Il faut sauver le soldat irlandais pour sauver la zone euro. Même à son corps défendant. Jeudi, des experts européens et du Fonds monétaire international (FMI) vont devoir faire preuve de doigté pour convaincre Dublin d'accepter un plan international de sauvetage de ses banques. Les Irlandais, grisés par une croissance économique dynamique et l'attractivité de leur territoire, s'offusquent de se retrouver au rang des mauvais élèves européens, au même titre que la Grèce.
Au grand dam de ses voisins européens, le Premier ministre irlandais Brian Cowen fait donc la fine bouche. Il faut dire qu'il pensait avoir évité une humiliante intervention extérieure, il y a quelques semaines, en jouant franc-jeu avec les marchés. L'État irlandais avait alors annoncé, début octobre, un déficit public abyssal de 32 % du PIB en 2010, un trou gigantesque destiné à financer
la recapitalisation de ses banques à la dérive. La gestion de la dette de l'État, préfinancée sur les marchés financiers jusqu'à mi-2011, ne devait pas poser de problème. Oui, mais voilà, la belle mécanique s'est, depuis, enrayée.
Angela Merkel sur le banc des accusés
Les marchés ont perdu confiance dans la capacité du pays à réellement apurer son déficit d'ici à mi-2011. En cause, les doutes sur le coût définitif du sauvetage du système estimé, dans le pire des scénarios, à 50 milliards d'euros.
Conséquence directe, les taux d'intérêt sur la dette irlandaise se sont envolés, ce qui ne pose pas de problème immédiat, mais pourrait devenir problématique lorsque l'État irlandais devra revenir se financer sur les marchés mi-2011.
Le regain de méfiance des investisseurs s'explique également par des raisons conjoncturelles, explique Philippe Sabuco, économiste spécialiste des banques chez BNP Paribas, au premier rang desquelles les déclarations intempestives d'Angela Merkel. La chancelière allemande a imprudemment déclaré qu'elle souhaitait voir les créanciers privés participer au sauvetage des États en difficulté financière. Même si ce projet ne concerne que les sauvetages à venir, et non la Grèce et l'Irlande, elle a déclenché une tempête. "Ce n'est pas un hasard si la crise de la dette en zone euro a repris juste après la publication de la proposition allemande", a estimé Carsten Brzeski, économiste de la banque ING, cité par l'Agence France-Presse.
Une BCE lasse
L'affaiblissement de la croissance au troisième trimestre en zone euro et en Irlande ainsi que les faibles perspectives anticipées pour 2011 ont également pesé sur la confiance des investisseurs. Tout comme l'extrême dépendance des banques aux liquidités à moyen et à long terme injectées par la BCE dans le système bancaire européen. Selon l'Agefi, ces financements représentent 80 % du PIB irlandais, contre "seulement" 40 % pour la Grèce et 20 % pour le Portugal... Or la BCE souhaite commencer à retirer progressivement ses liquidités du système...
Brian Cowen refuse pourtant d'assimiler la situation de l'État irlandais à celle des banques du pays. Il a réussi à convaincre ses collègues européens qu'il n'avait pas lui-même besoin d'argent frais. Pour ne pas heurter la fierté des Irlandais, l'aide européenne pourrait donc être attribuée directement au système bancaire. Une nuance très politique alors que la principale banque du pays, l'Anglo Irish, a de fait été nationalisée. Les experts du FMI devront trouver les arguments justes pour convaincre Brian Cowen. Il y a urgence, car, si les marchés ne sont pas rassurés très vite, le prochain pays sur leur liste pourrait bien être le Portugal, et même l'Espagne