« La Pologne savait à quoi s’en tenir en adhérant à l’Union », entend-on. En signant les traités, la Pologne ne les avait-elle pas sous les yeux ? Certes, mais les traités n’impliquaient rien de précis en matière sociétale (IVG, mariage entre personnes de même sexe), ni sur le statut des magistrats. Les organes européens font semblant de croire que ces questions faisaient partie des valeurs fondatrices de l’Union, qu’elles étaient comprises depuis l’origine dans le « paquet » souscrit lors de l’adhésion. C’est faux. L’Irlande, par exemple, a mené longtemps son existence d’État membre de la CEE puis de l’Union européenne sans reconnaître ni le divorce, ni l’IVG, ni le mariage homosexuel et sans être morigénée pour autant par les instances européennes.
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Quant à la France, ses trois cours suprêmes ont jugé que le droit européen ne pouvait restreindre la souveraineté nationale que pour autant que la Constitution le permettait. Et qu’il ne pouvait, en tout état de cause, porter atteinte à l’identité constitutionnelle de la France.
Ainsi, dans son arrêt d’assemblée Sarran et Levacher du 30 octobre 1998 (il s’agissait de la composition du corps électoral en Nouvelle-Calédonie), le Conseil d’État juge que les engagements internationaux n’ont pas, dans l’ordre juridique interne, une autorité supérieure à celle de la Constitution : « La suprématie conférée par l’article 55 de la Constitution aux engagements internationaux ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle. »
De même, dans son arrêt du 2 juin 2000, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, ayant à se prononcer (toujours à propos du corps électoral néo-calédonien) sur les valeurs juridiques respectives du droit national et du traité (en l’espèce, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales), considère que la suprématie conférée aux engagements internationaux sur les lois par l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas, dans l’ordre juridique interne, aux dispositions de nature constitutionnelle.
Les arrêts Fraisse, Sarran et Levacher jugent donc sans ambiguïté que la Constitution a, en droit interne français (c’est-à-dire devant ses tribunaux nationaux), une valeur juridique supérieure à celle des traités.
Même lorsque le Constituant a expressément consenti à une limitation de souveraineté, cette limitation ne peut outrepasser certaines limites au-delà desquelles serait affectée l’identité constitutionnelle de la France. Précisons.
L’article 88-1 de la Constitution dispose que « La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Le Constituant, considère le Conseil constitutionnel, « a ainsi consacré l’existence d’un ordre juridique communautaire intégré à l’ordre juridique interne et distinct de l’ordre juridique international ». Il juge, dès juin 2004, que « la transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle » (n° 2004 - 496 DC). Il réserve cependant l’hypothèse dans laquelle le droit européen serait contraire à une règle ou à un principe « inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » (n° 2006-961 DC), par exemple le principe de laïcité.
Les autorités françaises, si promptes à condamner la Pologne, sont les premières - et à juste titre - à ne pas désirer obtempérer aux ingérences de la Cour de justice de l’Union européenne dans les matières de souveraineté.
Il en est ainsi lorsque la Cour de justice de l’Union européenne décide que la directive 2003/88/CE relative au temps de travail s’applique aux membres des forces armées. La position de la Cour de justice de l’Union européenne bat en brèche l’article 4 § 2 du traité sur l’Union européenne selon lequel « la sécurité nationale reste de la seule compétence de chaque État membre » ; sur le fond, elle contrevient au principe, inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, selon lequel un soldat doit être disponible en tout lieu et en tout temps ; elle fait injure à la noble spécificité de l’engagement militaire ; elle affaiblit notre capacité de réponse aux menaces internationales et fait litière de la conception française de la défense nationale, déjà malmenée par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme imposant le syndicalisme dans les armées. Il semble que le chef de l’État lui-même répugne à se soumettre à cette jurisprudence hors sol.
Il en est encore ainsi de la conservation et de l’utilisation des données des communications électroniques dans le cadre des enquêtes pénales ou de renseignement, à des fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ou de contre-espionnage, domaine crucial pour notre sécurité collective, tant nationale qu’européenne. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 8 avril 2014 Digital Rights, suivi des arrêts Quadrature du net et Privacy international du 6 octobre 2020, imposent des conditions restrictives tellement incapacitantes pour la sécurité des États que le gouvernement français, dans ses observations contentieuses, a officiellement invité le Conseil d’État à désavouer la Cour de justice de l’Union européenne.
https://www.lefigaro.fr/vox/monde/pourq ... s-20211011