Les riches paient-ils vraiment autant d'impôts que les autres?
Par Emilie Lévêque -
Une note de Bercy récuse l'idée que les ménages les plus aisés paient moins d'impôts que les autres. Ces chiffres sont pourtant en contradiction avec les rapports publics officiels. Explications.
Le taux effectif d'imposition du revenu des 0,001% des foyerses plus riches n'atteint que 15% selon le CPO
REUTERS/Charles Platiau
Les 100 contribuables les plus riches auraient payé 36,5% d'impôt sur le revenu en 2010, ce qui est plus que les 1000 plus riches (taux moyen d'imposition de 35,4 %) et que les 100.000 premiers (28,3%). C'est ce qu'affirme une note récente réalisée par les services de Bercy, révèle le quotidien Les Echos ce lundi. Du grain à moudre pour le gouvernement dans le bras de fer qui s'annonce avec les parlementaires de la majorité lors du prochain débat budgétaire, concernant la taxe sur les riches.
Cette "contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus" a été fixée par François Fillon à 3% pour les ménages déclarant plus de 500 000 euros par part. Moins de 10.000 personnes seraient concernées par cette taxe, qui ne rapporterait que 200 millions d'euros par an. C'est pourquoi certains élus UMP sont bien décidés à en élargir le champ d'application. Notamment à abaisser son seuil d'assujettissement à 250 000, voire 100 000 euros par part.
Problème: à quoi correspondent précisément ces chiffres de Bercy? Contacté par L'Expansion, le cabinet de la ministre du Budget Valérie Pécresse a refusé de transmettre ni même de commenter ces informations. "Que signifie ce taux moyen d'imposition? Est-ce un taux effectif ou implicite? Sur quoi repose-t-il? Sur le revenu imposable, sur le revenu fiscal de référence ou sur l'ensemble des revenus, dont ceux du patrimoine?", s'interroge Vincent Drezet du Syndicat national unifié des impôts (Snui). Selon lui, les taux cités par Bercy peuvent être crédibles si on ajoute au taux d'imposition des revenus ceux sur le stock de patrimoine. Or il s'agit de deux types de fiscalité bien différents.
Les niches fiscales ont un effet de levier important pour les très riches
En outre, ces chiffres, qui témoigneraient d'une pression accrue de la fiscalité sur les très hauts revenus, sont "en totale contradiction" avec les rapports publics indépendants, souligne le député PS du Rhône Pierre-Alain Muet, spécialiste de la fiscalité. Un récent rapport du conseil des prélèvements obligatoires (CPO) démontre en effet que le taux moyen d'imposition sur le revenu diminue au sommet de la pyramide. Il culmine à 20,5 % pour les 0,1 % de contribuables déclarant les revenus les plus élevés (363 903 foyers), mais diminue ensuite à 17,5 % pour les 0,01% (3 523 foyers) les plus aisés et à 15% pour les derniers 0,001% (364 foyers). Ce taux est alors égal au taux applicable à un célibataire déclarant un revenu annuel de 45 700 euros.
Par ailleurs, le CPO démontre également que les plus riches des contribuables bénéficient le plus des niches fiscales. L'impact des crédits d'impôts sur le taux moyen d'imposition des 0,01% des plus riches atteint 1,6 point et 2,8 points pour les 0,001% les plus riches. Reste que même fortement réduit, le taux d'imposition effectif du revenu des très riches est quand même plus élevé que la moyenne des contribuables (9%). Sauf que les revenus d'activité occupent une part décroissante des revenus totaux au fur et à mesure que l'on monte dans la hiérarchie des revenus déclarés.
Les revenus du capital bénéficient d'une fiscalité avantageuse
La moitié des revenus des plus aisés (0,1% des foyers soit 35 000 foyers) sont des revenus du capital. Cette proportion grimpe à 75% pour les très riches (0,001% des foyers soit 364 foyers). Or ces revenus bénéficient d'une fiscalité beaucoup plus avantageuse que celle du travail. Les effets cumulés de l'abattement de 40% sur le montant des dividendes (la "raréfaction") et de l'abattement forfaitaire représentent ainsi une économie de près de 2 milliards d'euros pour les contribuables percevant des dividendes, selon le CPO. Le taux forfaitaire d'imposition (passé de 18% à 19% en 2009) sur les gains provenant de cessions de valeurs mobilières représente quant à lui un avantage de 1,7 milliard d'euros par rapport au barème.
Au final, tous impôts confondus (impôts sur le revenu, sur le capital, TVA et cotisation sociales sur les salaires), les 500 000 Français les plus riches ne s'acquitteraient que d'un taux moyen d'imposition de 35%, contre près de 45% pour les 50% de Français les plus modestes, selon les travaux récents des économistes Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez ("Pour une révolution fiscale. Un impôt sur le revenu pour le XXe siècle" au Seuil et le blog Révolution-fiscale.fr).