l'homme, qui est elle aussi chargée de définir des principes très subjectifs et très politiques.
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Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Très intéressant. J'ignorais cette genèse. Je suis entièrement d'accord avec toi. Le CC outrepasse parfois son rôle.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
La Constitution de 1958 était déjà, à son adoption, mal écrite, mal pensée, seulement adaptée à sa propre époque. La Constitution n'aurait jamais du reprendre le Préambule de 1946, qui est un concentré de "droits-créances" : droit d'asile, droit d'obtenir un emploi, droit à la sécurité sociale...
Elle aurait du se concentrer aux libertés fondamentales : expression, circulation, propriété, résistance à l'oppression...
Un article de Wikiberal le résume très bien :
Elle aurait du se concentrer aux libertés fondamentales : expression, circulation, propriété, résistance à l'oppression...
Un article de Wikiberal le résume très bien :
Bref, la Constitution de 1958, est d'inspiration marxiste et c'est bien ça son problème. Une constitution, pour être efficace, doit être la plus légère possible, elle doit concrétiser les seules libertés fondamentales, et se cantonner à la seule séparation des pouvoirs. Les droits sociaux et économiques n'ont rien à faire dans une constitution, sinon la Cour Constitutionnelle peut censurer n'importe quel texte.Les libéraux distinguent entre les droits de faire quelque chose (par exemple le droit d'expression), et les droits qui impliquent que d'autres fassent quelque chose pour vous, en pratique par la coercition exercée par l'État (par exemple le droit au logement). On appelle parfois les premiers « les droits de », et les seconds « les droits à ». Raymond Aron parlait de droits-libertés et de droits-créances. La déclaration des droits de l'homme de 1789, d'inspiration libérale, contient surtout des droits du premier type, alors que celle de 1946, d'inspiration marxiste, contient surtout des « droits à ».
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
"Bref, la Constitution de 1958, est d'inspiration marxiste"
Ah oui, carrément...
Ah oui, carrément...
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Bien sûr que oui. La Ve République est le fruit d'une collaboration entre gaullistes et communistes, avec quelques emprunts pétainistes-vichyistes (comme la sécurité sociale).
Cela dit, c'est dommage que tu n'aies retenu qu'une seule phrase de mon message. Ta critique est intéressante, elle rejoint celle formulée par la pensée libérale (je doute que tu perçoives cela comme un compliment mais c'en est un).
Cela dit, c'est dommage que tu n'aies retenu qu'une seule phrase de mon message. Ta critique est intéressante, elle rejoint celle formulée par la pensée libérale (je doute que tu perçoives cela comme un compliment mais c'en est un).
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Je suis tout à fait d'accord avec la distinction entre les droits-libertés (droit de) et les droits-créances (droit à). J'ignore si cette distinction est d'inspiration libérale, mais je l'approuve totalement.
Cependant, il est faux de dire que la Constitution de 1958 est d'inspiration marxiste. Je rappelle ce que j'ai dit plus haut : dans l'esprit des rédacteurs de la Constitution de 1958, il n'était nullement question d'accorder une quelconque valeur constitutionnelle au préambule, et donc à la DDHC et au préambule de 1946. Seule une décision totalement inattendue du CC a bouleversé l'ordre des choses.
Cependant, il est faux de dire que la Constitution de 1958 est d'inspiration marxiste. Je rappelle ce que j'ai dit plus haut : dans l'esprit des rédacteurs de la Constitution de 1958, il n'était nullement question d'accorder une quelconque valeur constitutionnelle au préambule, et donc à la DDHC et au préambule de 1946. Seule une décision totalement inattendue du CC a bouleversé l'ordre des choses.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
N'importe quel étudiant en droit aurait été capable d'affirmer que tout texte auquel renvoie une constitution a également une valeur constitutionnelle. Le préambule de 1958 accorde une reconnaissance officielle à la DDHC et au préambule de 1946.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Un autre exemple sur lequel le CC a outrepassé ses droits en matière fiscale : il a décidé que tout impôt au taux supérieur à 60% sera confiscatoire, et donc interdit. Bon, après on pourrait dire que le cas a aussi eu lieu en Allemagne (l'administration fiscale ayant refusé de suivre les injonctions du CC Allemand), mais tout de même.
Personnellement je suis d'accord avec le propos du premier message : le CC fait souvent n'importe quoi, peut-être à cause d'arrières-pensées politiques. Faudrait peut-être revoir les procédures de nomination, notamment pour virer les politiques pur souche. Parce que quand on a des anciens présidents qui sont membres de droits, faut pas s'attendre à des miracles. Et c'est encore pire si on ajoute que les membres sont nommés soit par le président de la république, soit par le président du sénat soit par celui de l'assemblé. Niveau je peux te faire des magouilles politiques, ça se pose quand même pas mal.
Personnellement je suis d'accord avec le propos du premier message : le CC fait souvent n'importe quoi, peut-être à cause d'arrières-pensées politiques. Faudrait peut-être revoir les procédures de nomination, notamment pour virer les politiques pur souche. Parce que quand on a des anciens présidents qui sont membres de droits, faut pas s'attendre à des miracles. Et c'est encore pire si on ajoute que les membres sont nommés soit par le président de la république, soit par le président du sénat soit par celui de l'assemblé. Niveau je peux te faire des magouilles politiques, ça se pose quand même pas mal.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Non. Ce que tu présentes comme une évidence ne l'est pas du tout.Ramdams » Jeu 7 Jan 2016 - 00:29 a écrit :N'importe quel étudiant en droit aurait été capable d'affirmer que tout texte auquel renvoie une constitution a également une valeur constitutionnelle. Le préambule de 1958 accorde une reconnaissance officielle à la DDHC et au préambule de 1946.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Bien sûr, c’est subjectif. Mais c’est le cas de tout jugement. Un juge interprète toujours la loi pour l’appliquer à une situation particulière. Dans le cas du principe d’égalité devant l’impôt, il faut reconnaître que le CC a souvent permis de nous éviter des textes bâclés. C’est le cas avec ces histoires de CSG : le gouvernement ne voulant pas faire une vraie réforme de fond, par exemple en fusionnant l’IR et la CSG, se livre à des petits raccommodages faits à la va-vite et qui auraient aggravé l’injustice de notre système fiscal. Le CC sur ce point a eu raison de censurer, mais ce n’est pas toujours le cas.johanono » Mer 06 Jan 2016, 22:09:19 a écrit :Nous avons notamment évoqué la question fiscale. Le Conseil constitutionnel se permet d'annuler des lois qu'il juge contraires au principe d'égalité devant l'impôt. Mais qu'est-ce que l'égalité devant l'impôt ? C'est très subjectif.
Sur le fond, je partage l’avis de Johanono : il est anormal qu’une institution qui n’a aucune légitimité démocratique puisse détenir un pouvoir de censure absolu et sans appel.
J’ajoute que le CC aurait pu, comme la Cour allemande de Karlsruhe, préserver en partie la souveraineté de la France au sein de l’UE, mais il n'a jamais joué ce rôle.
« le capitalisme est cette croyance stupéfiante que les pires des hommes feront les pires choses pour le plus grand bien de tout le monde » (Keynes)
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
La Cour Constitutionnelle est quand même le seul moyen par lequel un Français peut contester une loi, via la QPC. C'est la seule institution qui nous permet d'avoir un (tout petit) peu de contrôle sur les textes législatifs.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Voici une nouvelle fantaisie du CC :
Le Conseil constitutionnel et la liberté de frauder ?
Dans leur décision du 8 décembre sur la loi «Sapin 2», les «Sages» ont invalidé l’obligation de publication par les multinationales d’informations pourtant indispensables pour lutter contre l’évasion fiscale. Rendue au nom de la «liberté d’entreprendre», cette décision préserve surtout la liberté de frauder. Le Conseil constitutionnel a commis une regrettable erreur d’appréciation dans sa décision rendue le 8 décembre dernier sur la loi «Sapin 2». Il a en effet censuré les dispositions concernant le «reporting public pays par pays», c’est-à-dire l’obligation pour les multinationales réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros de publier les données relatives aux impôts dont elles s’acquittent dans les pays où elles exercent leurs activités.
suite
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Bien sûr que si, un des principes fondamentaux de tout texte législatif (y compris la Constitution) repose sur les "Visus" c'est à dire les " Vu le ..." et autres préambules.johanono » 07 Jan 2016, 00:43:40 a écrit :Non. Ce que tu présentes comme une évidence ne l'est pas du tout.Ramdams » Jeu 7 Jan 2016 - 00:29 a écrit :N'importe quel étudiant en droit aurait été capable d'affirmer que tout texte auquel renvoie une constitution a également une valeur constitutionnelle. Le préambule de 1958 accorde une reconnaissance officielle à la DDHC et au préambule de 1946.
Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
Nouvel exemple de jurisprudence fantaisiste du CC : on apprend que le CC censure la "Taxe Google", pour des motifs semble-t-il assez mystérieux, pour ne pas dire fallacieux...
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Re: Le Conseil constitutionnel, et le règne de l'arbitraire et du subjectif
La loi a été mal écrite, tout simplement.
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