Une
revue de presse étrangère s'intéresse sur la nomination de Pap Ndiaye, qui a fait couler beaucoup d'encre et de fantasmes.
Celle d’Élisabeth Borne mise à part, c’est sa nomination qui a fait couler le plus d’encre dans la presse étrangère depuis l’annonce de la composition du gouvernement, vendredi 20 mai. Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation nationale, cela “met en rogne la droite”, constate en Allemagne la Süddeutsche Zeitung (...) “La droite lui reproche de se compromettre avec des théories identitaires venues des États-Unis et de s’en prendre ainsi aux valeurs de la République. Mais il suffit d’écouter Pap Ndiaye ou de se pencher sur ses travaux pour comprendre que ces accusations ne tiennent pas la route.” Car l’homme, explique le journal de centre gauche qui a rencontré Ndiaye pour la première fois en 2018, “n’a rien d’un provocateur. L’historien de 56 ans ne se laisse aller ni aux théories radicales ni aux déclarations tonitruantes. Quand cet intellectuel de renom s’immisce dans un débat, c’est pour tenter de bâtir des ponts entre les différents partis.”
Si sa nomination est si clivante, c’est aussi, estime la Süddeutsche Zeitung, parce qu’elle constitue un revirement à 180 degrés par rapport à son prédécesseur, Jean-Michel Blanquer. Ce dernier s’est, entre autres, distingué par son engagement anti-woke au sein du gouvernement, rappelle de son côté la Frankfurter Allgemeine Zeitung. (...)
C’est cette même réflexion qui laisse la FAZ peu optimiste concernant l’action de Pap Ndiaye à Grenelle. Le quotidien résume :
“C’est la politique mémorielle d’Emmanuel Macron, et la portée symbolique de cette nomination qui ont propulsé l’historien au sein du gouvernement. Il n’a aucune expérience en politique. Le ministère de l’Éducation nationale a la réputation d’être ingérable – d’autres intellectuels en ont fait l’expérience avant lui, notamment le philosophe Luc Ferry – et Pap Ndiaye devra naviguer entre de nombreux écueils : la réalité sur le terrain, le salaire des enseignants, le niveau des élèves… Le dernier choc en date a été provoqué par les jeunes réfugiés ukrainiens, dont le niveau en mathématiques est bien supérieur à celui des Français de leur âge.”
Et la FAZ de conclure par un peu optimiste : “Sa mission au ministère prend des airs de ‘mission impossible’.*”
L'article rappelle également que le système éducatif français est inégalitaire par rapport aux autres pays de l'OCDE, quoi qu'en disent ceux qui répondent par des arguments purement budgétaires et de % de PIB consacrés à l'éducation en France :
Car il ne faut pas oublier que derrière toute l’agitation de ce week-end, Ndiaye se trouve désormais à la tête de l’un des plus grands ministères, souligne The Guardian à Londres, et que les défis à l’Éducation nationale sont énormes. “La France possède l’un des systèmes éducatifs les plus inégalitaires du monde développé. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un enfant né et scolarisé dans un quartier défavorisé y a moins de chances de se hisser hors de son milieu socio-économique que dans la plupart des autres pays développés.”
Des inégalités qui avaient été mises en avant en 2018, dans un rapport de l'OCDE, dont les principaux points sont cités
dans cet autre article
En France, environ 20% de la variation de la performance en sciences des élèves "est associée à des différences de statut socio-économique", alors que la moyenne européenne est de 13% au sein des pays de l'OCDE.
Les élèves issus d'un milieu socio-économique défavorisé ont enregistré 118 points de moins en sciences que ceux issus d'un milieu favorisé, l'équivalent de presque quatre années de scolarité. L'écart moyen en des pays de l'OCDE est de 88 points.
Pap Ndiaye hérite donc d'un ministère difficile, et je partage le pessimisme de la presse étrangère quant à la faible latitude dont il disposera pour mener à bien son action. Cela dit, on peut espérer qu'il ne fasse pas pire que son prédécesseur et qu'il élève un peu un débat qui a été au ras des pâquerettes avec la croisade anti-woke de Blanquer-Vidal. Il faut donc laisser la fachosphère rager comme elle a l'habitude de faire, et redéfinir les priorités, parmi lesquelles ne figurent pas la lutte anti-woke, mais plutôt la qualité de l'enseignement dans les milieux favorisés, l'apprentissage de la langue et des sciences... Ce pourquoi l'enseignement français est réellement décrié.