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La différence de style entre Sarkozy et Hollande apparaît flagrante, et ceux qui ont sous-estimé ce dernier ont visiblement eu tort.Comment Hollande a pris de court le G8
Tout, dans le style et le fond du nouveau président a suscité dès son arrivée l'intérêt des membres du G8. Mais la vraie surprise est que Barack Obama a découvert un allié plus précieux que son prédécesseur.
François Hollande n'avait dejà plus rien du « petit nouveau » de la bande en ce vendredi soir. Des quatre nouveaux dirigeants arrivés hier à Washington - puisque le Japon a désormais Yoshihiko Noda comme Premier ministre, l'Italie Mario Monti et la Russie Dimitri Medvedev - il a été le plus recherché, hier, dès son arrivée sur le sol américain. Il est également celui dont les premières déclarations sont aujourd'hui incontestablement les plus commentées par la presse américaine. Le ton est unanime: les Etats-Unis redécouvrent un allié plus exigeant avec lequel il va falloir compter plus qu'auparavant. C'en est fini des coups d'éclats de Sarkozy, de la suprématie allemande et de la fausse entente franco-britannique. C'en est fini, également, des spéculations autour de l'Afghanistan, de la passivité vis à vis de la Syrie et des contradictions face aux provocations iraniennes.
La confidence d'un conseiller du Vice-President Joe Biden qui a été témoin de l'arrivée de François Hollande à la Maison Blanche est révélatrice: « L'impression a été surprenante et immédiate, devant ce nouveau président visiblement ouvert et ferme à la fois. Il n'a pas laissé échapper une seule minute. Nous nous attendions à une attitude plus timide étant donné son pouvoir tout neuf et compte tenu de l'attitude de son prédécesseur Sarkozy qui débarquait toujours ici avec armes et bagages, surexcité et brouillant toutes les pistes. Dès lors qu'il a parlé sur l'Afghanistan, nous avons su que la donne était changée et Obama a vite compris où était son intérêt. »
ANGELA MERKEL SÉDUITE PAR FRANÇOIS HOLLANDE
Le grand quotidien populaire américain USA Today résume la situation de manière claire au moment même où les huit représentants arrivaient sur les lieux de leurs discussions: « Face aux pressions économiques et politiques dans leurs pays, le président Obama et les dirigeants de l'Allemagne, de la France, du Canada, de l'Italie, de la Grande-Bretagne, de la Russie et du Japon se sont retrouvés dans le cadre décontracté de Laurel Lodge à Camp David pour chercher à établir un consensus, même si un plan d'action décisif semblait hors de portée à ce moment. »
A une Angela Merkel visiblement soucieuse, Barack Obama a discrètement glissé avec sympathie: « Eh bien, ce n'est pas facile pour vous en ce moment ». Celle-ci doit faire face, en effet, à un tollé dans son pays, après sa proposition qu'un referendum se tienne en Grèce sur la maintien dans la Zone Euro. Une proposition dont on a appris, de source proche du ministère des Affaires étrangères allemand, qu'elle était née de la première rencontre avec François Hollande voilà trois jours. Et l'on a pu constater sur place plusieurs apartés entre la Chancelière allemande et le Président français, qui ne laissent aucun doute sur l'entente des deux nouveaux partenaires. Un conseiller de l'Ambassade d'Allemagne à Washington nous a glissé: « Le choix de M. Eyrault comme Premier ministre de la France a changé beaucoup de choses. Cela a balayé en quelques heures beaucoup d'inquiétudes et réchauffé considérablement le climat entre Berlin et Paris. Nous allons faire du bon travail. »
Une complicité qui n'a pas échappé à la presse britannique, laquel ironise aujourd'hui sur le « couple à trois » Obama-Hollande-Merkel. Mais en Allemagne, le ton est tout autre. Ainsi et malgré la tempête suscité, le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung écrit aujourd'hui que « les 16 ministres des Finances de l'Eurogroupe ont demandé à leur collège grec de discuter à Athènes de la possibilité d'un référendum. » Il apparait donc clair que, sans avoir cherché à contrer ni provoquer la Chancelière, François Hollande l'a au contraire aidé à engager une inflexion de sa doctrine en lui offrant de prendre elle-même l'initiative, ce qui est perçu par le ministère allemand des Affaires étrangères comme le meilleur service que la France pouvait rendre à l'Allemagne qui était enfermée dans une attitude de plus en plus intenable en Europe.
USA Today y voit, par ricochet, une bonne nouvelle pour l'Amérique. Le quotidien cite ainsi Jeffrey Bergstrand, un ancien économiste de la Réserve fédérale et maintenant expert en finance internationale à l'Université de Notre Dame: « Avec Hollande maintenant entré en jeu, il va y avoir beaucoup de pression sur l'Allemagne, non seulement d'Hollande et d'Obama (...) pour pousser l'Allemagne davantage vers la croissance en Europe parce qu'il est nécéssaire qu'elle monte à bord ». Et USA Today n'y voit que des avantages: « Les responsables américains ont été encouragés par les discussions récentes en Europe pour desserer un peu la ceinture afin que les réductions de dépenses ne soient pas aussi profondes ou aussi rapides et que les dépenses sur les projets de travaux publics comme les routes et les écoles dans les régions d'Europe les plus faibles augmentent. Ils ont également remarqué la décision récente de l'Allemagne denégocier des salaires plus élevés du secteur public, un changement, disent-ils, qui pourrait avoir un effet d'entraînement positif sur la demande. Merkel a fait des gestes de conciliation, en disant dans une interview télévisée cette semaine qu'elle était ouverte à contribuer à stimuler l'économie grecque à condition que la Grèce honore ses engagements pour diminuer sa dette. » En résumé, la nouvelle position de l'Allemagne lui évite de se faire marginaliser à Camp David alors que nombre d'observateurs s'attendaient à son isolement sous l'effet combiné de l'arrivée de François Hollande et de la déterioriation des opinions à travers l'Europe.
UN TANDEM SPONTANÉ OBAMA-HOLLANDE
Le Wall Street Journal souligne ce matin avec clarté l'importance de la première rencontre entre Barack Obama et François Hollande hier et son enjeu pour le tenant de la Maison Blanche: « La rencontre entre le nouveau leader français et le président des États-Unis, au milieu d'un combat pour sa réélection, ne pouvait guère venir à un moment plus critique. La perspective que la Grèce pourrait quitter l'Euro attise les inquiétudes quant à la stabilité économique en Europe ou même le déclenchement d'une autre crise financière mondiale. C'est un souci particulier pour M. Obama, dont les perspectives pour les élections de Novembre reposent en grande partie sur la santé de l'économie américaine, et M. Hollande l'a bien compris. "Notre économie dépend de l'autre," at-il dit, assis à côté de M. Obama dans le Bureau ovale. "Ce qui se passe en Europe a un impact sur les États-Unis et vice-versa." La réunion de M. Obama avec M. Hollande a marqué le début d'un week-end au cours duquel il entend intensifier la pression sur les leaders mondiaux, en coulisses, pour les prochaines étapes dans le contrôle de la crise de la zone Euro (...) M. Obama (...) va utiliser le plus grand rassemblement de dirigeants mondiaux dans la retraite secrète présidentielle du Maryland pour approuver ensemble des mesures visant à stimuler la croissance économique, au lieu de se concentrer entièrement sur le serrage de ceinture. »
LA FIN DE L'AUSTÉRITÉ, UNE BONNE NOUVELLE POUR L'AMÉRIQUE
Le second quotidien du pays, le New York Times, a choisi de faire l'impasse de manière totalement ahurissante sur le Sommet du G8 dont la configuration ne lui plait guère, pour se concentrer sur le Sommet de l'OTAN où il perçoit le plus de difficultés. En revanche, le troisième quotidien, le Los Angeles Time, estime à son tour que la donne a profondément changé, et dans le bon sens, pour Washington: « Selon l'ancien chef de l'administration Obama, le conseiller économique Larry Summers, les efforts d'austérité sont "contre-productif" à la croissance. Dans une interview récente à Bloomberg TV, le lauréat du prix Nobel et économiste Paul Krugman a dit: «J'aurais aimé avoir eu tort pour le salut du monde" au sujet de sa prédiction selon laquelle les "austériens" (les partisans chevronnés de l'austérité, NDA) qui « faisaient pression pour l'austérité budgétaire détruiraient l'Europe. Ce sentiment trouve un écho dans des pays tels que les Pays-Bas, entre autres, qui ont annoncé qu'ils allaient recommencer à dépenser. Et la victoire du nouvellement élu président français François Hollande est une manifestation du rejet absolu des mesures d'austérité. »
CAMERON EN EMBUSCADE
En embuscade, le Premier ministre britannique David Cameron, qui a réservé un accueil glacial à François Hollande à l'Ambassade du Royaume-Uni à Washington, a déjà fait obstacle à plusieurs pistes de discussions sur lesquelles Barack Obama, François Hollande et Angela Merkel sont disposés à s'engager, et auxquels l'italien Mario Monti et le Portugais Barroso également présent prêtent une oreille attentive. On a remarqué plusieurs apartés entre David Cameron et son homologue japonais, ce dernier étant sur une ligne proche de Londres avec une vision obsessionnelle sur la finance. On peut donc compter sur David Cameron pour casser tout consensus final au Sommet du G8, et tenter de redorer son blason lors du Sommet de l'OTAN en essayant de placer la France en position difficile. Quant au russe Medvedev, avec lequel François Hollande s'est entretenu hier soir tard, son isolement n'est pas le moindre des problèmes pour les discussions qui s'annoncent à Chicago. Mais il fait face à une volonté clairement affiché d'Obama et d'Hollande d'avancer sur les dossiers syriens et iraniens entre autres. Sur ces deux volets, l'annonce immédiate d'une entente parfaite entre Washington et Paris a pris de court bon nombre d'observateurs. Afin d'enfoncer le clou, Barack Obama a choisi de faire entendre, hier soir, un avertissement fort à l'encontre de la Corée du Nord, et il n'a échappé à personne que son regard se tournait alors vers le représentant de Vladimir Poutine qui a joué la politique de la chaise vide, ainsi que des Chinois, actuellement en grande difficulté intérieure.
Il n'a donc fallu que quelques heures pour que les cartes soient rebattues à Washington où, cette fois-ci, l'on n'a pas vu de chef d'Etat tenter de faire un one-man show en marge des rencontres.
Les remarques sur l'entente franco-allemande et l'influence du choix de Jean-Marc Ayrault, germaniste et germanophile, sont éclairantes sur l'inflexion de la position allemande ces derniers jours.
On notera l'irruption de Cameron en party-crasher officiel, rien d'étonnant là-dessus puisque sur le plan économique il est le chef de fil des partisans de l'austérité malgré l'échec flagrant de cette politique au Royaume-Uni, et que sur le plan militaire il est traditionnellement le plus fidèle allié des USA au sein de l'OTAN et la bonne entente affichée entre Obama et Hollande le concurrence.
Le dernier point notable est que l'austérité commence à apparaître aux USA comme une très mauvaise politique, l'Europe faisant office de contre-exemple à ne pas suivre. Or le Parti Républicain s'est récemment déclarée partisan de l'austérité à la mode britannico-européenne, un revirement de l'opinion n'augurerait rien de bon pour le GOP à l'approche des élections, surtout si la baisse du chômage continue et que de nouveaux projets viennent stimuler l'économie.
Les prochaines semaines vont être intéressantes.