Alors que de plus en plus de familles se retrouvent à la rue, le gouvernement resserre encore les crédits du Samu social. Reportage sur le travail si nécessaire de ceux qui vont à la rencontre des gens de la rue.
Les budgets du Samu Social se resserre
Il ne nous avait pas habitués à de tels coups d’éclat. Xavier Emmanuelli a annoncé mercredi sa démission de la présidence du Samu social. Cofondateur de Médecins sans frontières dans les années 1970, il crée le Samu social en novembre 1996, avec l’appui de Jacques Chirac, maire de Paris. Mission : aller au-devant des gens de la rue qui ne peuvent plus appeler les secours.
Un numéro d’urgence, le 115, des centres d’hébergement et des nuitées d’hôtel, des maraudes de nuit à la rencontre des déshérités le Samu social pare au plus pressé. Mais, faute de moyens suffisants, trop de sans-abri dorment encore dans les rues. Alors que leur nombre a explosé, le Samu social se voit contraint de les réorienter vers les urgences hospitalières, elles-mêmes déjà débordées.
Organisation non gouvernementale, le Samu social est néanmoins financé à 92 % par l’Etat. Et celui-ci opère à présent des coupes franches. Son budget est passé de 110 millions d’euros en 2010 à 90 millions en 2011. La décision de Xavier Emmanuelli intervient après que le secrétaire d’Etat au logement Benoît Apparu a indiqué son intention d’amputer encore les crédits de 25 % et de supprimer 4.500 places dans les hôtels, au profit de logements pérennes d’ici à la fin de l’année. Une solution qui ne résoudra pas l’exclusion des plus pauvres, selon l’association Droit au logement (DAL).
Samedi, les salariés du Samu social ont organisé une marche solidaire pour protester contre le désengagement des pouvoirs publics. Leurs bannières : « réductions drastiques = conséquences drastiques », et… « La rue tue ».
Virée de nuit au Samu Social
Le voyage commence au coucher du soleil, dans une camionnette aux sièges couverts de plastique bleu qui sentent le désinfectant. Un voyage au pays des ombres. Car oui, c’est une véritable armée des ombres qui se lève et prend possession de Paris quand la ville dort. A la nuit tombée, on croise dans les rues de la capitale des hommes en marche, par dizaines. Ils longent les trottoirs, le plus souvent un sac en plastique usé à la main, contenant tous leurs biens. Des sans domicile fixe, comme on dit. Le mot est juste, pour qualifier ces êtres qui, passé 23 heures, parcourent la ville en tous sens car les risques d’agression y sont plus importants qu’en journée et qu’il vaut mieux, donc, ne pas s’endormir.
Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les maraudes du Samu social se relaient dans chaque quartier pour prendre soin des sans-abri, leur proposer un hébergement pour la nuit, un duvet, une soupe ou un café chaud, ou encore quelques minutes de conversation, tout simplement. En cette soirée douce de juillet, nous avons accompagné l’une d’entre elles dans les riches artères de l’Ouest parisien.
Au volant, Rémi, 37 ans, un grand gaillard dépêché comme chauffeur par la SNCF (partenaire du Samu social). A ses côtés, Claude, cheveux blancs et grosse moustache, infirmier de 52 ans qui semble en avoir vu d’autres, et Caroline, la blonde benjamine, 22 ans, assistante sociale pleine d’enthousiasme et de générosité. La maraude commence par les Champs-Elysées illuminés. Un particulier a appelé le 115 pour un signalement sur la place Franklin-Roosevelt mais l’homme reste introuvable. Peut-être ce jeune garçon à la station d’autobus ? Il s’éloigne en nous voyant. « La plupart refusent notre aide. Ils n’aiment pas les centres d’hébergement », explique Claude. Peur de manquer d’alcool, de perdre son coin de trottoir privilégié, ou souvenir d’une mauvaise expérience. « Les autres pensionnaires les renvoient à leur propre image. Pour certains, c’est difficile », ajoute Caroline.
Un monde parallèle
Assis à l’entrée d’un parking, rue de Washington, un Roumain aux airs de vieux sage décline aussi notre offre, mais accepte le café. Nous essayons de communiquer en anglais, en espagnol, avec des dessins. Pas facile. « La barrière de la langue est souvent un problème dans la rue. Il y a une forte proportion d’étrangers », signale Claude. En effet, au cours de la nuit, nous verrons que la planète entière se donne rendez-vous sur les trottoirs de Paris : Polonais, Russes, Hongrois, Afghans, Maliens…
Alors que nous remontons dans la camionnette aux couleurs bleu et blanc du Samu social, Luc s’approche spontanément. A 58 ans, voilà trois ans qu’il est dans la rue, après un « sale procès perdu et des dettes au fisc », raconte-t-il. Il dort le plus souvent dans des bureaux vides qu’il réussit à ouvrir et passe ses journées à lire à la bibliothèque du Centre Georges-Pompidou, « les auteurs du XVIIe, Thomas d’Aquin, Malebranche ». Luc n’a pas encore perdu le contact avec le monde réel, même s’il affirme préférer « la solitude pour mieux protéger (ses) affaires. » L’équipe le dépose au centre d’hébergement d’urgence de Montrouge.
Un monde parallèle. Des corps allongés dans les coins, le long des murs. Des gueules cassées attablées devant un plateau de cantine. On se connaît, mais on ne se parle pas trop. La confiance et l’amitié ne font pas partie du vocabulaire des SDF. L’humour, le naturel, et une certaine gaîté, si.
Là, dans la cour, s’entame une discussion surréaliste avec Patrick, un pensionnaire obsédé par l’hygiène. Au bord de la colère, il lance : « Les odeurs des centres “m’insuffissent” ! » Ce grand bonhomme dégingandé a manifestement un petit coup dans le nez, voire un petit grain dans la tête. « Est-ce que la folie mène à la rue, ou est-ce la rue qui mène à la folie ? » Après des années d’expérience, Claude se pose encore la question. Presque tous ceux que nous croiserons souffrent de quelques battements d’aile dans le cerveau.
Humour et tendresse
En quittant le centre, Caroline s’exclame spontanément : « J’adore ce job ! C’est vivant, on rencontre des numéros tous les jours. » Rémy, le chauffeur, renchérit : « On partage leurs histoires. Peu importe qu’elles soient vraies ou non. On n’est pas là pour vérifier mais pour les écouter. » Humour et tendresse, les deux qualités qui permettent de rester en phase avec ceux de la rue.
Il est un peu plus de minuit. Pas d’appels au 115. L’équipe décide d’aller rendre visite à Maria, avenue Kléber. Cette Angolaise de 42 ans se cache sous une couette, dans un renfoncement surélevé. A ses pieds, une serviette bien pliée, un sac plein de produits d’hygiène et une boîte à gâteaux. Une âme charitable les a déposés là hier, pendant son sommeil, mais Maria n’ose pas y toucher : « Ce n’est peut-être pas pour moi », s’inquiète-elle de sa voix à peine audible. « Si, Maria, c’est forcément pour vous », la rassure Caroline. Nous lui offrons une cigarette qu’elle écrasera soigneusement contre le mur. « Demain, je ferai le ménage. C’est ma maison ici, ça doit rester propre. » Mélange de douceur et d’inquiétude, Maria raconte son histoire, son arrivée, encore enfant, alors que ses parents fuyaient la guerre, la perte de son emploi de femme de chambre, puis celle de son appartement, il y a cinq ans. Il faut tendre l’oreille tant elle parle bas. Agressée récemment par une bande d’adolescents, la pauvre femme n’a plus confiance en personne. Elle accepte néanmoins une soupe, à condition que nous la partagions avec elle. Nous repartons après vingt minutes de conversation.
"Leur odeur les protège des agressions"
Non loin de là, boulevard Haussmann, Marc nous attend. Il a appelé le 115 depuis une cabine. 57 ans, un fort accent polonais. Et une forte odeur d’urine, aussi. Il veut aller dans un centre pour prendre une douche : « Quand je suis propre et rasé, les gens n’ont pas peur et ils me donnent deux ou trois euros ou un sandwich. » L’argent ou la sécurité, dans la rue, il faut choisir, car si l’odeur fait fuir les bonnes gens, elle protège aussi : « Ils se font moins agresser », nous apprend Caroline.
Sur la route vers Montrouge, nous faisons un détour par le boulevard Berthier, pour aller chercher Doriane. La star. Personnage mythique de la rue. Une trogne aussi attendrissante que cabossée. Voilà vingt-deux ans qu’elle vit dehors, après le décès de ses jumelles, Céline et Cécilia, d’une méningite. « Elles avaient 2 ans. C’est là que j’ai commencé à picoler… et je me suis fait niquer la g..... ! », bredouille-t-elle dans ce qui ressemble à un éclat de rire. Un rire qui protège du pire.
Doriane a du mal à marcher. Claude et Caroline l’aident à se lever et la soutiennent jusqu’à la camionnette. Elle les embrasse, refuse de lâcher la main de Caroline. Pleine de tendresse, jusqu’à l’instant suivant. Un mot qui lui déplaît. Elle ronchonne et se fâche. Sa spontanéité presque enfantine est caractéristique des gens de la rue, dépouillés des codes sociaux. En perdant tout, ils ont gagné le droit d’être eux-mêmes.
Nous croiserons encore Jessy, 20 ans, venu de Guadeloupe, dans la rue depuis trois mois et qui n’ose pas avouer son échec à sa famille ; Daniel, 65 ans et vingt-trois ans de galère, qui carbure à la Villageoise mais « maîtrise très bien son ébriété », selon Rémi qui les connaît tous ; Daniel, un Polonais de 25 ans, qui cherche du travail à Paris, pas encore trop abîmé ; et encore quelques gueules cassées de la vie, qui espèrent que la camionnette bleu et blanc viendra leur offrir un toit. Au moins pour cette nuit.
http://www.francesoir.fr/actualite/soci ... -du-samu-s…
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