Nous avons intérêt de pouvoir peser,et d'avoir autre chose au gouvernement qu'un pinpin.
Attention à l'autre gouvernance mondiale LEMONDE.FR
L'Occident est bien peu attentif aux mouvements du Monde quand il n'en est pas l'auteur. Les Français eux-mêmes sont trop égocentrés. Le week-end dernier en Chine, à Boao (Hainan), le sommet des BRICS, réunissant les Chefs d'état du Brésil, de la Russie, de l'Inde, de la Chine et de l'Afrique du Sud m'a semblé infléchir sérieusement la mondialisation : ce qui était global donc unificateur devient complexe donc pluriel.
Les membres du "Boao forum for Asia", parmi lesquels une toute petite poignée d'occidentaux, ont été invites a participer aux conclusions de ce sommet stratégique, dans l'indifférence générale des Pays développés. Erreur de l'Ouest. Ce G5 a bien l'intention de prendre toute sa place dans la gouvernance mondiale, par sa diplomatie et par son économie mêlées.
Avec de hauts niveaux de croissance et de véritables efforts de maîtrise budgétaire, notamment au Brésil et des réserves considérables, liées à l'épargne populaire en Chine, ce "bloc" a bien conscience des "services"qu'il rend à l'économie mondiale.
Quelques éléments sont particulièrement marquants :
- Ces 5 pays sont dirigés par 5 leaders mondiaux, tous connus et reconnus sur la scène mondiale. La dénomination du sommet était claire :"BRICS Leaders Meeting". Sur chacun de leur continent, ces 5 leaders exercent une influence mondiale. Ensemble ils "pèsent" près de la moitié de la planète. Au sein d'une gouvernance mondiale qui valorise le leadership, dont Barack Obama, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel,… que pratiquent en permanence, les pays émergents ne sont pas en reste.
Le Leadership est maintenant accessible a tous.
- Les BRICS semblent partager un programme commun :
Solidarité : Ensemble, ils veulent peser sur la reforme du système mondial, financier et monétaire : "we can not let foreign capital come and go as it pleases". Cette solidarité s'affiche réciproque : on a même entendu la Chine plaider pour l'entrée de la Russie dans l'OMC. Ils sont à la recherche de projets communs, métissés, pour lesquels l'immigration créatrice sera encouragée donc légale!
Inflation : L'inquiétude chinoise rejoint ici les préoccupations brésiliennes face à un rythme d'inflation qui au Brésil était en janvier sur une projection annuelle de 6%. Les BRICS vont mieux coordonner sur ce point leur lutte commune. L'Europe n'est pas exemptée de cette inquiétude, pour nous le niveau de dette alourdit la gravite du sujet.
Croissance : Les 5 font de la recherche de la "nouvelle croissance"une priorité partagée : croissance moins gourmande en carbone et moins génératrice d'inégalités que la croissance traditionnelle occidentale. Le XIIe plan chinois propose ainsi une croissance verte (économie d'énergie, énergies renouvelables, villes vertes,...) et une croissance sociale (logements, protection sociale, santé, rééquilibrage du territoire,...) sujets consensuels parmi les 5.
Comme le leadership, la vertu du développement durable n'est pas "une chasse gardée".
La paix, dernier message, non le moindre. Le sommet des BRICS a été précède par un appel du président Hu Jintao pour un cessez le feu en Libye. L'émergence se veut pacifique et s'affiche comme telle ! Le message prend de la force par le contraste avec le monde occidental engagé militairement sur un grand nombre de théâtres. On en reste ici à la dissuasion.
Cette stratégie des BRICS ne devrait pas poser trop de problèmes à la diplomatie française qui s'est engagée, avec crédibilité, pour la reforme de la gouvernance mondiale. Nous entretenons avec chacun de ces pays d'excellentes relations.
Comme la Chine, la France se place à l'intérieur de nombreux cercles à l'intersection desquels elle recherche les positions favorables à ses convictions et ses intérêts.
Cela nous impose néanmoins une vision plus complexe que simplificatrice de la mondialisation et une accentuation de notre action extérieure en privilégiant davantage notre diplomatie économique.
Jean-Pierre Raffarin, ancien premier ministre vice-président du Sénat