La décision est prise et c'est un soulagement. David Darmon vient de démissionner. Le jeune homme de 21 ans, en deuxième année d'histoire à l'université de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise), se pose à la cafétéria. Il parle longuement, semblant goûter ce moment où le dilemme, enfin, est tranché. "Entre travail et études, j'ai choisi mes études", lâche-t-il.
Depuis septembre 2012, David était employé polyvalent chez McDonald's. Travailler n'a jamais rebuté cet étudiant qui vient d'un BEP vente, suivi d'un bac professionnel services. A 16 ans, il faisait déjà des extras dans un restaurant, certains soirs. Mais chez McDo, il a craqué, renonçant à son contrat de 20 heures hebdomadaires payées 600 euros par mois. Deux soirs de semaine en cuisine ou en salle, de 19 heures à 23 h 30. Les samedis et dimanches de 12 à 15 heures, puis de 19 à 22-23 heures. Avec des cours tous les jours.
"FAC-BOULOT-DODO"
"On me rajoute des heures, je ne peux pas dire non. Je rentre à la maison à minuit passé, je démarre en fac à 8 h 30. Je suis limite en train de m'endormir en cours. Avant, je lisais dans le bus, maintenant je dors. C'est fac-boulot-dodo. Je ne vis plus. Et je vais avoir 22 ans ! Ce n'est pas humain." Par rapport aux autres, David, qui a déjà redoublé une année, sent qu'il a pris du retard. Son inquiétude monte. Il va chercher un boulot moins prenant.
Entre-temps, il faudra vivre chichement parce qu'à la maison c'est "ric-rac". "Je vais limiter les sorties. Diminuer les clopes. Le midi, prendre un sandwich chez Auchan à 1,20 euro plutôt que ceux de la cafète à 3 euros. Ça peut faire 60 euros de différence à la fin du mois..."
Chaque année, davantage d'étudiants travaillent durant l'année universitaire pour alléger le poids financier que portent leurs parents. Selon la dernière enquête de l'Observatoire de la vie étudiante en 2010, ils seraient 50 % dans ce cas – soit 4 points de plus qu'en 2006. Si l'on tient compte des mois d'été, la proportion grimpe à 73 %.
UN ÉTUDIANT SUR DEUX
Valérie Becquet est maître de conférences en sociologie à l'université de Cergy. Le travail étudiant, elle l'a "vu monter". Bon nombre de ses élèves, dont les cours sont concentrés sur deux jours et demi par semaine, œuvrent comme aides-éducateurs ou médiateurs de réussite le reste du temps. Impossible, désormais, pour un professeur, d'ignorer qu'un étudiant sur deux doit gagner de l'argent tout en se formant.
"Avec la crise économique qui touche leurs parents et la montée du coût des études, ils en ont besoin pour vivre. Nous sommes obligés de tenir compte de leur état de fatigue. D'allonger les délais de remise des devoirs, de moins attendre de lectures personnelles, d'enrichir les cours pour qu'ils se suffisent à eux-mêmes. Tous les enseignants sont confrontés à cela." A ces étudiants qui manquent certains cours ou les quittent en plein milieu, pour filer au boulot.
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"FIÈRE DE CE DÉBUT D'INDÉPENDANCE"
Un discours de responsabilité que nous tient de toutes parts cette génération élevée dans la crise perpétuelle. "A mon âge, le travail, c'est une question d'estime de soi", décrète même Léo Benhadda, 24 ans, en master 1 de management. Onze heures par semaine, il remplit caddies et coffres de voitures chez Chronodrive. De 18 h 30 à 20 h 30, trois soirs par semaine, et le samedi de 6 heures du matin à midi. Pour 450 euros par mois. "Je suis d'une famille moyenne, ma mère est fonctionnaire territoriale, mon père intermittent du spectacle. J'ai deux frère et soeur. Je ne me vois pas leur demander 20 euros pour un vêtement."
Dina El Ahmadi, 20 ans, cumule sa première année de licence anglais-espagnol avec un emploi (18 heures par semaine) d'assistante d'éducation dans un collège de Cergy, pour "ne pas abuser". "A la maison, ça ne se voit pas dans la vie de tous les jours que c'est serré, mais quand on le sait, on ne peut plus se permettre de faire des chichis." Sorties, vêtements, cosmétiques sont donc de son ressort. Et quand elle peut payer deux ou trois factures, elle sait que sa mère sera "plus tranquille dans sa tête". Et elle, "fière de ce début d'indépendance".
Initiation cher payée. Dina remplit son contrat en deux nuits d'internat, en milieu de semaine (de 17 heures à 8 h 15). De courtes nuits où elle ne se couche qu'à 1 heure pour se réveiller cinq heures plus tard.
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LE SENTIMENT D'APPRENDRE
Dina, Léo et les autres vivent dans la "peur" – le mot revient sans cesse – du partiel suivant, de l'échec, de la conciliation impossible entre leurs deux moitiés de vie. Léo a redoublé en licence, alors qu'il trimait le week-end chez Quick. Il a "la hantise que ça se reproduise". Enchaîner journée de cours, train, puis Chronodrive, avec les commandes à préparer en cinq minutes... "C'est quand même fatigant physiquement, je n'ai pas forcément l'énergie ni le temps d'approfondir les cours." Ni de profiter de la vie de campus. Sacrifiée. "Le cliché de l'étudiant qui fait la fête, ce n'est pas vraiment ça..."
Le rapport au réel, lui, s'en trouve aiguisé. Léo, avec sa "famille moyenne qui paie beaucoup d'impôts mais n'a pas droit aux bourses", envie ceux qui n'ont pas besoin de travailler, qui ont déjà le permis et la voiture. Il saute désormais aux yeux de David que tout coûte cher : "Un verre à Paris, 5 euros, incroyable ! Du coup, j'ai réalisé qu'un salaire à 1 200 euros ne suffirait peut-être pas."
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