Je suis d'accord, c'est à en pleurer !Nombrilist a écrit : Très bel article qui devrait être lu par tout le monde, au même titre que la lettre de Guy Moquet.
GIBET
http://www.liberation.fr/societe/010123 ... ment-en-tr…«Je rends chaque jugement en tremblant»
Il est juge d'application des peines. JAP dans le jargon. Il intervient une fois la condamnation prononcée pour décider d'éventuels aménagements de peine (bracelet électronique, mesure d'éloignement, etc). Il aime se définir comme «juge de quartier», loin d'une «supposée tour d'ivoire» et adepte du pragmatisme.
Furieux contre les récentes attaques de Nicolas Sarkozy envers les juges dans l'affaire Pornic, il ne tiendra pas les audiences ce jeudi (sauf urgences), en signe de protestation. A quelques heures d'une mobilisation des magistrats qui s'annonce historique, il prend le temps de nous raconter son quotidien.
«Ma journée type ? Euh, il n'y en a pas. Le lundi, je reçois les personnes qui viennent d'être condamnées mais qui sont laissées en liberté. Elles arrivent dans mon bureau avec leur vie, leur histoire parfois lourde et leur condamnation. En pratique, je n'ai qu'une dizaine de minutes à leur accorder, c'est très peu mais je n'ai pas le choix. Parfois, je ne parviens même pas à recevoir tout le monde, ça déborde sur le lendemain...
Le mardi en principe, je suis censé écrire les jugements. L'année dernière, j'en ai rédigé 400. Bien entendu, je n'ai pas de secrétaire. Je tape tout, tout seul. En parallèle, je fais le point sur les entretiens de la veille. Je contacte les travailleurs sociaux pour prendre des avis, je saisis les services de police pour vérifier une adresse... J'ordonne au besoin des expertises psychiatriques. Sans tarder parce qu'il faut compter trois mois en moyenne pour avoir un rapport, tellement les experts sont peu nombreux et débordés. Quand on parle du manque de moyens dans la justice, c'est aussi d'eux qu'on parle, toutes ces personnes qui gravitent autour de nous: les travailleurs sociaux qui ne comptent pas leurs heures. Les greffiers qui turbinent comme des dingues à défaut d'être en nombre suffisant...
«C'est la liberté des personnes qui est en jeu»
Arrive le mercredi. Je me retrouve avec des piles de dossiers (plus ou moins énormes) sur mon bureau. C'est l'ensemble des cas sur lesquels je vais devoir statuer en audience le lendemain. Entre le premier entretien et l'audience, il faut compter deux mois à peu près dans mon tribunal, ailleurs c'est parfois plus (la loi limite à quatre mois maxi).
En pratique, j'ai sur les bras une vingtaine de dossiers judiciaires à décortiquer en une demi-journée. Entre les condamnations, le casier judiciaire, les enquêtes faites par la police, l'enquête menée auprès des victimes... certains font parfois 200 ou 300 pages. Comment voulez-vous que je fasse? On nous impose une logique de rendement, c'est pourtant la liberté des personnes qui est en jeu.
Jeudi. Les audiences ne sont pas publiques, elles se tiennent à huis clos. Contrairement à ce que voudrait faire croire Nicolas Sarkozy, ce ne sont pas des monstres qui arrivent en face de moi pour demander un aménagement de peine. Non, le plus souvent sont des personnes dans un état de détresse et de misère sociale. Je les écoute. Puis la décision est mise en délibéré. Je rends mon jugement une semaine ou deux après. Je ne leur annonce pas dans la salle du tribunal, mais dans mon bureau, seul à seul. Sans bouton d'alarme, ni service de sécurité prêt à intervenir en cas de problème. Ma plus grande crainte c'est que l'un d'eux se jette par la fenêtre.
Le bracelet électronique, par exemple...
On pourrait penser qu'une fois la décision rendue, j'ai fini mon travail. C'est tout le contraire. Là, les ennuis commencent. Cas typique : je décide de libérer un détenu à condition qu'il porte un bracelet électronique, avec des consignes strictes: il est autorisé à quitter le domicile uniquement pour se rendre au travail. Très bien. Sauf que quand la personne travaille chez Mc Do, avec des horaires qui changent d'une semaine à l'autre, cela devient vite infernal. A chaque fois, je suis obligé de faire une ordonnance modificative. Le truc à la c.. par excellence, je peux me retrouver avec des journées entières à faire que ça. Et je ne vous parle pas de tous les signalements que l'on reçoit dû à des défaillances techniques. Du genre, le bracelet qui se met à sonner alors que la personne est dans sa salle de bain.
Et puis, il y a les urgences. Certains jours ça n'arrête pas. Un exemple récent. Un homme, condamné quatre fois pour violences dont trois commises contre sa mère, âgée de 85 ans. Fin de sa peine, il est en sursis avec mise à l'épreuve. Sauf qu'aussitôt dehors, il fonce au domicile de sa vieille mère. Je suis alerté par un travailleur social. J'arrête tout, je téléphone dans la seconde à la police pour leur donner un mandat d'arrêt. S'ensuit entretien dans mon bureau et retour à la case prison. Voilà à quoi ressemble mon quotidien. Chaque décision est une prise de risque. C'est tout le temps sur le fil du rasoir. Croyez-moi, je rends chaque jugement en tremblant. En permanence, je me pose des questions. On ne peut jamais être sûr, il y a toujours un risque. Que Nicolas Sarkozy arrête de faire croire que l'on peut empêcher la récidive. Si on nous en donne les moyens, on peut la prévenir, oui. L'empêcher, non.»
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