Le contexte est le suivant. Poutine est venu au pouvoir en 2000, adoubé par Boris Eltsine. Il remporte au premier tour les élections de 2000 et de 2004. La constitution russe l'empêchant de briguer plus de 2 mandats d'affilé, il décidera de détourner la constitution plutôt que de la modifier comme peuvent le faire nombre de dirigeants africains ou autres accrochés au pouvoir. Il décide ainsi de se présenter en ticket avec Medvedev qui lui prête allégeance et qui le nomme premier ministre en 2008. Une fois passée cette intermède de 4 ans, il peut à nouveau se représenter sans contredire la constitution et remporte, toujours au premier tour, l'élection de 2012, tout en renvoyant l'ascenseur à Medvedev qui retrouve la maison blanche. Voilà où nous en sommes pour 2018, Poutine va donc briguer son "second, second" mandat.
Pas de suspens pour l'année prochaine, Poutine remportera l'élection, ce qui va le porter au pouvoir jusqu'à 23 ans minimum.
Restait une inconnue, comment il allait gagner cette élection présidentielle. Allait-il autoriser son seul concurrent sérieux à se présenter pour enfin donner à une de ses élections un semblant de légitimité ou n'allait-il prendre aucun risque et choisir, comme pour les élections précédentes, des opposants de figuration. Ce candidat sérieux, le seul qui est en mesure de dépasser les 20% des voix, c'est Alexei Navalny, une sorte de Macron à la russe si j'ose dire. Certes, il y a d'autres personnalités politiques tout à fait compétentes, Kasparov (le champion du monde d'échec), Kassianov (ancien premier ministre), Iavlinski (éternel opposant libéral), Ryjkov (républicain), le regretté Nemtsov (assassiné par le pouvoir), mais aucun ne rassemble de larges intentions de vote.
En tout cas, Poutine semble avoir choisi la seconde option, celle de ne pas laisser le moindre opposant crédible lui faire concurrence.
http://www.lemonde.fr/international/art ... _3210.htmlLe Monde a écrit :
La candidature de l’opposant Navalny à l’élection présidentielle russe est compromise
L’avocat, qui dénonce la corruption du pouvoir, a été condamné à cinq ans de prison avec sursis pour détournement de fonds. Il a fait appel et dénonce un procès politique.
LE MONDE | 08.02.2017 à 15h25 • Mis à jour le 09.02.2017 à 14h55 |
La chronique politique russe retiendra peut-être que c’est dans la petite pièce d’un tribunal de province, semblable à une salle de classe – n’eussent été trois petites cages métalliques derrière lesquelles comparaissent habituellement les prévenus –, que s’est joué le sort du dernier opposant médiatique au Kremlin depuis Boris Nemstov, assassiné il y a tout juste deux ans.
Arrivé libre, Alexeï Navalny, 40 ans, candidat à l’élection présidentielle de 2018 en Russie, est reparti de la même façon, mais avec une condamnation à cinq ans de prison avec sursis pour détournement de fonds, au terme d’un énième procès. Cette décision, rendue mercredi 8 février, par la cour de justice de Kirov, à 800 kilomètres de Moscou, entraîne, en théorie, son inéligibilité.
« Nous allons continuer notre campagne, indépendamment de ce qui se passe ici ! », s’est exclamé à l’issue du jugement M. Navalny, en s’appuyant sur la Constitution russe, qui exclut uniquement de la course à l’élection présidentielle les personnes placées en détention.
La voie est néanmoins étroite, car le verdict, lu pendant de très longues minutes d’une voix quasi inaudible par le juge Alexeï Vtiourine, a fait référence à l’article 160 du code pénal, qui définit les « délits graves ». Or, ces derniers sont cités comme un motif d’inéligibilité selon la loi électorale…
« Ce verdict, c’est un télégramme du Kremlin », a ironisé l’opposant, en dénonçant une affaire fabriquée de toutes pièces pour l’écarter du jeu politique. Pour ce remuant avocat, qui s’est fait une spécialité depuis quelques années de dénoncer la corruption du pouvoir en Russie, c’est surtout un retour à la case départ.
Navalny, un habitué des prétoires
En concluant à sa culpabilité dans l’affaire Kirovles, du nom d’une société d’exploitation forestière, le tribunal de Kirov a en effet quasiment repris mot à mot un précédent jugement rendu en 2013 dans la même affaire, mais annulé depuis.
Conseiller du gouverneur de la région de Kirov en 2009, Alexeï Navalny avait été par la suite accusé d’avoir détourné 400 000 euros au détriment de cette compagnie. Condamné une première fois à cinq ans de colonie pénitentiaire et 500 000 roubles (8 000 euros) d’amende en juillet 2013, en même temps que son associé Piotr Ofitserov, également présent mercredi, l’opposant avait vu sa peine maintenue trois mois plus tard en appel, mais commuée en sursis.
En février 2016, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) de Strasbourg, constatant que les droits des accusés pour « un procès équitable avaient été bafoués », avait infligé à la Russie le versement de 79 000 euros de dommages et compensations à Alexeï Navalny et à son associé. La Cour suprême russe avait alors cassé le jugement et ordonné aussitôt l’ouverture d’un nouveau procès. Kirovles 2 a ainsi commencé, avant de s’achever exactement comme Kirovles 1.
Marié et père de deux enfants, Alexeï Navalny est un habitué des prétoires, mais pas dans ses habits d’avocat en droit civil dont il a fait profession. Sept fois condamné à des peines administratives pour avoir participé à des manifestations, placé un an en résidence surveillée, il a également été condamné à trois ans et demi de colonie pénitentiaire avec sursis pour détournement de fonds au détriment de la filiale russe du groupe de cosmétiques français Yves Rocher. Dans cette affaire, son frère Oleg Navalny a été condamné à la même peine, ferme cette fois, qu’il purge actuellement dans la région d’Orel, à 360 kilomètres au sud-ouest de Moscou.
Ce tir de barrage juridique ne semble pas décourager Alexeï Navalny, qui publie sur son site Internet des vidéos dévastatrices sur les biens somptueux des ministres et des hauts fonctionnaires, tout en livrant ses commentaires argumentés sur leur enrichissement.
Fondateur en 2011 du Fonds de lutte contre la corruption, il a vu son audience grandir progressivement. Au point qu’en septembre 2013, en pleine affaire Kirovles 1 déjà, Alexeï Navalny avait créé la surprise en se hissant à la deuxième place pour l’élection du maire de Moscou avec un peu plus de 27 % des voix.
Un opposant déterminé de Poutine
Issu des rangs nationalistes, l’homme s’affiche aujourd’hui comme un indépendant et un opposant déterminé de Vladimir Poutine. Le 13 décembre 2016, dans une vidéo d’un peu plus de trois minutes diffusée sur son propre site de campagne, troquant ses chemises à carreaux pour un costume et une cravate sombres, il avait annoncé sa candidature à la présidentielle en promettant d’aborder « les sujets tus par tout le monde ».
« Il n’y a pas eu de véritables élections en Russie depuis 1996, ajoutait Alexeï Navalny, ceux qui sont au pouvoir depuis dix-sept ans ne réagissent plus à aucune critique, trop occupés à résoudre leurs propres problèmes financiers. Ils ne permettent aucune concurrence. »
Le lendemain cependant, sur Radio Echo de Moscou, le croisé de la corruption en Russie faisait une proposition surprenante : « Je pense que l’immunité doit être garantie à Poutine et à sa famille. » Soit la même « garantie » offerte, officieusement, par Vladimir Poutine à Boris Eltsine, lors de la passation de pouvoir entre les deux hommes, en 1999…
« Oui, j’ai dit que si Poutine était d’accord avec une transition de pouvoir pacifique, il faudrait lui accorder l’immunité, a répondu au Monde l’opposant entre deux interruptions d’audience à Kirov, le 1er février. C’est une décision désagréable pour qui connaît sa corruption, et elle l’est doublement pour moi parce que mon frère est en prison, mais il faut parfois savoir mettre de côté ses émotions… » L’amnistie ainsi proposée suffira-t-elle à infléchir le Kremlin pour le laisser concourir ?
Trublion imprévisible
La porte n’est peut-être pas tout à fait fermée, mais Alexeï Navalny est surtout considéré aux yeux du pouvoir comme un trublion imprévisible. Ses critiques, féroces, alimentent les réseaux sociaux. Et ses multiples procès n’ont pas suffi à entacher sa réputation aux yeux de ses partisans. Plusieurs dizaines d’entre eux, jeunes pour la plupart, se sont pressés aux portes de son premier QG de campagne ouvert à Saint-Pétersbourg, le 4 février. Plus de soixante-dix autres QG sont prévus dans tout le pays, assure son ami et directeur de campagne, Léonid Volkov.
D’un autre côté, le Kremlin aimerait bien trouver un adversaire capable de crédibiliser l’élection présidentielle de 2018 – pour laquelle Vladimir Poutine n’a pas encore fait officiellement acte de candidature – en attirant vers les urnes une population de plus en plus absente des scrutins. Les dernières élections législatives de septembre 2016 l’ont prouvé avec, pour la première fois, une participation inférieure à 50 %.
En 2012, lors de la réélection de Vladimir Poutine, perturbée alors par d’importantes manifestations de protestation, l’homme d’affaires milliardaire Mikhaïl Prokhorov s’était prêté au jeu, obtenant 8 % des suffrages, sur la troisième marche du podium.
Sauf qu’aujourd’hui, Alexeï Navalny, même si ses chances de concurrencer le chef de l’Etat russe apparaissent quasi nulles dans les sondages, est loin de présenter le profil idéal du compétiteur… Réagissant au procès de Kirov, mercredi, l’ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, réfugié en Europe après avoir passé dix ans dans une colonie pénitentiaire pour fraudes, a anticipé la réponse : « Le pouvoir a décidé qu’il ne voulait pas une ombre de problème aux “élections” ».