Alors Quoi ? On Peut Plus Rien Dire ?
On a des fois tendance à (pré)supposer qu’il est sans doute un peu compliqué de poser au dissident, quand on est, sous régime UMPien, si près du manche, qu’on tient même son émolument d’un cacique du parti régimaire - Serge Dassault, pour ne pas le nommer.
Or : non.
Pas du tout.
C’est, au contraire, très facile : il suffit de se camper en victime d’une conspiration, non des blouses blanches (déjà pris), mais de
« censeurs » [1] complotant contre
« la liberté d’expression »(qui a du bon, mâme Dupont, dès lors qu’on la partage avec parcimonie).
Revenant sur
« le procès Zemmour », du nom du salarié de Serge Dassault (de l’UMP) qui fut la semaine dernière jugé pour avoir déclaré, urbi et orbi, comme dans un discours d’Isère du chef de l’État français, que
« la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait » [2] - revenant, disais-je, sur
« le procès Zemmour », le prédicateur vendredique du
Figaro (de Serge Dassault, de l’UMP), Ivan Rioufol, toujours très investi dans un orwellisme d’époque, dit ainsi que son cher
« confrère » - Éric Zemmour, donc [3] - est la proie de
« censeurs » [4] fermement décidés à lui étêter
« la liberté d’expression », aaaaah, les sales petites crapules
« soviétoïdes » [5].
L’intéressant, là, est que chacun(e), dès l’âge de trois ans et demi, peut (très) facilement vérifier ce qu’il en est, dans la vraie vie, de la censure d’Éric Zemmour.
Et si vraiment (et plus généralement) la liberté d’expression des salariés de Serge Dassault (de l’UMP) est menacée.
Et, même, si elle est, dans la réalité, (beaucoup) plus menacée (ou pas) que celle, disons, de Stéphane Hessel.
(Au hasard.)
Doncques : vérifions.
Et consultons, pour commencer, l’emploi du temps d’Ivan Rioufol, ces derniers jours - tel que lui-même le narre, sur son exaltant blog.
Le 3 janvier, il participe à
« un débat sur l’islam sur France O ».
Le 4 janvier, il participe à un débat sur LCI.
Le 6 janvier, quelques heures après que son prêche vendredique est paru dans
Le Figaro (de Serge Dassault, de l’UMP), il participe à l’émission “On refait le monde”, sur RTL (où son (cher)
« confrère » Zemmour a lu le matin sa dissertation quotidienne).
Le week-end : relâche.
(Mais le fan-club d’Ivan Rioufol peut maintenir le contact, en se connectant à son blog, sur le site du
Figaro (de Serge Dassault, de l’UMP).)
Le 12 janvier, les affaires reprennent : le gars, de nouveau, participe à l’émission “On refait le monde”, sur RTL (où son (cher)
« confrère » Zemmour a lu le matin sa dissertation quotidienne).
Le 14 janvier :
Le Figaro (qui n’a toujours pas changé de propriétaire) publie sa rédaction du vendredi.
Le 18 janvier : il participe à
« un débat sur Marine Le Pen dans “C dans l’air” », sur France 5 - qui est l’un des plus courus points d’eau de l’éditocratie.
Le 20 janvier : retour à “On refait le monde”, sur RTL (où son (cher)
« confrère » Zemmour a lu le matin sa dissertation quotidienne).
Et ainsi de suite.
Pas mal, pour un qu’on fait taire.
(On pourrait presque décider que si des comploteurs ourdissent de museler Ivan Rioufol, ces gens sont des brêles.)
Mais prenons maintenant, si tu veux bien [6], et pour mieux socler notre démonstration, une (petite) semaine, dans l’agenda médiatique d’Éric-Zemmour-le-censuré.
Lundi matin : Éric Zemmour est sur RTL.
Mardi matin : Éric Zemmour est sur RTL.
Mercredi matin : Éric Zemmour est sur RTL.
Jeudi matin : Éric Zemmour est sur RTL.
Vendredi matin : Éric Zemmour est sur RTL, et dans Le Figaro magazine (de Serge Dassault, de l’UMP).
Samedi matin, ravioli aussi : Éric Zemmour est sur i-Télé, dans “Ça se dispute”.
(Mais rassure-toi : ça se dispute gentiment.)
Samedi soir : Éric Zemmour est sur France 2, dans “On n’est pas couché”.
Dimanche : Éric Zemmour reprend des forces - puis, la semaine d’après, tout recommence.
(Et dans les (rares) moments où Éric Zemmour n’est ni sur RTL, ni dans Le Figaro, ni sur i-Télé, ni sur France 2 (ni dans Le Clairon du Tarn-et-Garonne) : Éric Zemmour peut se consacrer pleinement à réceptionner, dans son courageux combat contre la censure, et comme font toujours les authentiques dissidents, l’entier soutien du parti régimaire, et d’un corps préfectoral.)
En somme : c’est un festival.
En somme : il est rigoureusement impossible de rester plus d’un jour, dans ce pays, sans se cogner contre Zemmour à tous les coins de médias dominants.
Dans la vraie vie, donc, nous venons de l’établir : non seulement les salariés de Serge Dassault (de l’UMP) ne sont pas (du tout) censurés - mais ils passent même tant d’heures à donner partout leur avis, qu’on en finit par se demander à quels moments, exactement, ils trouvent le temps de se sustenter.
Pour autant : pouvons-nous pour de bon jurer que
« la liberté d’expression » se porte bien - merci pour elle -, dans la France d’après ?
Neuuun, mâme Dupont : dans la France d’après, la censure sévit.
Comme dans une péroraison d’Ivan Rioufol.
Ainsi : de conséquents démocrates
se prévalent ces jours-ci d’avoir fait annuler, avec le soutien, semble-t-il, du régime (dans la personne de Valérie Pécresse, qui est dit-on quelque chose dans le gouvernement de la France) et [7] de penseurs de gros niveau,
une conférence de Stéphane Hessel.
A-t-on, là-dessus, qui est quand même vaguement préoccupant, entendu ou lu quelque chose, du côté de chez Rioufol ou Zemmour ?
Les valeureux dissidents qu’émolume Serge Dassault (de l’UMP) se sont-ils émus que des
« censeurs », dûment soutenus par une ministre (de l’UMP), sautent à pieds joints, et pour de vrai, et d’une assez haute hauteur, sur
« la liberté d’expression » de Stéphane Hessel ?
Non point : la seule censure qui pour eux vaille est celle, imaginaire, qu’ils invoquent tous les jours, à tous les micros et sur tous les plateaux (et dans
Le Figaro), pour se justifier de réciter, obsessivement, sous le couvert du mal-pensisme, des mantras gouvernementaux d’où ressort que l’immigrance, mâme Dupont, rime fort avec la délinquance - ou que tant que l’Arabo-musulman(e) n’est qu’un(e), tout va bien, mais que dès qu’il y en a plus d’un(e), méfiance, mâme Dupont,
méééfiance.
Mais quant à la vraie censure, dirait-on : ils y consentent.
D’enthousiasme.
Puisqu’ils n’en disent mot.
Notes
[1] Jamais nommés, il va de soi, car cela montrerait que leur emprise médiatique est absolument nulle, rapportée à celle de leurs prétendues victimes.
[2] J’ai le droit de le dire, oui ? Ou si ayé, le NKVD va m’emparer ?
[3] Ils ont en commun de n’avoir que peu commenté
les pratiques électorales de leur employeur, vu que l’iconoclasme, c’est comme la
rousquille : goûteux, mais à condition de pas en abuser.
[4] Qui
« règnent par l’intimidation ».
[5] Ne ris pas, s’il te plaît : ce n’est pas tous les jours facile, pour Ivan Denissovitch Rioufol, de lutter seul contre Staline.
[6] Et si tu veux pas c’est pareil.
[7]
Mais d’aucuns démentent.