On parle régulièrement de l'abstention quand il y a une élection, donc j'ouvre un sujet sur ce thème, avec un article du Monde de 2004 mis à jour en 2010 :
Les non-inscrits. Non pris en compte dans le calcul de l'abstention, ils représentent toutefois quelque 10 % des Français en âge de voter, soit 4,3 millions de personnes qui, selon les recoupements effectués par l'Insee, n'ont pas fait la démarche de s'inscrire, ou de se réinscrire après un déménagement. Ce nombre, relativement stable, diminue légèrement à l'approche de scrutins importants.
Le politologue Pierre Bréchon distingue trois catégories de non-inscrits : les mobiles, qui changent souvent de domicile pour raison professionnelle, plutôt jeunes et urbains, bien intégrés socialement et autant politisés que la moyenne des Français ; les exclus, peu formés, aux emplois faiblement qualifiés et payés, qui se sentent frustrés et peu concernés par la vie politique ; enfin, les anarchistes, qui refusent de suivre la norme et l'Etat. Selon Jean-Marie Montel, délégué général de l'association Civisme et démocratie (Cidem), le nombre de ces dernières personnes, fortement politisées, a augmenté, et représente 10 à 15% des non-inscrits.
Environ 43 % des non-inscrits ont entre 18 et 24 ans. "Leur retrait temporaire de la scène électorale s'explique par des raisons plus structurelles, liées aux caractéristiques propres au temps de la jeunesse, et se traduisant par une sorte de 'moratoire électoral'", souligne Anne Muxel, politologue au Cevipof (Centre de recherches politiques de Science po/CNRS).
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Les abstentionnistes "durables". En 2002, 13 % des inscrits n'ont participé à aucun tour des élections présidentielles et législatives. Mais sur un temps plus long, leur nombre s'amoindrit. Le politologue François Héran, qui a suivi 400 000 électeurs entre 1995 et 1997, soit trois élections, a constaté que seulement 8 % d'entre eux s'étaient systématiquement abstenus. Ceux-ci sont plutôt citadins, peu diplômés, au chômage ou en emploi précaire. Plus nombreux parmi les 20-40 ans et les 80 ans et plus, ils sont souvent célibataires et locataires.
Les abstentionnistes intermittents. Ils forment la catégorie la plus dynamique du corps électoral. Entre 1995 et 1997, 43 % des inscrits ont voté à tous les tours des trois scrutins organisés, mais 49 % en ont sauté au moins un. Tandis que le vote systématique recule, passant de 55 % à 47 % entre 1995 et 2002, le vote intermittent évolue de 34 % à 40 %. "C'est bien la pratique de l'intermittence qui a le plus augmenté et qui définit un nouveau type de comportement électoral (1), souligne Anne Muxel.
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SOCIOLOGIE ET RAPPORT AU POLITIQUE
On peut, à la suite de Anne Muxel et Jérôme Jaffré, non plus seulement distinguer l'abstention sociale de l'abstention politique, mais, en se basant à la fois sur des caractéristiques sociologiques et le rapport à la politique, définir l'abstention "hors du jeu politique" et l'abstention "dans le jeu politique".
Les abstentionnistes "hors du jeu politique", pour reprendre les termes de Anne Muxel, se distinguent par un retrait de la politique et une certaine apathie. Ils sont plus nombreux chez les femmes, au sein des populations urbaines, populaires, faiblement instruites, en difficulté d'insertion sociale. Ils ne se reconnaissent pas dans le jeu politique, se sentent incompétents. Surtout, ils sont davantage porteurs d'un refus et d'une contestation de la société telle qu'elle est, d'une référence à l'ordre et à un certain anti-étatisme.
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Les abstentionnistes "dans le jeu politique". "Souvent jeunes, diplômés et plutôt favorisés quant aux conditions de leur insertion sociale, ils s'abstiennent sans qu'il s'agisse d'une désaffection politique et se remettent à voter dès qu'ils peuvent à nouveau se reconnaître dans l'offre électorale proposée. Leur abstention est le plus souvent intermittente", précise Anne Muxel. Lors de l'élection présidentielle de 2002, les "dans le jeu" représentaient les deux tiers des abstentionnistes, soit 18, 7 % des inscrits, contre 12,5% en 1995. Les abstentionnistes "hors jeu" formaient pour leur part 8,5 % des inscrits en 2002, en hausse de 0,5 % par rapport à 1995. "La poussée différentielle des usages de l'abstention signe une volonté de sanction politique, la généralisation d'un malaise par rapport aux programmes et aux candidats", estime Anne Muxel. Ces abstentionnistes "dans le jeu " se classent plutôt à gauche : en 2002, 62 % d'entre eux se déclaraient mécontents de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour, contre seulement 41% des " hors-jeu " , plus indifférents, mais aussi plus ouverts aux idées du Front national.
LES VARIATIONS DE L'ABSTENTION
L'abstention varie selon les types de scrutin. L'abstention est plus faible aux élections présidentielles, "considérées par les Français, à tort ou à raison, comme celles qui ont le plus de poids et d'importance symbolique, note Anne Muxel. Avec deux candidats au second tour, c'est aussi les plus simples à décrypter". L'abstention est surtout forte aux élections européennes, et ce, dans tous les pays de l'UE. En 2004, elle a atteint son record en France, à 57,2 %, quand la moyenne européenne s'établissait à 54,5 %. La faute à "un manque de lisibilité des enjeux politiques, mais aussi économiques et sociaux, qui lui sont propres", estime Anne Muxel. "Par ailleurs, la complexité des rouages de la représentation politique et des institutions de l'UE est telle que l'on ne peut pas reprocher à ses ressortissants de manifester leur perplexité en ne votant pas."
L'abstention varie avec l'enjeu et le contexte. Importante au premier tour de la présidentielle 2002, l'abstention s'est dissipée au second tour, la présence de Jean-Marie Le Pen mobilisant l'électorat. Elle est fortement remontée quelques semaines après, aux élections législatives : "Les Français estimaient le danger passé, et le jeu politique trop peu changé.
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La participation a encore augmenté au second tour des régionales, probablement pour confirmer la défaite de la droite. De façon générale, plus l'issue est incertaine, plus l'affrontement est frontal et clair, et plus les électeurs se mobilisent. En revanche, une offre politique réduite engendre souvent une baisse de la participation, notamment lors de scrutins où, au second tour, se maintenaient seulement le FN et un grand parti.
L'abstention varie selon la confiance dans la classe politique. Le sentiment que voter ne changera pas grand-chose, et un certain pessimisme génèrent l'abstention. Par exemple, la Slovaquie et la Pologne, qui ont enregistré 80 % d'abstention aux élections européennes. Or, selon un sondage Eurobaromètre publié mi-mai 2004 par la Commission, la Slovaquie était le pays où les citoyens s'attendaient le plus à ce que leur situation personnelle empire dans les douze prochains mois (41 %, quand la moyenne était de 31 %) , et la Pologne le pays dont les habitants craignaient le plus une détérioration de l'emploi .
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