Aujourd'hui il y aura 2 questions de la semaine, pour cette première question, je voulais vous poser une question sur les élites et le peuple, souvent on oppose ces deux expressions, et il me paraissait intéressant de vous interroger là dessus, pour lancer le débat voici un extrait d'article (de janvier 2014) :
La question de la semaine :Débat entre Marie-Françoise Bechtel, Vice-présidente du MRC et députée de l'Aisne, et l'essayiste Nicolas Baverez, paru dans l'Expansion (numéro de décembre 2013 - janvier 2014).
L’Expansion : Selon vous, toutes les élites se ressemblent-elles, forment-elles un tout uniforme, monolithique?
Marie-Françoise Bechtel. Certes, les élites comprennent plusieurs cercles : les politiques, les intellectuels, les dirigeants économiques. Mais tout ce petit monde converge vers une idée qui peut s’énoncer ainsi : il n’y a de moderne que la fuite en avant libérale et promondialisation. « La révolution conservatrice », selon l’expression de Pierre Bourdieu, a gagné tous les esprits. Cette convergence est d’autant plus forte que l’élite actuelle n’hérite pas, comme sous l’Ancien Régime, d’un privilège de naissance, ni même d’un rang social, mais d’un modèle culturel unique, qui forme un monolithe idéologique très puissant.
Nicolas Baverez. Toutes les démocraties sont aussi des oligarchies ; elles ne peuvent fonctionner qu’avec des élites, mais celles-ci doivent être plurielles, ouvertes, contestées. Or la France fait exception. La création de la Ve République a entraîné la disparition des notables et fait émerger une nouvelle élite de technocrates, qui a fusionné avec la classe politique et avec le monde de l’entreprise. Cette noblesse d’Etat a été efficace durant les Trente Glorieuses. Elle s’est révélée incapable de moderniser le pays dans l’après-guerre froide et la mondialisation. Elle est responsable de l’extinction de la croissance, du chômage de masse, de l’explosion de la dépense et de la dette publiques. Plus elle bloque l’économie et la société, plus elle revendique le monopole de la direction du pays. Les autres démocraties connaissent aussi une crise de leadership politique. Mais les élites sont diverses et soumises à la concurrence. La mondialisation ne produit donc pas de convergence des élites.
Marie-Françoise Bechtel. La spécificité française tient surtout à la détestation des élites envers la nation. C’est un trait fédérateur très troublant alors que, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, la crème du pays a le patriotisme chevillé au corps. Il faut se rappeler la tirade de Jean-Marie Messier, au début des années 2000, quand il qualifie les Etats-Unis de « vraie patrie des hommes d’affaires » avant de s’y installer. Il reconnaissait une autre nation que la sienne pour en faire un modèle universel. Toutes les élites ne l’expriment pas ainsi, mais beaucoup n’en pensent pas moins. Dans les années 90, elles se sont coulées dans le modèle anglo-saxon dominant, certaines de pouvoir tirer leur épingle du jeu de la mondialisation. Elles ne croient pas en la France. Des politiques comme Jean-Pierre Chevènement ou Arnaud Montebourg s’emploient à leur montrer le chemin inverse, mais c’est très difficile.
(...)
L’Expansion Les élites abusent-elles de cette accusation de « populisme » à l’égard de ceux qui les dénoncent?
N.B. La critique des élites ne doit pas être confondue avec le populisme. Dans une démocratie, il est légitime de contester les élites et les dirigeants. Et, à l’inverse, il est malsain d’ériger en tabous des questions clés pour la vie des citoyens, qu’il s’agisse d’immigration ou de l’hypothèse d’une sortie de l’euro. Le populisme ne se réduit pas à l’appel au peuple contre les élites, il comporte aussi le culte du leader, la critique radicale de la démocratie représentative, le nationalisme et la xénophobie, l’anticapitalisme, la fascination pour la violence. La configuration historique est très favorable au populisme, avec la perte du contrôle du monde par l’Occident, une crise du capitalisme, un choc déflationniste qui déstabilise les classes moyennes. Du coup, la révolution bascule à droite. C’était déjà la situation des années 30.
M.-F.B. L’opposition du populisme et de l’élitisme tient plutôt du langage codé. En France, on utilise surtout le mot « populisme » pour parler de l’extrême droite. Mais il y a des contestations populistes assez saines, comme celles qui ont fait élire une série de dirigeants en Amérique du Sud. En Europe, le populisme verse à la droite extrême. Pourquoi? Les peuples ont le sentiment d’avoir été dépossédés de leur souveraineté avec la complicité des élites, qui leur ont vendu Bruxelles comme une garantie de prospérité. Cette promesse non tenue se voit et crie sa vérité. Déjà, en 2005, les Pays-Bas et la France ont lancé un avertissement par voie référendaire en rejetant le projet constitutionnel européen, sans être entendus. Pour faire reculer l’extrême droite, et donc le populisme, les électeurs doivent se sentir maîtres de leur destin. Et, de ce point de vue, l’Europe a échoué, tout occupée qu’elle est à dépasser l’Etat nation.
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L’Expansion Est-il encore possible de réconcilier le peuple et les élites?
N.B. L’Europe a bon dos. Elle sert de bouc émissaire aux renoncements français. La France est en train de basculer du déclin relatif – par rapport aux autres nations – au déclin absolu –, avec l’enfermement dans la croissance zéro. De Gaulle disait que « la France ne fait des réformes qu’à l’occasion des révolutions ». Les élites issues de l’Etat, par leur incapacité à réformer, poussent la France vers la révolution. Qui ne sera pas guidée par les valeurs de la République.
M.-F.B. Pour les réconcilier, il faut que les deux parties – élite et peuple – reprennent confiance en la France. Facile à dire, pas facile à faire. Il y a des pistes – par exemple, une réorientation de l’épargne des ménages au bénéfice du redressement productif du pays. La France se relève toujours lorsque ses élites – de tout bord – s’unissent, tendues vers l’intérêt national. Exactement comme lors du Conseil national de la Résistance (CNR), en 1945, où droite et gauche se sont entendues au nom de la République.
Le divorce entre le peuple et les élites est-il consommé ? Comment les réconcilier ? [/b]