De toutes les polémiques qui jalonnent les débats publics, il en est une qui ne manque jamais un rendez-vous : la mise en cause du système éducatif français. Des phénomènes de radicalisation aux dérives électorales en passant par le chômage de masse, tout ce qui pose problème dans notre société trouverait sa source dans l'échec de l'Éducation nationale. Les réformes ne suffiront pas à résoudre des problèmes qui sont en fait générés par la société elle-même et qui sont plus profonds qu'il n'y paraît.
L'égalité des chances n'existe pas en France
Dans notre imaginaire collectif, l'école de la République est une chance pour tous. Elle est censée permettre à ceux qui sont "méritants" d'accéder aux savoirs, quelle que soit leur origine sociale. Les élèves boursiers sont l'archétype de la méritocratie républicaine. Et les critères d'évaluation du niveau scolaire ont l'apparence de la neutralité, là où tout est fait pour éviter népotisme et favoritisme.
Mais dans la réalité, il s'avère que le niveau scolaire d'un individu est étroitement lié à ses origines sociales. Malgré le processus dit de démocratisation, les enfants issus de familles culturellement favorisées sont surreprésentés dans l'enseignement supérieur, et, inversement, les enfants issus de milieux populaires sont sous-représentés.
Comment cela se fait-il ? Les sociologues Bourdieu et Passeron ont, dès les années 60, montré que les élèves issus de familles dites cultivées intègrent des habitudes de comportement, de langage, de jugement, de relation au monde, qui sont propres à leur milieu social et qui correspondent aux critères requis dans le système éducatif. La distance culturelle entre l'école et leur milieu familial et social est faible.
En revanche, ceux qui n'ont pas hérité de ce capital culturel et social doivent faire preuve de qualités intellectuelles et psychologiques supérieures à celles de leurs camarades des milieux cultivés pour parvenir à un résultat équivalent.
C'est une sélection injuste dans la mesure où elle ne respecte pas le principe d'égalité des chances, c'est-à-dire qu'elle ne se fait pas en fonction des qualités personnelles et des capacités individuelles de l'élève, mais en fonction du capital culturel et social que ce dernier a reçu de son milieu d'origine. Lorsque ce capital est proche des exigences scolaires, alors les résultats de l'élève sont bons. C'est ainsi que les classes sociales favorisées perpétuent et légitiment leur position dans la hiérarchie sociale, d'une génération à l'autre.
Des efforts de démocratisation vains...
Les réformes de toutes sortes se suivent au rythme des gouvernements successifs : politique de quotas de ségrégation positive, intégration de classes spécifiques dans les grands lycées parisiens, le baccalauréat obtenu par 80 % d'une classe d'âge, etc. On a aussi privilégié les mathématiques comme critère de sélection en espérant contourner le problème de l'héritage culturel des parents et du milieu social d'origine. Mais la barrière est tellement élevée que seule une infime minorité peut la passer.
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La France empêtrée dans son élitisme forcené
Dans l'esprit français, l'égalité des chances consiste à permettre à tous d'accéder à une seule voie sacrée, qui correspond à celle que les élites empruntent. D'autres voies seraient possibles, permettant à tout un chacun de trouver sa place. Mais dans l'opinion française, fortement influencée par les élites sorties des grands corps d'État, il n'existe qu'une seule voie d'excellence et aucune autre. Des voies très prisées en Allemagne, l'apprentissage par exemple, qui permettent de parvenir à un poste d'ingénieur au sein de l'entreprise, sont des choses inconcevables en France.
Parce qu'en France, la notion de valeur est indissociable de celle de prestige. C'est pourquoi chaque fois qu'on a voulu valoriser des filières techniques, la seule manière de susciter l'adhésion du public, c'est de leur donner du prestige lié au patrimoine français. On ne s'étonnera pas si la distinction de Meilleur Ouvrier de France est décernée à des artisans liés à des activités créatrices, parfaitement respectables, mais qui n'ont rien à voir avec l'industrie, toujours la mal-aimée.
L'esprit français a d'énormes difficultés à concevoir qu'on puisse atteindre l'excellence sans faire partie d'une minorité ayant fait l'objet d'une sélection draconienne. C'est ainsi que l'élitisme sévit. C'est comme s'il était impossible que l'excellence puisse s'inscrire dans la diversité des parcours. L'opinion française n'a d'yeux que pour un modèle, celui prisé par les élites. Le reste est tout simplement négligé, voire méprisé. Ce qui est dommage, c'est que l'ensemble de la société française, influencée par son élite, a intégré ce système de valeurs et subit de ce fait une violence symbolique très forte, ayant pour elle-même un mépris prononcé.
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