Je remonte au début du XXième siècle. Avant 1940, la IIIième République demeure un régime libéral, héritier de Guizot, du 2nd Empire. L’Etat est minimum, l’entreprise est la règle et nos infrastructures datent de cette époque pour nombre d’entre elles.
Le syndicalisme révolutionnaire et la Charte d’Amiens :
Le 8 octobre 1906 nait la Charte d’Amiens, les délégués CGT adoptent une charte fondatrice du syndicalisme révolutionnaire. Je cite : « (le syndicalisme) prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expatriation capitaliste. Il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ». 11 ans avant la Révolution Russe de 1917, voilà qui plante le décor. Notons qu’aujourd’hui, 4 syndicats se réclament de cette Charte d’Amiens : CGT, FO, Sud et la CFDT (qui est pourtant une scission du syndicat chrétien CFTC).
Résultat de la Charte d’Amiens : le syndicalisme est condamné au nanisme en terme de militantisme et de dialogue social, et à la pression par la terreur, la grève. La CGT comptait 300 000 adhérents début 1914, là où les syndicats allemands ou britanniques en comptaient déjà plus de 4 millions. La production de ce syndicalisme sera à l’échelle, malgré l’épisode Front Populaire.
Le Front Populaire :
Vous pensez tous que le Front Populaire est la base du modèle français. Le gouvernement du Front Populaire constitué de la SFIO (Blum), des Radicaux-Socialistes (Daladier) , du PCF(Thorez). Le Front Populaire s’écroule rapidement, l’économie de l’époque ne pouvant supporter de telles dépenses. Notez que Daladier revient dès 1938 à la semaine de 48 heures.
« Le gouvernement restaure la paix sociale en signant avec les représentants patronaux et syndicaux les accords Matignon dans la nuit du 7 au 8 juin 1936 (l'hôtel Matignon est la résidence du président du Conseil).
Les accords prévoient des augmentations de salaires, l'élection de délégués ouvriers dans les usines, l'établissement de contrats collectifs et non plus individuels... Le travail reprend peu à peu dans les entreprises.
Léon Blum mène tambour battant des réformes sociales spectaculaires : congés payés (11 juin 1936) et semaine de 40 heures (12 juin 1936) pour tous les salariés.
Il réforme l'organisation de la Banque de France (24 juillet 1936). Il nationalise aussi les principales usines d'armement (11 août 1936) et crée un Office interprofessionnel du Blé (15 août 1936) pour maîtriser le cours des céréales. Le 31 décembre 1936, Léon Blum prend le temps de savourer l'oeuvre accomplie : «Il est revenu un espoir, un goût du travail, un goût de la vie». »
Source : https://www.herodote.net/3_mai_1936-eve ... 360503.php
Ajoutons la création de la SNCF pour laquelle nous allons encore payer … Mais in fine, le Front Populaire a pris des mesures d’urgence pour répondre à la crise sociale qui l’avait porté au pouvoir, et il y eut peu d’avancées organisationnelles et structurelles mises en place.
Le Front Populaire a donné beaucoup. Pourtant, si vous comparez à la France de 2016, nous sommes si loin dans la bureaucratie, l’état-providence, l’assistanat. Qu’est il arrivé depuis pour atteindre cet Etat sclérosé, endetté ? Lisez la suite …
Le Régime de Vichy et l’Etat Français :
Le 16 juin 1940, le Maréchal Pétain devient Président du Conseil, et il signe l’Armistice le 22 juin 1940. Commence le Régime de Vichy ou Etat Français. Je ne vais pas vous parler de la collaboration ou de la Shoah, ce ne sont pas les sujets.
Il est un fait : le Maréchal est un militaire, penseur de droite ultra-conservatrice (proche de l’Action Française) et donc un tenant de l’Etat. Il sera entouré d’hommes divers venant de la droite la plus conservatrice aussi bien que d’hommes des pires gauches. Inutile de dire que Pétain et son régime sont dans l’air du temps, de régimes libéraux dans le monde des années 1940 ne subsistent que les USA, le RU et le Commonwealth. Le reste n’est que colonie inféodées, régimes militaires fascistes, empires hégémoniques et bien entendu les « oncles Joseph et Adolf ».
Vichy produit beaucoup de textes et de fait l’Etat tel qu’il est aujourd’hui. La philosophie qui se met en place s’appelle le « planisme ». L’Etat Français s’occupe de tout : administration très renforcée, lois à volontés, planification économique, paternalisme social ( Travail, Famille, …). De ces 4 années peu heureuses datent l’Etat tel qu’il est aujourd’hui.
L'historien américain spécialiste de Vichy Robert Paxton estimait que « c’est dans l'administration publique, dans la modernisation et la planification économique que les mesures – et le personnel – de Vichy se perpétuent avec le plus d’évidence » après 1945.
Parmi les innovations innombrables du Régime de Vichy, vous pouvez noter :
Source : http://www.wikiberal.org/wiki/R%C3%A9gime_de_VichyCiter:
Les premières mesures d'aménagement du territoire ;
La création des premières administrations régionales ;
Le début de la politique publique d'urbanisme qui fit tant de désastres ;
Les premiers projets de villes nouvelles ;
La création de grandes bureaucraties ;
La fusion de la Compagnie du Métropolitain de Paris et de la Société des Transports en Commun de la Région parisienne dont le nouvel ensemble prendra le nom de RATP en 1948 ;
La création des Comités Sociaux d'Entreprise dont les pouvoirs seront renforcés en 45 et prendront le nom de comités d'entreprise ;
La création de la médecine du travail ;
La fondation de l'Institut National d'Hygiène qui deviendra en 1964 l'INSERM ;
La retraite par répartition : le décret-loi du 14 mars 1941 "réforme" l'assurance-vieillesse pour imposer le système de la répartition à la place du système de la capitalisation, en créant une allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS), indépendante des "cotisations versées". Les fonds des caisses vieillesse privées (20 milliards de francs de l'époque) sont confisqués (ils deviennent inutiles dans le cadre de la répartition et permettent de financer immédiatement l'allocation) ;
le numéro de sécurité sociale, inventé par le contrôleur général de l'Armée René Carmille (« numéro de Français »), destiné à ficher la population (le "code sexe" à un chiffre servait aussi à recenser les juifs, les musulmans d’Algérie, les étrangers...)
Liste de quelques mesures héritées de Vichy et toujours en vigueur selon l'historienne Cécile Desprairies :
le "délit de non-assistance à personne en danger", qui a été conçu dans le but d'obliger les Français à porter secours aux soldats allemands blessés (par les attentats communistes), loi nazie existant aujourd'hui seulement en France et en Allemagne,
essais de sirène chaque premier mercredi du mois,
l'institution de la police nationale (au lieu des gardes champêtres et polices municipales), dont l'uniforme est calqué sur celui des Allemands,
du salaire minimum (loi du 4 octobre 1941),
du carnet de santé,
la réorganisation statutaire du cinéma, des professions de médecin et d'architecte,
la création de l'hôpital public,
de la carte hebdomadaire ouvrant droit à une réduction dans les transports,
la mise en place d'une loi « sur la protection des naissances » que l'on traduira par « accouchement sous X »
la carte d'identité,
la licence IV,
l'extension des allocations familiales,
l'heure d'hiver,
le rugby à XV,
le sport au bac,
la retraite à 60 ans,
le statut de PDG,
la fête des mères.
La légende du CNR :
Martinez faisait référence il y a peu au pacte/texte du Conseil Général de la Résistance, taboo intouchable. Qu’en est il ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme ... A9sistance
C’est plus une légende qu’autre chose, même si les mesures d’urgence prises à la libération s’en inspirent évidement. Le CNR a connu une vie difficile, notamment après l’arrestation et l’exécution de son Président Jean Moulin et de manière générale avec sa vie clandestine jusqu’à l’été 1944. Les idées du Programme du Conseil National de la Résistance sont clairement de gauche et communistes. Mais le PNR lui-même et notamment sa partie immédiate ne seront jamais appliqués , puisque le gouvernement provisoire s’installe à l’été 1944 et ne reconnait pas le programme.
Le CNR ne vivra pas longtemps, la résistance se disloque rapidement, la guerre froide approche.
Mais les idées sont là.
Les réformes de la libération (1944-1947) :
Revenons au réalisé de Vichy et à l’organisation laissée par l’Etat Français. Dans le contexte historique, qui aurait bien pu vouloir tout effacer ? Les communistes : certainement pas, la vision bureaucratique et étatiste planificatrice leur convient très bien. Les socialistes : plus réticents peut-être, mais globalement en phase avec les communistes. Le Général de Gaulle : mais le Général était tout à fait en phase avec Pétain sur nombre de sujets.
De Gaulle, Mémoires de Guerre :
« Si, dans le domaine économique et financier, ces technocrates de Vichy s’étaient conduitd, mamgré toutes les traverses, avec une incontestable habileté, d’autre part, les doctrines sociales de la Révolution Nationale, organisation corporative, Charte du Travail, privilèges de la famille, comportaient des idées qui n’étaient pas sans attraits. »
Vous l’aurez compris, on va garder l’Etat Français vite remaquillé, lui mettre un coup des bonnes idées communistes du CNR. On va nationaliser, bureaucratiser, distribuer des jobs aux copains et coquins.
Principales mesures prises entre 1944 et 1946 :
Citer:
• 26 août et 30 septembre 1944 organisation de la presse, interdiction des concentrations39 ;
• 13 décembre 1944, institution des Houillères du Nord-Pas-de-Calais ;
• 18 décembre 1944, contrôle de l'État sur la marine marchande ;
• 30 décembre 1944, relèvement des cotisations de la sécurité sociale30 ;
• 16 janvier 1945, nationalisation des Usines Renault avec confiscation des biens de Louis Renault ;
• 22 février 1945, institution des comités d'entreprise ;
• 29 mai 1945, transfert à l'État des actions de la société Gnome et Rhône ;
• 26 juin 1945, transfert à l'État des actions des compagnies Air France et Air Bleu ;
• 4 octobre 1945, ordonnance de base de la Sécurité sociale ;
• 17 octobre 1945, statut du fermage et du métayage.
• 2 décembre 1945, nationalisation de la Banque de France et de quatre grandes banques de dépôt.
• 18 janvier 1946, dépôt à l'Assemblée de projets de loi sur la nationalisation de l'électricité et du gaz
• 21 février 1946, rétablissement de la loi des quarante heures ;
• 28 mars 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l'électricité et du gaz ;
• 24 avril 1946, nationalisation des grandes compagnies d'assurances ;
• 25 avril, extension du nombre et des attributions des comités d'entreprises ;
• 26 avril 1946, généralisation de la Sécurité sociale incluant la Retraite des vieux.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme ... A9sistance
Le modèle étatique français est donc d’abord un héritage du Régime de Vichy qui a tué le libéralisme français, avec des couches rajoutées à la Libération par les gaullistes et les communistes, puis les couches de 1968 et 1981, pour arriver là où nous en sommes. La dépense publique était de 23% du PIB en 1950, 39% en 1970, 57% aujourd’hui. L’assistanat qui s’est développé progressivement dégoûte les gens de travailler. Nous avons 5,5 millions de chômeurs A+B+C , 1,7 million de bénéficiaires du RSA et 8 millions de pauvres. Ce qui ne nous empêche pas d’avoir 5,5 millions de fonctionnaires (là où des pays voisins comparables en ont 3 à 4 millions voire moins). Notre économie stagne, peu d’investissements et d’innovation, l’horizon semble bouché.
Je laisserai le mot final au récent Prix Nobel Jean Tirole : « l’idée du planisme issue du Régime de Vichy et reprise après-guerre doit faire place à l’Etat Arbitre ». C’est-à-dire à l’Etat recentré sur ses fonctions régaliennes.
Littératures de références: Le Point version papier n°2282 du 2 juin 2016. Articles de Clément Lacombe, Gaspard Koenig, FG Lorrain,Nicolas Baverez.