La lèse-majesté, arme d'une chasse aux sorcières en Thaïland

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domi
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La lèse-majesté, arme d'une chasse aux sorcières en Thaïland

Message non lu par domi » 17 mars 2012, 17:46:10

.En cette fin de règne du roi Rama IX, l'élite de Bangkok se crispe et recourt à la loi sur la lèse-majesté pour préserver le statu quo http://www.lepoint.fr/monde/la-lese-maj ... 252_24.php



Tapi entre des montagnes de livres d'un bureau sombre et exigu de la prestigieuse université Thammasat - qui signifie "la juste science, la juste connaissance" en thaïlandais -, le discret professeur Worachet Pakeerut ne ressemble guère à l'image que l'on se fait d'un ennemi public numéro un. C'est pourtant bien lui et ses compagnons de Nitirat, un collectif de professeurs de droit militant pour un amendement de la loi sur la lèse-majesté, que des commentaires sur les sites de médias royalistes appellent à décapiter pour planter leurs têtes sur des piques à l'entrée de la faculté.

"Notre but est simplement de montrer au public thaïlandais ce qu'est la démocratie, la règle de la loi", explique calmement le professeur Pakeerut. Pour l'universitaire, l'odyssée a commencé le 19 septembre 2006. Ce jour-là, les télévisions interrompent leurs programmes pour diffuser un diaporama de photos de la famille royale sur fond de musique composée par Sa Majesté. À Bangkok, les militaires fidèles au roi viennent de prendre le pouvoir à la faveur d'un déplacement à New York du Premier ministre Thaksin Shinawatra. Ce putsch, le 18e dans le pays depuis 1932, marque le début de l'engagement du professeur Pakeerut. "Le coup d'État de 2006 allait à l'encontre de la loi suprême, de la Constitution. Cela se faisait clairement contre la volonté du peuple", explique-t-il. Avec des confrères, le professeur de droit anime donc des conférences pour discuter des bases légales du coup d'État et du démantèlement de l'empire et du parti du milliardaire Shinawatra qui s'ensuit.
Arsenal législatif

Très vite, ils s'intéressent aux cas de lèse-majesté, dont l'augmentation donne le vertige : de 33 inculpés devant les tribunaux thaïlandais en 2005, le nombre a explosé à 478 en 2010. La Thaïlande, où l'image ubiquitaire du roi Bhumibol Adulyadej (Rama IX), sur le trône depuis 1946, est présente dans le moindre foyer, possède l'un des arsenaux législatifs les plus répressifs au monde envers le crime de lèse-majesté. "Quiconque diffame, insulte ou menace le roi, la reine ou le dauphin", comme le dispose l'article 112 du Code pénal, est passible d'une peine de trois à quinze ans de prison. Ce que le collectif Nitirat dénonce n'est pas la loi en soi - chose impensable en Thaïlande où la monarchie est l'une des composantes de l'identité nationale -, mais sa dureté et surtout le dévoiement de son esprit originel. Désormais, la moindre critique envers la monarchie est susceptible de tomber sous la coupe de la lèse-majesté. "En maintenant un état de peur permanent, la lèse-majesté exerce une pression susceptible de détruire la conscience du peuple", argumente le professeur Pakeerut.

En novembre dernier, Ampon Tangnoppakul, un retraité de 61 ans, a été condamné à 20 ans de prison pour 4 textos jugés offensants envers le roi. Ce modeste grand-père de la banlieue de Bangkok est devenu le symbole d'une campagne dénonçant l'utilisation de la lèse-majesté comme arme politique des forces conservatrices. Les opposants affirment craindre que cette coercition n'aliène une partie de la population envers l'institution monarchique. Selon le politologue Pavin Chachavalpongpun, instigateur de la campagne Thailand Fearlessness, "il y a de nombreuses raisons derrière le recours à cette loi : nourrir le mythe nimbant la monarchie, étouffer l'anxiété autour de la succession royale, contrôler la société, conserver les privilèges de l'élite, prolonger le rôle de l'armée dans la politique (en tant que garante de la sécurité nationale), obstruer la démocratisation et faire face à la révolution technologique dans le cyberespace".
Tensions de fin de règne

Le règne de Rama IX touche en effet à sa fin. Âgé de 84 ans, le roi est hospitalisé depuis septembre 2009 et n'apparaît plus que rarement en public. Sans successeur aussi charismatique en perspective, l'élite royaliste de Bangkok craint un affaiblissement du trône et une érosion de ses intérêts et prérogatives. Le sérail de la capitale avait déjà vu d'un mauvais oeil l'ascension du populiste Thaksin Shinawatra, homme d'affaires élu par la province et disposant de son propre réseau d'intérêts. Le coup d'État de 2006, réalisé avec la complicité de l'armée, a partiellement remédié au problème. La réponse à la contestation des Chemises rouges (opposition) au printemps 2010, qui s'est soldée par le massacre de 91 manifestants en plein centre de Bangkok, témoigne à nouveau de cette crispation des monarchistes.

Paralysé par la peur d'un putsch, le nouveau gouvernement de Yingluck Shinawatra, soeur cadette de Thaksin, réfute toute idée de réforme de la loi sur la lèse-majesté, alors que les cas défilent en continu dans les tribunaux thaïlandais. Selon Pavin Chachavalpongpun, "les divergences sur la loi de lèse-majesté ont le potentiel de déclencher la violence politique entre les deux groupes. Les ultraroyalistes ne cachent pas leur intention d'utiliser la force contre leurs ennemis, espérant peut-être créer l'opportunité d'un nouveau coup d'État militaire. L'anxiété autour de la succession au trône pourrait expliquer pourquoi une intervention politique de l'armée serait nécessaire pour protéger les intérêts de la vieille élite. Mais l'armée et les ultraroyalistes se trompent en croyant qu'un futur coup ne rencontrerait que peu de résistance".

De notre correspondant à Bangkok, Alexandre Marchand
Modifié en dernier par domi le 17 mars 2012, 18:03:31, modifié 3 fois.
« La règle d’or de la conduite est la tolérance mutuelle, car nous ne penserons jamais tous de la même façon, nous ne verrons qu’une partie de la vérité et sous des angles différents. »
Gandhi, extrait de Tous les hommes sont frères

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