Qu'en pensez vous ?De 2008 à 2011, la crise a coûté 4,5 millions d'emplois à l'Europe. Mais certains pays ont payé un moindre tribut que d'autres. La raison ? Une politique sociale différente…
Au cours des trois dernières années, l'emploi a piqué du nez dans l'ensemble des pays de l'Union européenne (UE), et notamment dans ceux de l'UE à 15 : à la mi-2011, on y comptabilisait 4,5 millions d'emplois de moins que trois ans plus tôt, lorsque la crise a commencé. Certes, cela concerne au premier chef les pays qui ont subi de plein fouet la tourmente financière ou celle des finances publiques. La chute de l'emploi y est impressionnante : - 14 % en Irlande, - 10 % en Espagne, - 9 % en Grèce. Parmi les derniers pays ayant rejoint l'Union, certains ont aussi connu de sévères compressions d'effectifs : - 13 % en Bulgarie, - 10 % en Lettonie… Dans les autres pays, même si la contraction de l'emploi a été moins forte, elle a souvent été sans précédent depuis soixante ans, surtout pour les jeunes qui ont vu leur taux d'emploi régresser en moyenne de trois points au plus fort de la crise. En outre, comme cette dernière a touché surtout l'industrie et le bâtiment, c'est l'emploi masculin qui a été le plus durement frappé.
Exceptions
Dans ce tableau d'ensemble, certains pays font exception. L'Allemagne, la Belgique et la Pologne ont vu le niveau de l'emploi se maintenir, et même progresser (d'environ 3 %) entre mi-2008 et mi-2011. Pour la Pologne, cela s'explique puisque, exception européenne, l'activité économique y est constamment demeurée orientée à la hausse : faible industrialisation et, surtout, faible activité bancaire et faible endettement lui ont permis de passer entre les gouttes. En revanche, dans les deux autres pays, l'activité économique a sensiblement reculé (en 2009, de 5 % en Allemagne et de 3 % en Belgique) et, mi-2011, elle avait à peine rattrapé son niveau de mi-2008. Ce n'est donc pas la croissance qui leur a permis d'échapper à la règle générale, mais leur politique d'emploi.
Ces deux pays, en effet, ont recouru massivement au partage du travail, sous la forme du chômage partiel indemnisé. Une part conséquente des salariés a perçu une compensation pour la perte de salaire liée aux périodes non travaillées, à hauteur de 60 % du brut (67 % en Allemagne pour les bas salaires), comme si les travailleurs concernés avaient perdu leur emploi. En revanche, dans de nombreux autres pays, les travailleurs temporaires ont joué le rôle de variable d'ajustement, leur contrat n'étant pas reconduit. Ainsi, entre les deuxièmes trimestres 2008 et 2010, au plus fort de la crise, la part des emplois temporaires dans l'emploi salarié est passée de 31 % à 26 % en Espagne, de 16,4 % à 14,8 % en Italie, de 17,2 % à 14,9 % (2009) en Suède, de 16,5 % à 15,8 % en France.
Dans le cas de la France, la défiscalisation des heures supplémentaires a même poussé les entreprises à préférer le licenciement au chômage partiel, puisque cela leur permettait de mieux rémunérer leurs salariés les plus compétents tout en poussant les autres vers la porte. La mesure, conçue lorsque se réduisait le chômage, s'est donc révélée contre-productive lorsque la crise s'est déclenchée, moins d'un an après sa mise en oeuvre.
Certes, en Allemagne et en Belgique, la conséquence a été une très forte augmentation du nombre de travailleurs indemnisés au titre du chômage : il est passé de 3,1 millions (2008) à 4,3 millions (2009) en Allemagne, et de 590 000 à 700 000 en Belgique, tandis que, en France par exemple, il passait de 2,2 millions à 2,4.
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D'autres pays ont privilégié les subventions temporaires à l'emploi, notamment en faveur des emplois peu ou pas qualifiés. Ces salariés sont en effet souvent les premiers licenciés et les derniers embauchés en raison de la faible marge entre leur apport productif et leur coût salarial.
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Subventions
Des politiques similaires (parfois en direction d'autres cibles, comme les travailleurs âgés) ont été mises en place dans plusieurs pays (Hongrie, Malte, Slovaquie, Royaume-Uni, Estonie, Finlande, Suède, Espagne), mais avec des résultats moins probants, sans doute faute d'incitations suffisantes. Ainsi, en France, les aides à l'embauche de jeunes en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation ont été renforcées, mais sans effet apparent, puisque le nombre d'emplois occupés par des jeunes peu qualifiés a continué de diminuer entre 2008 et 2011.
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Globalement, entre 2007 et 2009, le nombre d'emplois aidés s'est réduit de 15% dans l'UE à 15 : seules l'Irlande et la Belgique ont vu ce type d'emplois augmenter. La baisse d'activité économique, au lieu d'être partagée entre tous comme en Allemagne ou en Belgique, a été essentiellement supportée par ceux pour lesquels l'emploi se dérobait.
La crise, subie par tous les pays européens, aurait pu être une occasion de raffermir et de rapprocher les politiques sociales en Europe. Elle s'est traduite surtout par une grande cacophonie au détriment des 4 millions de chômeurs supplémentaires. Dans le cas français, on se prend à rêver : et si, au lieu de dépenser chaque année 4,5 milliards d'euros pour rendre les heures supplémentaires attractives et 300 millions d'euros (en 2009) pour aider à partager le travail par le financement du chômage partiel, les efforts avaient été inversés ? La France aurait à ce jour quelques centaines de milliers de demandeurs d'emploi de moins, autant de salariés de plus, et des finances publiques moins tendues grâce aux économies réalisées sur l'assurance chômage. On ne revient pas en arrière, hélas ! Mais cela montre que, loin d'être impuissants, les Etats ont encore des capacités d'action. A condition de s'en servir correctement. Retrouvez l'intégralité de cet article sur
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