Jean Haëntjens est urbaniste et économiste et conseil en stratégies urbaines au cabinet Urbatopies auprès des collectivités locales et des administrations. Après Le pouvoir des villes (2008) et Urbatopies (2010), il vient de faire paraître La ville frugale chez FYP éditions. Derrière ce concept, Jean Haëntjens cherche à rendre accessible une autre forme de ville durable que celle que nous proposent de bâtir bien des architectes avec des bâtiments à haute qualité écologique intégrés dans des écoquartiers qui sont loin d'être accessibles à tous, financièrement parlant. Quelle ville durable voulons-nous ? Quelles stratégies urbaines concrètes devons-nous adopter pour commencer à organiser la ville dans une perspective post-pétrolière ? C'est tout l'enjeu que tente de dessiner Jean Haëntjens dans un petit livre livre très stimulant sur la forme des villes à venir.
Le modèle de la ville frugale
InternetActu.net : Pourquoi, avec "la ville frugale" avoir eu besoin de définir un autre concept de ville durable ?
Jean Haëntjens : Invité comme intervenant depuis longtemps dans de nombreux colloques internationaux sur la ville durable, je me suis rendu compte que ce concept était flou et peu opératoire. Qu'il recouvrait des réalités très différentes. Quand un maire vous demande ce que c'est, personne ne sait répondre de manière précise. Aujourd'hui, le durable que l'on propose n'est guère accessible et finançable. Un quartier durable, doté de tous les gadgets (toitures végétalisées, panneaux solaires...) revient trop cher du mètre carré. Beaucoup de villes se sont endettées pour mettre en place des lignes de tramways surdimensionnées... Ce modèle-là n'est pas reproductible, n'est pas fait pour tous. Et ce, alors que depuis deux ans, on cherche à anticiper le fait que les finances des collectivités locales ne vont cesser de se resserrer.
On a parlé de ville post-Kyoto pour le projet du Grand Paris, sans savoir vraiment comment traduire ces apports. Le concept de ville intelligente, qui est un sous-ensemble de celui de ville durable, n'est pas non plus très adapté aux réalités financières locales. Le concept de ville frugale permet justement de faire attention : l'idée est de faire une ville durable avec nos moyens, adaptée au contexte actuel. La ville frugale n'est pas un fantasme pour dans 50 ans, elle n'a pas pour but de reporter les décisions, mais au contraire, de permettre de commencer aujourd'hui, avec nos moyens.
L'idée de ville frugale porte aussi en elle l'idée que cette transition qui s'annonce ne se fera pas dans la contrainte. La ville de demain doit être vivable et agréable. Car l'un des autres fantasmes de la ville durable consiste à augmenter la densité de population en enfermant des gens dans d'immenses tours pour qu'ils consomment moins d'énergie (même s'il n'est pas prouvé que l'entassement diminue notre consommation globale !). La ville frugale s'inscrit également en réaction à cela. Il était important de proposer un modèle plus cohérent et de proposer des pistes pour le traduire concrètement et directement pour expliquer aux élus et aux techniciens les choix que cela implique.
InternetActu.net : La ville frugale est un modèle pour "préparer l'après pétrole", indique le sous-titre de votre livre. La civilisation de la voiture, sur laquelle s'est bâtie nos villes est en train de s'éteindre, expliquez-vous. Pourtant, vous n'êtes pas très radical sur l'effondrement de ce modèle. Vous expliquez, de manière très convaincante, que les villes de tailles intermédiaires doivent avoir l'ambition de ramener la voiture à moins de 50 % d'ici 2050, et qu'il faudra être moins ambitieux encore dans les villes plus petites, car l'essentiel de nos déplacements ruraux dépend de la voiture. Pourtant, à terme, la voiture est condamnée. Un jour il n'y aura plus de pétrole à mettre dedans ! Et il n'est pas sûr que nous trouvions les ressources alternatives pour en faire rouler autant qu'il en roule aujourd'hui...
Jean Haëntjens : Le réchauffement climatique ne parle pas aux gens. Certains l'ont contesté et il est difficilement maîtrisable à l'échelle locale : vous pouvez réduire vos émissions de carbone, mais si ce n'est pas le cas de la Chine ou de la ville voisine, ce n'est peut-être pas très motivant... Le film d'Al Gore, Une vérité qui dérange est un film d'épouvante, mais qui finalement n'a peut-être pas suffisamment d'impact direct : ceux qui l'ont vu ont repris leur 4x4 le lendemain. Il me semblait plus astucieux de substituer un objectif concret. Il est vraisemblable qu'on va avoir quelques soucis sur le prix du pétrole dans les années à venir. Imaginer un pétrole à 4 euros le litre, ça parle tout de suite aux gens. Si on ne relie pas la contrainte écologique à des contraintes très personnelles, on risque de parler dans le vide.
Les villes en transition sont parties sur cette idée. Comment le modèle urbain va-t-il résister face aux problèmes énergétiques à venir ? Dans la notion de ville frugale, il y a comment on se démerde. Car si on pense trop global, on risque de rester dans l'inaction. Mon souci a été d'être concret et de ramener à des réalités locales.
Le modèle de la ville frugale peut diviser par 4 la consommation d'énergie, ce n'est déjà pas si mal. C'est l'objectif du facteur 4 proposé par les pays européens consistant à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. Utiliser des véhicules moins gourmands en énergie pour rouler en ville permet de faire la moitié des économies. L'autre doit se gagner en utilisant des formes urbaines plus économes en espace pour économiser des déplacements. Bien sûr, l'objectif n'est pas hors de portée si on part d'un terrain vierge, mais il est évidemment plus difficile si on part de situations existantes et notamment si l'on part d'un périurbain très étalé tel qu'on le connaît chez nous.
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InternetActu.net : Votre ouvrage fait également une part belle au désir, c'est-à-dire vise à réintroduire du désir plutôt que d'être conduits par des choix liés à la catastrophe qui s'annonce. Vous mettez au centre de votre réflexion ce que les gens désirent. Attribuer une moindre place à la voiture, privilégier un habitat qui ne soit pas hyperdense ni trop lâche : ni l'immeuble, ni le pavillon, mais le modèle de l'îlot. Est-ce à dire que le risque du développement durable est d'oublier le désir, comme le suggérait Daniel Kaplan ?
Jean Haëntjens : La ville ne répondra pas aux désirs de tout le monde, même si les gens voudraient à la fois la campagne et les services. Tout le monde est prêt à renoncer à certains avantages si on lui propose des compensations. Il y a une souplesse, mais elle n'est pas extrême. On ne mettra pas les gens qui sont en maison individuelle dans des immeubles. Pour autant, ont-ils tous besoin de 1000 m² de jardins ? Tout cela est affaire de réglages personnels. Mais la ville doit offrir un niveau de qualité attractif. On ne pourra inverser un modèle uniquement par la contrainte, comme le proposent les péages autoroutiers. A Copenhague, 35 % des gens utilisent leurs vélos, et l'utilisent même sous la neige. Ils ont supprimé 5000 places de parking pour développer les terrasses de café. L'idée est bien celle d'une motivation positive. Le plaisir est une fonction de la ville. Nous avons besoin de plaisirs urbains. La ville doit offrir quelque chose en plus, ne pas proposer seulement un métro bondé de gens qu'on ne connait pas serrés comme des sardines. On ne réintroduira pas de la densité urbaine sans plaisir. Nous avons besoin de penser le charme, la capacité de rencontre, qu'on a parfois perdu dans des villes plus modernes, et qu'on n'a pas forcément trouvé dans la France des lotissements pavillonnaires.
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