Charles Péguy, un visionnaire ? Ses écrits sur le travail semblent en tout cas furieusement actuels...
Si on célébrait le 5 septembre dernier le centenaire de sa mort, Charles Péguy, tombé au champ d'honneur à 41 ans, reste pourtant un célèbre écrivain inconnu. Celui que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître (faites l'expérience autour de vous : Péguy ? C'est quoi son prénom ?) ne figure pas non plus sur les tables de chevet des plus de quarante. "Qu'avons-nous à faire des tourments d'un paysan normalien qui fut tout à la fois dreyfusard, catholique et socialiste, prophétique et désespéré ?", écrit Alain Finkielkraut dans "Le Mécontemporain, Péguy lecteur du monde moderne" (Gallimard).
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Redonner au travail le sens de l'ouvrage
Au travail oppressant et stressant, Péguy fait valoir un rapport au travail plus libre, de manière à laisser un espace suffisamment grand pour en (re)trouver le goût. On l'aurait presque oublié par ces temps de souffrance au travail. Ce qui est questionné aujourd'hui par Péguy, c'est l'urgence de redonner au travail sa place esthétique et humaine d'œuvre - et non uniquement d'ouvrage - qui ne soit plus uniquement régie par la seule logique de l'efficacité. Déjà, en 1913, dans "De l'Argent", il écrivait :"Nous avons connu un honneur du travail exactement le même que celui qui au Moyen âge régissait la main et le cœur. Nous avons connu ce soin poussé jusqu'à la perfection, égal dans l'ensemble, égal dans le plus infime détail. Nous avons connu cette piété de l'ouvrage bien faite poussée maintenue jusqu'à ses plus extrêmes exigences. J'ai vu toute mon enfance rempailler des chaises exactement du même esprit et du même cœur, et de la même main, que ce même peuple avait taillé ces cathédrales.(...) Que reste-t-il aujourd'hui de tout cela ? Comment a-t-on fait, du peuple le plus laborieux de la terre, du seul peuple qui aimait le travail pour le travail, et pour l'honneur, et pour travailler, ce peuple de saboteurs ? (...) Ce sera dans l'histoire une des plus grandes victoires et sans doute la seule de la démagogie bourgeoise intellectuelle".
"La liberté, c'est le courage"
"L'Argent", c'est le désespoir d'un homme qui voit disparaître ce qu'Orwell, appellera la common decency, c'est-à-dire cette aptitude du peuple à créer lui-même un réseau de solidarités, un ensemble de valeurs d'entraide, de "savoir-vivre" ensemble, détruite par un capitalisme qui aplanit définitivement la beauté du monde.
Jean-Luc Seigle observe :"Dans un marché de l'emploi où domine la précarité, les salariés ont plus intérêt à disparaître qu'à apparaître. A tous les niveaux de la société, le projet n'est pas de bien faire son travail mais de le conserver. Pour cela, les individus sont prêts à toutes les compromissions. Il ne faudrait pas que l'on se rassure en prétextant qu'on ne peut rien changer au système. C'est à chacun d'y apporter une certaine dose d'humanité. Pour paraphraser Marx, on pourrait dire que les hommes font le travail - l'histoire - mais ne savent pas qu'ils le -la- font."
En clair, il nous appartient, à la façon d'un Péguy engagé dans toutes les causes qu'il sentait en cohérence avec ses aspirations, de faire nôtre sa maxime : "La liberté, c'est le courage". Jean Jaurès, que Péguy a un temps soutenu, disait que l'humanité, c'est une parcelle en chaque individu qui lui permet d'être un rempart contre la résignation.
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"Tout est perdu, donc tout commence." "A condition de rejeter les compromissions. Péguy accordait plus de place au travail qu'aux idées. Péguy aimait la simplicité des gens de petite condition économique car ils ne cherchent pas à exploiter leurs prochains. Il aimait l'école laïque qui met tout le monde au même niveau. Il haïssait l'exclusion", rappelle Jean-Luc Seigle. On ferait bien de s'en inspirer au lieu de parler en permanence d'égalité. Déjà, en 1913, il constatait :"L'argent est tout, domine tout dans le monde moderne, à tel point, si entièrement, si totalement que la séparation horizontale des riches et des pauvres est devenue infiniment plus grave, plus coupante, plus absolue, si je puis dire, que la séparation verticale de races des juifs et des chrétiens".
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