Par:
Ferghane Azihari
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Ferghane Azihari est un libéral proudhonien, membre des Jeunes européens fédéralistes et du comité de rédaction du Taurillon.
Source et article complet iciLa solidarité sans l’État
Publié le 4 décembre 2014 dans Philosophie
Le Socialisme, le vrai, le beau, est celui qui se pratique en dehors du cadre du monopole de la violence légitime.
Par Ferghane Azihari.
Dans un article paru dans Le Monde diplomatique, Alain Supiot, professeur au Collège de France et titulaire de la chaire « État social et mondialisation » s’adonne à un vibrant plaidoyer en faveur de ce qu’il appelle « la solidarité ». Ses définitions de la solidarité sont pour la plupart bienveillantes : « Obligation envers les autres membres, la solidarité témoigne de la solidité d’une communauté […] Par l’égale dignité des citoyens qu’il met en œuvre, ce principe juridique forme le socle du développement humain […] À la différence de la charité […] la solidarité ne divise donc pas le monde entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent : tous doivent contribuer au régime selon leurs capacités, et tous ont le droit d’en bénéficier selon leurs besoins. »
Mais l’auteur se met hélas à entretenir volontairement la même imposture que tous les tenants du socialisme autoritaire, imposture déjà décrite par Frédéric Bastiat : « Le socialisme confond le gouvernement et la société. Dans l’esprit des socialistes, chaque fois que l’on refuse à l’État qu’il assume une mission, c’est comme si l’on refusait la chose en elle-même. On ne veut pas de l’instruction par l’État : c’est comme si l’on refusait l’instruction. On ne veut pas d’une religion d’État : c’est comme si l’on ne voulait pas de religion. On ne veut pas de l’égalisation par l’État : c’est comme si l’on rejetait l’égalité. Un peu comme si l’on refusait que les hommes mangent car nous sommes opposés à la culture du blé par l’État. »
Dans la même perspective, se dresser contre les régimes étatiques de sécurité sociale qui se targuent d’être performants grâce à leur monopole contraignant, cela équivaut pour les sociaux-étatistes à être « néo-libéral » et contre la notion de solidarité. Pourtant, en entachant la solidarité d’éléments étatiques, l’auteur corrompt cette définition ainsi que celle de l’obligation. Oui la solidarité et l’obligation sont tous deux consubstantielles au fait social. Mais l’obligation, si elle est un lien de droit entre deux ou plusieurs individus en vertu duquel certains sont débiteurs et d’autres créanciers, elle se définit avant toute chose par son caractère spontané et volontaire. S’obliger, c’est faire le choix d’être débiteur. Lorsque la dette est imposée par une personne autre que le débiteur lui-même, l’obligation se mue en contrainte et la solidarité en servitude.
L’État-providence contre la solidarité
Ainsi donc, l’auteur, en faisant l’apologie de la pseudo « solidarité » étatique qu’il enrobe d’un lyrisme nationaliste s’adresse à ses lecteurs avec un certain mépris. Car nul doute que ce personnage spécialisé dans les questions sociales, et qui bénéficie d’une des plus hautes distinctions universitaires de la République, connaît parfaitement l’histoire de l’État-providence en Europe. Pourquoi donc embellir son récit en refusant de dire la vérité ? Le fait est que l’État-providence, loin d’être apparu pour satisfaire des impératifs humanistes et égalitaristes ô combien légitimes, s’est au contraire affirmé pour mieux les brider.
C’est en Allemagne sous le très conservateur et autoritaire Otto von Bismarck que naît l’État-providence à l’européenne. Celui-ci déclarait notamment : « Mon idée était de persuader – ou devrais-je dire de corrompre – la classe prolétarienne pour qu’elle voie en l’État une institution sociale érigée pour elle et veillant à son bien-être. » L’État-providence s’est en effet construit contre les solidarités spontanées dans le seul objectif de rendre les masses plus dépendantes des bureaucraties nouvellement nationales (le nationalisme ne suffisait apparemment pas à « fédérer » tout le monde) pour conforter le contrôle social des élites politico-économiques dominantes et étouffer les velléités libertaires de la classe ouvrière.
Bien évidemment, l’auteur n’oublie pas de mentionner les solidarités privées. Mais il vante curieusement un modèle dans lequel celles-ci seraient dominées et contrôlées par une « solidarité étatique » aux allures hiérarchiques et qui a le don de pervertir les mouvements associatifs spontanés en les faisant dégénérer en corporations déconnectées des réalités individuelles et sociales. Doit-on par exemple rappeler le taux catastrophique de syndicalisation en France ?
C’est exactement ce que fait remarquer son collègue Pierre Rosanvallon en 1981 (déjà !) quand il décrit dans La Crise de l’État-providence la transformation de la bureaucratie nationale en « État clientélaire » qui ne sert plus que ses propres intérêts de classe en se contentant de relayer les corporatismes. Ces derniers n’ont qu’un objectif : détourner la puissance publique pour s’accorder des avantages au détriment des autres. Le marché est ainsi dénaturé. Il n’est plus ce lieu d’échange de biens, de services, d’idées et de solidarités mais devient une arène dans laquelle chacun essaie de piller l’autre. On est très loin de cet idéal de solidarité officiellement promu par la social-bureaucratie.
Face au socialisme autoritaire, le socialisme libertaire
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