lLes nuits de Somalie

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Vincendix
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lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 24 févr. 2015, 19:18:51

Je vous propose un vieux souvenir de "voyage" dans une région déjà bien agitée dans les années 80, ce souvenir est un peu romancé.

Chapitre I


Amusant, le taxi qui m'emmène à Orly passe devant une enseigne lumineuse qui m'interpelle: Point Chaud. Je venais de bavarder avec mon patron, il m'avait demandé de faire un crochet par le siège, un pli à me remettre et il m'avait seriné, saoulé de recommandations, contrairement à son habitude.
- Fais attention Chris, sois très attentif, la corne de l’Afrique n'a rien d'un paradis touristique, la Somalie est un véritable enfer, l'un des points les plus chauds du globe, je te fais confiance, je regretterais presque de t'envoyer si je ne connaissais ta prudence et ta baraka légendaire, et puis j'ai une dette envers un vieil ami, un homme de cette région écartelée, un juif d’Éthiopie, il s'est réfugié dans une sorte de bulle d'air mais son air se raréfie de jour en jour, un reportage peut apporter un peu d'eau au moulin de la paix.
Rarement senti aussi tendu ce cher patron, pas très bien compris son histoire d'eau pour donner de l'air, ses paraboles sont quelquefois mal orientées, en attendant, il m'aurait presque foutu les jetons s’il n'avait ajouté une phrase magique, anodine pour lui mais tellement importante pour le petit curieux que je suis.
- Tu vas retrouver Léopold dans son oasis, entouré de ses hommes restés fidèles, de son épouse et de sa fille Salomé, lors de mon dernier voyage, cette gamine n'avait que treize ans mais elle était déjà d'une beauté rayonnante, à dix huit ans elle doit être éclatante.
De tels adjectifs dans la bouche du boss ne sont jamais surfaits, il est tellement radin que même dans ses conversations il cherche à faire des économies... Un vrai canon, une véritable bombe cette fille, je le pressens.
Dés que je me retrouvais dans l'ascenseur, j'avais oublié la première partie de son discours pour ne garder que Salomé en mémoire, cet arrêt à un feu rouge et la vue de cette enseigne agressive me ramènent un peu sur terre. Point chaud? Combien d'endroits peuvent revendiquer ce vocable sur notre planète, de plus en plus malheureusement... et ailleurs? et c'est toujours la même chose, mon esprit dépasse toujours le concret pour aller vagabonder sur des chemins plus agréables, je pense au point chaud de la ravissante Salomé. Ce point névralgique qui fait oublier tout le reste, quand je dis Salomé, je pourrais dire Magali ou Yoko, oui mais peut-être pas Fatou que des coutumes barbares ont privé du plaisir sexuel.
- Encore une manifestation dans le coin, ils nous emmerdent tous ces braillards, un rayon de soleil et ils sortent avec leurs pancartes.
Un bouchon, j’ai bien fait de prévoir le pire, de prendre de l'avance, je n'ai heureusement pas besoin de me pointer des heures avant le départ de l'avion, aucun bagage à enregistrer, mon sac contient l'essentiel, pour le reste, fidèle à mes habitudes, je compléterai sur place.
Salomé, un prénom de princesse, jamais connu de Salomé dans ma vie de voyageur, elle doit être remarquable celle-ci, je l'imagine, ses parents sont de religion juive mais de couleur, une princesse d’ébène, j'ai hâte de pouvoir admirer cette oeuvre d'art.
Je ne vais pas abonder dans le sens de mon chauffeur de taxi pourtant je serais tenter d'être de son avis, les manifestants, quelques soit les motifs de leurs revendications, devraient mettre un bémol à leurs hurlements populaires, je les invite gentiment à m'accompagner dans les deux tiers de la planète pour ne pas dire plus, ils auraient la frousse que leurs enfants ou petits-enfants ne vivent l'enfer que vivent tous ces pauvres gens qui n'ont même pas la force de gueuler ou pas le droit de manifester, j'admets que certains patrons ou responsables ne font pas leur boulot correctement mais qu'elle belle vie que la nôtre.
- Et les priorités!! Ma parole ce teuton se croit tout permis, faut pas te gêner pépère, tu t'crois encore en 40 avec ton gros char.
Ce fils de Bab el Oued est encore plus Gaulois qu'un Français de souche, il rouspète à chaque coin de rue, c'est dingue comme nous déteignons sur les nouveaux arrivants, ça c'est une intégration réussie.
Les quelques porteurs de banderoles, scandant des slogans comico-ringards se sont écoulés, je suis incapable de savoir quelle cause ils défendent ou quelle loi ils condamnent, à voir la faible mobilisation, il s'agit d'un problème interne à une catégorie bien précise de citoyens, problème qui devrait se régler au sein d'une entreprise ou d'une administration et qui s’étale dans la rue, à qui la faute?
Tout arrive, même le taxi à Orly et je suis en avance.

La totalité des passagers pour la destination prévue est dans la salle d'embarquement, plus aucune place assise et pour cause, des sacs et bagages de toutes sortes encombrent les sièges; plusieurs personnes sont debout, dont un couple de personnes âgées qui semblent souffrir de cette position inconfortable.
Non loin de moi, une véritable smala encombre une rangée de sièges, je m'adresse poliment au chef de famille, lui demandant de bien vouloir enlever ses paquets et dégager au moins deux places. Ma demande exprimée en Français restant lettre morte, je lui parle en anglais, il a compris mais me fait un geste significatif, rien à cirer de mes remarques, calmement, je pose ses sacs et cartons à terre et invite les anciens à prendre place, le gros moustachu ne réagit que faiblement, regardant de ses yeux glauques le couple s'asseoir.
- Merci monsieur, nous n'osions plus intervenir, nos quelques tentatives s'étant avérées vaines.
Distinguée la dame, le monsieur est visiblement heureux d'être enfin assis, il sourit béatement.
- Vous allez à Djibouti ...bien entendu suis-je sotte.
- Pour une première escale oui, ensuite je continue mon chemin.
- Nous habitons Djibouti, depuis plus d'un demi siècle, nous étions commerçants...vous connaissez cette ville cher monsieur?
- J'y suis passé à plusieurs reprises.
- Il faut être habitué pour vivre dans un tel lieu, auriez-vous un peu de temps pour accepter une invitation dans notre maison, comptiez-vous loger à Djibouti?
- A l'aller non, au retour il est possible que je séjourne deux ou trois jours dans cette charmante ville.
- Alors, ne manquez pas de nous rendre visite, nous avons une dette envers vous, Fernand, veux-tu donner une carte de visite à ce monsieur si gentil, inutile de nous prévenir, nous sommes en permanence à la maison, nous ne sortons que très rarement, ce voyage est probablement le dernier, mon époux voulait revoir sa région natale, le Limousin, mon Dieu que la France a changé, le modernisme a envahi la campagne, même les petits villages, c’est bien dommage.
Une hôtesse se met en place à la sortie, l'embarquement ne va tarder, la famille goujat père fils et compagnie se précipite, bousculant les autres passagers, une seconde hôtesse vient aider le couple à se diriger vers la porte et le fait sortir en priorité. La dame se retourne vers moi et me fait un geste amical. Première touche, mon voyage commence bien, je plaisante mais, malgré les 80 ans supposés, l'épouse de Fernand a conservé de beaux restes, nul doute qu'il y a quelques années, c'était une femme adulée, admirée. Elle est vêtue classiquement et son ensemble est du plus chic, son chemisier blanc bordé de dentelle ajoute un côté romantique à son aspect, ses cheveux sont impeccablement coiffés et ses jambes sont dignes d’intérêt; bizarrerie de la nature, combien de fois ai-je constaté que les jambes de certaines femmes ne changent jamais, ou si peu, c'est le cas de ma nouvelle amie; oh ! Garçon, tu délires, toi le chasseur de nanas en pleine bourre... dommage, un peu tard pour celle-ci, j'aime bien les grandes dames, souvent les plus ardentes dans l'intimité.
C'est chiant les voyages en avion, sièges un peu juste en classe affaires, mes petits vieux sont en première, certainement pas des fauchés, je m'en doutais un peu malgré la sobriété des bijoux affichés, raison de sécurité probablement, terminées les expositions permanentes et ambulantes de quincaillerie de luxe, les loustics qui rôdaillent dans tous les lieux publics sont à l'affût de mauvais coups.
J'avais tout fait pour ne pas être à proximité du crapaud à moustache, seulement, je ne pouvais éviter la présence de l'un de ses fils à mes côtés.
Je n’avais aucune envie d'entamer la conversation avec ce morveux d'une douzaine d'années, mais c'est lui qui m'adressait le premier la parole, en Français, avec un accent « moyen-oriental » assez prononcé.
- Vous, vous êtes un médecin sans frontières, j'ai remarqué tout de suite, vous avez bien fait de donner la place aux vieilles personnes.
Mes réponses évasives découragent le gamin, mon esprit vagabonde et il ne faut pas me déranger dans ces moments-là, je ressasse un peu la géographie et l'histoire de la région qui m'attend, région charnière de l'Afrique orientale, un mélange de races, d’ethnies et de religions provoquant des bouillonnements continuels, les foyers sont attisés et alimentés par des prophètes de malheur.
à suivre
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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Vincendix
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 01 mars 2015, 09:14:25

Amusante cette hôtesse qui nous présente les équipements habituels, un style original, je ne le quitte pas des yeux, elle s'en rend compte et s'efforce de contenir un fou rire latent; je la pousse à bout en mimant ses gestes saccadés, elle termine sa démonstration en se pinçant les lèvres, des lèvres appétissantes..
Quelques turbulences font crier les femmes, les hommes n'expriment pas mais je sais qu'ils ont autant la frousse, j'avoue que j'ai déjà eu la pétoche dans les airs, en particulier une fois, dans le sud-est asiatique, au-dessus de la Nouvelle-Guinée, l'appareil est littéralement tombé dans un trou d'air profond comme un gouffre du Périgord, je me voyais déjà en haut de l'affiche indiquant les noms des victimes de la catastrophe, j’étais le seul Européen.

A ma sortie des toilettes, je tombe nez à nez avec l'hôtesse clownesque.
- Vous je vous retiens, me faire ça, pour mon premier voyage, déjà que je trouvais cette démonstration ridicule et vous faites le pitre devant moi.
- Il fallait simplement éviter de me regarder bel enfant, je ne suis pas le seul passager.
- Ah c'est vrai j'aurais du y penser.
- Par contre, maintenant, vous pouvez... me regarder.
Les rires fusent.
- Vous voulez un café... monsieur?
- Votre première mission, cela s'arrose autrement qu'avec un café.
- D'accord, à terre alors quand je ne serai plus de service.
- Vous ne repartez pas aussitôt?
- Non, seulement demain midi.
- Nous pourrions passer la soirée ensemble?
Plusieurs années en arrière, je n’ose dire combien, j’avais neuf chances sur dix pour que cette phrase provoque une réaction brutale, j’ai même pris une magnifique claque...qui s’est prolongée par une nuit tout aussi magnifique.
- Je vais réfléchir, j'ai déjà plusieurs offres figurez-vous?
- Dans ce cas, choisissez un autre que moi, je suis une brute immonde et égoïste, aucun romantisme avec moi, vous seriez profondément déçue.
- Vous m'attendez à la sortie du personnel, OK. je m'appelle Carole et vous?
- Chris, à bientôt Carole.
Je n'avais pas prévu cette halte, et encore moins avec une hôtesse de l'air, elle commence bien sa carrière la blondinette aux yeux noisette, je veux bien être son écureuil d'une nuit.
Que c'est excitant de voir évoluer devant tout le monde celle qui va se dévoiler devant vous seul; c'est déjà une certaine jouissance, je commence à la déshabiller mentalement, à chacun de ses passages, je découvre une partie de son corps, j'en arrive bientôt à l'endroit stratégique, je fais durer le suspens.
Les turbulences me semblent de plus en plus fréquentes et de plus en plus sévères, lorsqu'un communiqué du pilote nous signale qu'un léger ennui l'oblige à se poser à Nicosie.
Panique à bord, malgré les appels au calme de Carole, une femme fait une crise de nerf, une autre tombe en pâmoison, le gros moustachu s’active de l'une à l'autre, un toubib ce goujat? Faut croire, il fait avaler des pilules aux deux dames; je comprends mieux les questions de son rejeton, son vieux est toubib, possible, mais des frontières il doit en avoir.
L'atterrissage est heurté et nous respirons tous en constatant que nous sommes sur la terre ferme et que l'avion ralentit pour stopper, quelques applaudissements spontanés de ceux qui croyaient leur dernière heure venue. La gentille Carole nous invite à descendre sans bousculade, je n'aime pas un tel incident, c’est un mauvais présage pour la suite de ma mission.
Deux heures d'attente dans l'aéroport Cypriote et nous remontons dans un autre zinc; je constate malheureusement que la petite hôtesse ne fait plus partie du personnel, et je n'avais pas osé aller au bout du déshabillage.
J'avais revu le couple de Djibouti il avait été dirigé vers l'infirmerie afin de se reposer au calme.
Le second avion nous amène sans coup férir sur l'aéroport d'Ambouli.
- Nous avons eu la peur de notre vie, c'est la première fois que nous subissons un tel incident aérien, et vous ?
La petite dame est encore toute tremblotante, pour Fernand, difficile à dire je l'ai toujours connu comme ça.
- Mais ce retard va modifier vos prévisions je suppose, acceptez-vous de dîner à la maison et d'y passer la nuit, nous avons largement de quoi vous héberger.
Bien vu mère-grand, ce contretemps m'empoisonne, il est trop tard pour contacter un passeur, le programme pour pénétrer le pays voisin et aboutir dans le fief de Léopold nécessite un bateau et son pilote.
Je me transforme en bon samaritain des Nouvelles Galeries, récupère les nombreuses valoches de mes futurs hôtes, pousse le chariot jusqu'à la voiture qui les attend.
Tabernacle comme diraient mes amis Québécois, pas une caisse à savon, le chauffeur n'est pas de Marseille non plus, mais pas vraiment noir, ses cheveux bouclés lui donne l'air d'un angelot, sa frangine, si il en a une doit être mignonne; je monte à côté de lui à son grand étonnement, tout juste affable cet Afar, c'est peut-être un Issa, je suis incapable de faire le distinguo, comment ces gens arrivent à se trouver une différence pour pouvoir se tirer dessus réciproquement sans se tromper ?
Nous passons à la périphérie de quartiers populaires et arrivons sur la côte orientale, le plateau du Serpent et ses villas; je me doutais bien que Fernand et son épouse créchaient dans ce secteur; nous arrivons, une grille bien hermétique, un mur bien haut, un parc bien grand et une demeure bien blanche.

Nous sommes attendus, une soubrette se précipite vers la voiture, certainement pas la frangine du chauffeur, la demoiselle est noir foncé, des yeux un peu voilés.
Une autre femme est en retrait, sur le pas de la porte, une blanche; mon oeil expert lui donne une cinquantaine d'années, vêtements stricts, allure stricte, bien faite, moulée dans un tailleur chic qui date, sa dernière visite à Paris doit dater également.
Mon incursion dans cette demeure déplaît, Adèle, la gouvernante rechigne à me montrer ma chambre, elle ne dit mot; j'ai une sainte horreur de ce genre de situation, j'attaque de front.
- Si je vous dérange, dites-moi le franchement, j'appelle un taxi et je disparais immédiatement.
- Qui vous parle de déranger, madame invite qui elle veut, c'est elle la patronne ici.
- Pourquoi cette hostilité, je vous fais peur, vous pensez que je vais vous quitter en emportant l’argenterie?
- Je n'ai jamais dis cela mais vous savez j'ai l'habitude avec madame, vingt cinq ans à son service.
- Vous étiez toute jeune alors, une fillette.
Flagorneur, tu sais que ce genre de compliment ouvre bien des portes, c'est encore le cas avec ce gendarme.
- J'avais vingt sept ans, vous êtes satisfait monsieur, que cherchez-vous exactement dans cette maison, auprès de madame Larivière?
- Absolument rien, pourquoi je devrais? Surtout pas son lit en tout cas, même si la dame Rivière est en crue.
- Vous êtes spirituel, mais ce genre de calembour est éculé dans notre entourage... vous n’êtes pas un intriguant comme beaucoup de votre race?
- De ma race, croyez-vous que je fasse partie d'une tribu spécialisée dans les intrigues, pourquoi cette interrogation?
- Pendant de nombreuses années, madame, au hasard des voyages, ramenait des ...parasites qui s'intéressaient plus à son argent qu'à sa propre personne.
Je rassure Adèle, lui résume la situation.
- Vous ne pensez tout de même qu'à son âge elle ait encore envie de faire des galipettes?
- Qui sait? Elle se croit toujours jeune, la dernière fois c'était il y à peine un an.
- J'espère qu'elle ne va pas me faire des propositions, je me sentirais incapable d'assumer.
- Vous les hommes vous n’êtes pas tellement regardant.
Ces bonnes femmes sont culottées, le contraire est beaucoup plus fréquent.
- Détrompez-vous mademoiselle Adèle, quand je suis amoureux d'une autre je ne cède jamais.-
- Ah! Vous êtes amoureux.
- Depuis peu, depuis mon arrivée, depuis votre apparition.
La gouvernante passe par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, je suis gonflé de faire une telle déclaration, c'est bien moi, comment cette femme va prendre cet aveu? Elle semble me croire, c'est le pire, je suis convaincant, je m'en veux, pas que l'idée de passer un moment avec Adèle me paraisse une corvée, loin de là, à part son visage un peu figé, son corps mérite certainement des attentions particulières.
- Vous êtes un coquin, je ne vous parle plus.
Mon vieux Chris, tu as foutu le feu dans le cœur d'Adèle, ailleurs aussi, tu n'as pas honte? Non, envie de me piquer au jeu, je devrais être en compagnie d'une jeune blonde, elle est restée en rade, je dois compenser, et puis pas d'état d'âme mon petit gars, qui sait si tu reviendras vivant de la mission en cours.
C'est vrai que la mère-grand minaude et glousse pendant tout le repas, elle me couve de ses yeux larmoyants de conjonctivite, elle va me demander d'aller la border, j'en ai bien peur; Adèle nous quitte, elle va mettre Fernand au lit et lui servir sa tisane, sans la présence de la jeune somalie qui commence à desservir, je me demande...
Le retour d'Adèle me rassure, c'est le moment de s'éclipser.
- Pardonnez-moi chère madame, puis-je me retirer, j'ai un programme chargé dans les jours à venir, je voudrais me reposer.
Madame Larivière n'exprime aucun sentiment, elle me tend la main négligemment.
- Alors bonne nuit monsieur Dumont, si vous partez à l'aube, je n'aurais pas le plaisir de vous saluer, je me lève tard, je suis une paresseuse; je compte sur vous à votre retour, nous vous retiendrons plusieurs jours, c'est d'accord n'est-ce-pas?
La moue gourmande de la vieille dame me dit qu'elle ne renonce pas, jamais été confronté à une telle situation, entendu parler oui bien sûr; il n'y a pas de quoi s'offusquer, combien de vieux barjots ne se posent aucune question pour trousser des poulettes.
Je guette les réactions de la gouvernante, elle trépigne, c’est bon signe; je la salue et tourne les talons.
- Un instant monsieur Dumont, je suis confuse, j'ai oublié de mettre du savon dans votre salle de bain, vous permettez je vais vous en chercher.
Ah les bonnes femmes, des roublardes, je comprends que tant d'hommes cocus ignorent tout, elles emploient des ruses de sioux pour arriver à leurs fins.
J'emboîte le pas de mon guide, à bonne distance de la salle à manger, Adèle se retourne, elle est rouge à éclater, en une fraction de seconde elle est dans mes bras, un baiser un peu timoré, elle est encore tendue, crispée; ce n'est rien, cela passera, je m'y entends pour débloquer les femmes rigides, pour réchauffer les femelles frigides.
- Je vous attends dans ma chambre, dès que possible.
- Pas avant une heure, la toilette de madame, le coucher, l'infusion...
La fatigue m'envahit, malgré le décalage horaire favorable, je marche avec le soleil, dans l'autre sens c'est pareil, ou le contraire, je suis capable de tenir plus de vingt heures sans roupiller.
Plus d'une heure que j'attends, encore un fiasco, c'est le jour des échecs avec les dames; peu de regrets, je suis déjà au cœur de ma mission et puis... Salomé, le boss m'a foutu cette vision dans le crâne, depuis, je fantasme.
Je somnole, un grattement sur la porte, c'est bien Adèle, j'ai un sursaut, c'est moi qui ai sollicité, maintenant je ne peux la renvoyer.
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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Vincendix
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 07 mars 2015, 15:50:22

Pauvre Adèle, un ratage comme je n'en ai jamais connu, faut dire que la gouvernante n'y mettait pas du sien, d'entrée, elle m'avouait que sa dernière séance remontait à la nuit des temps, sa pudeur excessive me paralysait, inutile de poursuivre, d'un commun accord, nous décidions de stopper des ébats stériles. Elle ne semblait pas réellement déçue, osant dire qu'elle avait tout de même passé un moment agréable... sincère ou polie?
En tous cas, j'étais gâté au petit déjeuner, profusion de tout, madame Larivière transgressait ses habitudes pour venir me dire au revoir, Fernand sortait sur le perron, je montais dans le taxi en répondant aux saluts de la maisonnée.

Objectif immédiat, le port, il me faut trouver une embarcation et surtout des marins qui acceptent de me conduire sur la côte Somalienne, non loin de Berbera, c'est dans ce secteur que réside Léopold et Salomé. Depuis ce havre de paix que je suppose bien protégé, je pourrai faire des incursions en territoire Somalien, faire mon boulot de journaliste et revenir me mettre à l’abri...Tout d'abord visite d’une banque, besoin de dollars, le taxi traverse le centre ville et ses arcades mauresques; ville cosmopolite, un patchwork de races et de couleurs, quelques touristes, à majorité des japonais, ces mitrailleurs invétérés sont dans tous les coins du monde.
L'animation est bien matinale, cette ville charnière vibre, grouille, grince de tous ses gonds; chaque passage à Djibouti me fait penser aux hommes de lettres célèbres qui ont foulé cette terre, Rimbaud, Loti et surtout Henry de Monfreid.
Pas évident de trouver une embarcation à moteur, les voyages à destination de la Somalie se font rares; à l'Escale, je dois palabrer et faire miroiter mes billets verts; finalement, un marin accepte de me prendre, il transporte des marchandises que je suppose illicites, je joue carrément le jeu avec lui.
- Nous sommes du même bord, moi aussi je suis commerçant, je vais m'approvisionner en informations pour les vendre à mes concitoyens.
Cette comparaison faire rire le marin, j'ai tout de même été obligé de retourner mes poches et mon sac pour lui montrer que je lui donnais la totalité de ma fortune.
- Tu vois, je ne peux pas aller plus loin.
Cette preuve est aussi un gage de sécurité, les trois gaillards seront moins tentés de me larguer dans le golfe d'Aden, en plein terrain de chasse des requins.
A peine deux cent milles marins pour rejoindre ma destination, sauf détours imprévisibles pour éviter des rencontres inopportunes car c’est fou ce que les promeneurs nautiques sont nombreux dans cette région, les échanges illégaux entre les pays riverains se développent, en plus des classiques: armes, drogues, cigarettes, c'est tout un commerce parallèle qui s'est implanté.
Les luttes entre les différents clans sont sans merci, Ahmed, le patron du rafiot a trouvé un moyen oecuménique afin d'éviter certains ennuis, ce Yéménite est secondé par un Afar et un Somali.
- Tu travailles pour des journaux à lire ou à la télévision?
Il y a une quinzaine d'années je n'aurais pas entendu parler de télévision, ce moyen de communication a fait des progrès tel que je me sens quelques fois un parent pauvre de l'information puis, me reviennent les paroles oh! combien réconfortantes de notre chef: les images s'effacent, les écrits restent; tout de même, quand je vois les moyens employés par nos collègues de l'image et surtout le fric que certains se font, je suis jaloux.
Le soleil de janvier n'est pas un flemmard, il cogne comme un sourd, en supplément, sur cette flotte assez calme, sa réverbération est difficilement supportable, l'abri relatif de la toile , mon chapeau, la crème dont je me suis enduit le visage ne suffisent qu'à me protéger partiellement; Mohamed laisse flotter son turban qui lui assure une ventilation; les deux autres ne souffrent pas, ils continuent à se chamailler comme des gosses; le moteur est poussif et j'ai l'impression que nous faisons du surplace, mirage ou réalité, il me semble apercevoir des ailerons à l'horizon.
- Eux ont vu un blanc sur le bateau, ils aiment bien le blanc, bien tendre et grasse la viande du blanc.
Mohamed le Somali rit de toutes ses dents, son grand-père devait lui raconter des histoires de cannibales pour l'endormir.
Nous croisons des cargos à bonne distance mais je suppose que nous sommes relativement loin des côtes, la circulation est trop dense en bordure, je sors ma carte et lui montre l'endroit où j'aimerais être débarqué.
- Pas bien, Berbera dangereux pour moi, ici possible le soir.
Le capitaine me désigne un point sur la côte, dix bornes avant le port; je comprends qu'il ne tienne pas à naviguer dans des eaux trop fréquentées, le chargement qu'il transporte est destiné à la pointe de la corne, à l'odeur, les marchandises sentent la poudre.
Si ma carte est juste, ce qui n'est pas toujours le cas, la petite presqu'île où est située la propriété de Léopold est assez proche des faubourgs de ce port de commerce qu'est Berbera; en longeant la mer, à partir du point de débarquement, il me restera une petite heure à pieds mais je sais encore marcher; j'ai des indications, des photos, la demeure est construite sur un petit promontoire, en retrait d’un ensemble de bâtiments industriels et commerciaux; pour une fois, le patron m'a donné des indications précises.
- Mon ami était spécialisé dans les peaux de moutons, ses ateliers traitaient les peaux pour les expédier dans le monde entier, maintenant il loue ses hangars à différents artisans et commerçants, le complexe forme une petite entité, les gens qui bossent dans les ateliers se sont organisés pour se défendre contre les bandes de pillards, ils fournissent quelques marchandises aux groupes les plus structurés ce qui leur assurent une tranquillité relative... pour le moment.
Ahmed réduit la vitesse, son rafiot n'était déjà pas performant, nous allons battre des records de lenteur.
- Pas pousser le moteur, le détour user plus du gasoil, attendre nuit pour approcher de terre.
Les trois hommes d'équipage discutent souvent ensemble, bien l'impression qu'ils ne sont pas tout à fait sur la même longueur d'onde; attendez que j'ai quitté le navire avant de vous bouffez le nez messieurs, je serais peiné de faire les frais de vos querelles intestines.
En parlant d'intestin, mes réserves de nourriture ont fondues; pour ne pas être malade sur cette coquille de noix, j'ai grignoté tout le long du voyage, j'en suis à la dernière orange; je ne vais pas quémander ma pitance auprès des trois navigateurs, la mixture qu'ils ingurgitent régulièrement est d'aspect peu engageant ni par la vue, encore moins par l'odeur.
Le soleil, à peine disparu, la lumière baisse rapidement, je distingue une masse grise, les côtes somaliennes approchent.
Je suis tout de même anxieux, me pointer sous les murs de la forteresse de Léopold en pleine nuit est une opération risquée, ses sbires peuvent m'accueillir fraîchement, pas de quartier dans ce pays.
- Voilà toi bientôt arrivé.
Le boutre amorce un virage, longe la plage que je devine par le bruit des vaguelettes; quelques minutes de cabotage et c’est l’arrêt.
- Vas-y monsieur, plus beaucoup d'eau, qu'Allah te protège.
J'attrape mon sac, le mets au-dessus de ma tête et saute par dessus bord.
Pas beaucoup d'eau, il en a de bonnes, je suis submergé, j’avale une belle tasse, putain qu'elle est salée, je fais des petits sauts en prenant appui sur le fond, mon sac est trempé sur une bonne moitié, je crois que son étanchéité n'est plus très fiable, faudra que je me décide à le changer; à chaque mission je fais cette promesse et puis j'oublie; depuis le temps qu'il m'accompagne, j'aurais de la peine de me séparer de ce vieux compagnon de route.
Le fond remonte un peu, j'ai une partie du buste hors de l'eau; je me retourne, je ne distingue plus l'embarcation, que Dieu vous garde aussi.
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 14 mars 2015, 21:50:05

Quel calme, je m'assieds sur le sable, une main dans le fond du sac me rassure, il est sec, de la bonne qualité cette vieille toile, comme en on fait plus. Je me déchausse, remplit mes rangers de sable fin encore chaud en raclant la surface, rien de tel pour absorber l’humidité. Je m’étends, les étoiles se sont pas toutes allumées, le ciel a une teinte blanchâtre, il fait bon, il fait doux, incroyable que de tels lieux existent sur notre terre, les bouchons parisiens hier, la bousculade sous les arcades de Djibouti sont loin; et Tokyo, Calcutta, Hongkong ou Mexico; faut être dingue pour vivre dans un tel tintamarre, dans une atmosphère polluée, dans une promiscuité néfaste.
Manque Adèle; je suis certain qu'ici, sur ce sable, dans cette quiétude, elle s'abandonnerait sans restriction. Et Salomé, la sublime Falacha, est-elle prévenue de mon arrivée?
Bon, c'e n’est pas le moment de rêvasser, il faut essayer de trouver un lieu habité, la dernière bouteille de flotte est largement entamée.
Direction plein sud, la carte indique une route à proximité, route qui rejoint la ville en passant par une petite localité. Des lumières pâlottes au loin, Berbera? Aucune route, une vague piste qui sent le chameau; les cubes qui commencent à se préciser sont bien des habitations, j'ai les yeux braqués dans leur direction et ce n'est qu'en arrivant à leur hauteur que je découvre des tentes. Un chien vient me renifler, je dois lui être sympa, il m'accompagne, tout le monde n'est pas couché dans le campement, des rais de lumière filtrent à travers les multiples trous et jointures.
Les nomades ont un sens que nous avons perdu, ils sentent le roumi de loin, je ne passe pas devant la première tente éclairée sans être intercepté; je suis poussé, traîné, projeté au milieu d'une odeur forte. J'étonne, c'est évident, ma présence dans leur camp est opportune, les locataires de cette demeure, deux hommes et deux gamins me regardent comme si j'étais un extra-terrestre. Règle d'or dans un tel cas, garder son calme; l'homme le plus âgé s'empare de mon sac, l'ouvre et regarde à l'intérieur sans fouiller, son geste de la tête est une question.
- Je suis journaliste, reporter.. Français.
- Francése?
- Si, gazetta.
Ce vieil homme vient certainement d’Ethiopie, il a fréquenté les derniers européens présents dans cette partie du monde, les Italiens. Je ne parle pas l'italien couramment mais je suis capable de converser dans cette langue surtout avec un non-Italien qui parlera moins vite qu'un transalpin. Je réussis à me faire comprendre mais pas encore à convaincre, l'ancien donne un ordre à l'un des gamins qui s'éclipse rapidement.
Le nomade recommence un inventaire visuel de mon paquetage, pour le rassurer, je sors ce qu'il contient et l'étale à même le sol, il semble apprécier ce geste et, constatant que ma bouteille d'eau est pratiquement vide, il me propose un verre de thé. Je suis loin d'être un fan du thé à la menthe, à la limite il me file des nausées, seulement ai-je le choix? Je dois honorer mes hôtes, c'est important, capital même et j'accepte.
Un grand gaillard fait irruption sous la tente, cheveux frisés, de couleur ocre, moustache et petite barbichette; un chef sans doute; il me toise, discute avec les occupants.
- Vous reporter ?
Il parle Français, formidable mon ami, nous allons bien nous entendre. Son vocabulaire est tout de même limité, il me répète toujours la même chose: c'est pas bon ici, c'est pas bon ici pour vous.
Ça je sais mon ami, même le thé à la menthe est mauvais ici, j'en ai bu des meilleurs au Yémen.
- Vous connaissez monsieur Léopold?
- Lopol?
Difficile, je parle de peaux de mouton, de commerce.
- Marchand, Lopol, oui, Lopol, pas ici, Berbera.
Il traduit pour les autres et le visage du vieux s'éclaire.
- Nuit, pas marcher la nuit, pas bon, mauvais.
Mon cher ami, je suis tout à fait d'accord avec toi, trouve-moi un petit coin peinard dans une tente, même chez les femmes, non, soyons sérieux, je pense que tu serais opposé à une telle éventualité, dommage, quoique, je ressens la fatigue à présent, je n'ai plus qu'une envie, roupiller maintenant que j’ai passé un cap difficile. Je connais les gens du désert, pour eux l’hospitalité est une tradition encore à l’honneur, pour combien de temps encore ?
Nouveaux palabres accompagnés de gestes.
- Toi coucher ici, demain matin, voir Lopol.
Ok., c'est tout ce que j’espérais, je ne doutais pas que ces braves nomades allaient me laisser passer la nuit dehors, imaginez le contraire!!!! Que ce chef barbu se pointe en pleine nuit chez les « civilisés », on lâche les chiens ou on lui truffe les fesses de plombs.
Ce n'est pas un cinq étoiles, c'est un millier d'étoiles, la déchirure dans la tente qui m'accueille me permet de découvrir une grande partie du ciel; je suis incapable de donner un nom à cette étoile particulièrement brillante, il faudra que je m'intéresse un peu à l'astronomie, quand j'aurai le temps, depuis quelques années j'ai souvent le privilège d'admirer de tels cieux, c'est elle ma bonne étoile, celle qui veille continuellement sur moi, je la reconnais.
Je ne suis pas seul sous cette toile, l'un des gosses a été délégué pour me surveiller, le pauvre gamin fait des efforts pour éviter de dormir, il m'épie sans cesse; dès que je remue un peu, il se dresse; j'ai beau lui faire des signes d'apaisement, il n'a aucune confiance.
Quel sommeil réparateur! le ciel blanchit, j'entends des mouvements à l'extérieur; je sors et suis invité à des ablutions; j'accepte et je ne refuse pas non plus les galettes chaudes préparées par les femmes. Je les aperçois…de dos dans une partie du campement, à proximité de l'enclos des chameaux.
Tous les gamins viennent me regarder, je suis une bête curieuse, l'un d'entre eux, plus hardi, vient me montrer comment je dois arracher les morceaux de galette avant de les porter à ma bouche.
Je fais signe au chef que j'ai l'intention de reprendre la route, je le remercie avec moult salamalecs, je salue ses hommes poliment.
- Attends, toi pas partir seul, Ibrahim montrer chemin pour Lopol.
Un garçon d'une quinzaine d'années approche, manifestement heureux d'être chargé d'une telle mission.
Un dernier geste amical et en route mauvaise troupe. Le soleil est déjà omniprésent, il vient pomper le peu d'humidité laissée par la nuit. Nous avons traversé un village de sédentaires presque vide, quelques vieillards poussifs, quelques chèvres bêlantes et maigrichonnes, quelques chiens galeux. Nous avons franchi environ trois kilomètres lorsque mon guide me désigne, à l'horizon, un groupe de bâtiments.
Manifestement, il ne veut pas aller plus loin, il me regarde, s'attend à une récompense, je suis bien embarrassé; avec regret, je lui donne ma lampe torche. Il paraît fou de joie, fait demi-tour et déguerpit à toute allure. Pas si proche que cela la presqu'île, je dois faire un crochet car le bord de mer est escarpé, les rochers forment une barrière infranchissable. Arrivé à une centaine de mètres des bâtiments, j'ai un mauvais pressentiment, j'ai confirmation en pénétrant dans la cour, pas âme qui vive dans les environs, le premier hangar affiche un air triste, des traces noires sur la façade indiquent qu'une explosion a eu lieu à cet endroit; les deux autres halls présentent des trous béants à l'emplacement des portes; j'entre dans l'un d'entre eux, c'est l'apocalypse, des détritus de toutes sortes jonchent le sol, bouteilles vides, pneus de voitures et de camions, caisses éventrées, bidons d'huile renversés....
Je sors par une autre issue et aperçois, sur un promontoire, une grande demeure blanche à demi cachée par des palmiers, la maison de Léopold j'imagine; Salomé n'est plus loin, cela valait la peine de se faire griller sur un boutre, de dormir sur une peau de mouton puante, la récompense est à ma portée. Plus j'approche et plus je suis anxieux, je crains fort que l'habitation soit dans le même état que les annexes.
......
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 22 mars 2015, 08:20:08

Mes craintes sont fondées, la bulle du brave Léopold est crevée, son oasis a été violé, plus une vitre intacte en façade, à l'intérieur c'est le désastre, pillage et vandalisme ont déferlé dans cette magnifique demeure, un saccage en règle, portes fracassées, meubles en pièces, rideaux en lambeaux, robinets arrachés, bouteilles cassées et déjections humaines partout, les disciples d'Attila sont passés par ici, triste spectacle réalisé par de tristes sires. Que sont devenus les occupants? à chaque pièce visitée, j'ai peur de découvrir le pire; la maison n'a pas d'étage mais je constate qu'une partie est construite en sous-sol; je descends un escalier de pierre, même désolation mais, heureusement, point de cadavre.
Je débouche sur une terrasse qui domine la mer; vue superbe, site imprenable, endroit merveilleux; qu'il devait faire bon vivre dans un tel décor; j'avance vers la plage de sable fin, dans une petite anse, un peu à l'écart, je découvre un bateau à moteur.

-Do not move ! I am armed !
Une voix féminine…l'ordre est bref mais je décèle une certaine hésitation, pas à l'aise la dame… toujours se méfier de ceux qui ont la pétoche quand ils tiennent un flingue, ce sont les plus dangereux, leur doigt n'est pas sûr et, par inadvertance, ils peuvent vous transformer en faisselle et je ne tiens pas à faire la faisselle aujourd'hui.
La meilleure solution est de se présenter poliment, je déteste le faire sous la menace mais, si comme je l'espère, c'est la jolie Salomé qui me tient en respect, nous allons vite faire connaissance.
- Je suis Chris Dumont, j'avais rendez-vous avec monsieur Léopold.
Je regarde en direction des rochers, personne n'apparaît.
- Sortez de votre cachette, je ne suis pas armé, vous le voyez bien.
- Je suis là monsieur Dumont, derrière vous.
Je n'avais pas remarqué une sorte d’anfractuosité dans la roche, comme une grotte, à présent, je distingue, à contre-jour, une ombre qui se profile dans l'ouverture.
- Approchez.
- Pourriez-vous diriger le canon de votre joujou dans une autre direction que la mienne s'il vous plaît ?
- Excusez-moi, je n'ai pas l'habitude.
- Vous êtes Salomé?
- Oui, c'est cela.
J'approche et... j'éclate de rire.
- Vous êtes bien un Français vous, je vous fais peur?
- Peur? Non, plus maintenant, d'ailleurs vous êtes... charmante.
Je ne vois pas encore son visage, d'autant plus que le chapeau de brousse qui l'abrite est un peu grand pour elle, son accoutrement est clownesque, veste en toile aux manches larges et retroussées, pantalon deux fois trop large, une sorte de ceinturon fait deux fois le tour de sa taille.
- Et vous trouvez le courage de rire, vous êtes insensé, vous avez vu le désastre dans notre maison.
- Pardonnez-moi Salomé, mais vous maîtrisez parfaitement ma langue, je ne m'attendais pas....
- Votre directeur a oublié de vous dire que j'ai vécu plus de quinze ans à Djibouti, dans votre ancien fief colonial, j’ai fréquenté école et lycée français.
- Je comprends mieux, où sont vos parents?
- Je l'ignore, les sauvages les ont emmenés je suppose, j'ai eu une telle peur en arrivant, aucune trace de sang, c'est un peu rassurant.
- Vous n'étiez pas présente lors de l'invasion?
- Non, j'étais en mer, je fais de la plongée sous-marine, lors d’une remontée, j'ai aperçu de la fumée au loin, j'ai de suite songé à une attaque mais je ne pensais jamais que ces salauds puissent réussir à pénétrer dans la propriété, alors que jusqu’à présent, nous avions réussi à les tenir en respect.
J'identifie le fusil d'assaut que tient dans la main l'épouvantail à moineaux, un joli jouet, j'ai une peur rétrospective, si Salomé avait lâché une rafale, pour de bon j'aurais été percé comme une meule d’emmenthal.
- Nous avions une dizaine d'hommes pour nous défendre, armés de ce genre de fusil, je ne comprends pas qu'ils aient été submergés cette fois.
- Ils ont peut-être tourné casaque?
- C'est malheureusement possible, dans ce pays tout est possible maintenant.
J'aimerais savoir ce qui se cache sous ce déguisement ridicule, la partie émergée, quoique limitée, me donne envie de découvrir le reste, le visage lisse, caramélisé, les yeux vifs, les lèvres bien dessinées laissent présager une suite agréable.
- Vous étiez seule en mer?
- Bonne question, non, Ali m'accompagne toujours quand je fais de la plongée, je l'ai envoyé à Berbera, aux nouvelles.
Salomé retire son couvre-chef; cheveux assez courts, frisés mais pas crépus, elle me rappelle une Somalienne rencontrée en Egypte, une musulmane; les différences de religion ne se remarquent nullement sur les visages.
- Je vous plais mieux ainsi?
- Mais vous me plaisez depuis toujours, depuis que mon patron m'a parlé de vous, d'ailleurs si je suis venu dans cette galère, c'était uniquement pour avoir le plaisir de vous rencontrer.
Salomé hausse les épaules.
- Je n'ai plus rien à me mettre, mes armoires ont été dévalisées, vous l'avez constaté vous mêmes, vous avez fait le tour du domaine, je vous ai aperçu, j'étais en maillot de bain, j'ai trouvé ces vêtements dans le garage à bateau, ils appartiennent à l’un de nos hommes, un grand gaillard.
.- Mais la température vous permettrait de rester en bikini.
- Je regrette monsieur Dumont, ma mère ne voudrait pas que je me présente à un homme peu vêtue, surtout à un étranger, je suis une fille obéissante.
Elle se moque de moi; et moi donc je regrette, mais attend gamine tu ne perds rien pour attendre, ne crois pas que tu va t'en tirer par une telle pirouette, dans la situation où nous trouvons, oublie bien vite les conseils de ta maman.
- Malgré mon allure, je suis un gentleman, vous ne risquez rien avec moi.
- Alors là je n'en suis pas certaine, votre regard ne me dit rien qui vaille...
Le sien change de couleur et s’assombrit, les paroles que nous venons d’échanger sont bien dérisoires dans la situation où nous sommes, il est vrai que c’est souvent ce genre de conversation à la limite de l’idiotie que l’on débite en préambule dans des moments pénibles.
- Bon changeons de sujet voulez-vous, que comptez-vous faire?
- Votre ami Ali baba est parti depuis longtemps?
- Ce matin à l'aube, il était trop tard hier soir.
- Où avez-vous couché?
- Dans le garage à bateau, dans un canot pneumatique, couché mais par beaucoup dormi, et Ali a monté la garde toute la nuit le pauvre, nous avions tellement peur que les autres reviennent...Et vous, racontez-moi comment vous êtes arrivé jusqu'à moi ?
- Vous avez encore un téléphone qui fonctionne.
- Ben voyons, le fax aussi, vous êtes aveugle, plus rien ne marche, les fils ont été arrachés, plus de courant, le générateur est hors d'usage
- Vous avez au moins à boire et à manger dans votre gourbi?
- Un peu, ne bougez pas de là, que voulez-vous boire, jus d'orange, de pamplemousse, bière, coca?
- Vous avez toutes ces boissons en magasin?
- Non, je n'ai que de l'eau à vous offrir, mais de l'eau minérale, et Française.
- Alors je choisis l'eau...Française.
Salomé descend de son petit perchoir et disparaît derrière les rochers, son déplacement est un ravissement, malgré sa tenue bien camouflée, je devine ses fesses ondulantes, elles font saillies et...
Elle revient avec une bouteille d'eau.
- Elle est encore un peu fraîche, pour manger c'est plus compliqué, j'avais quelques biscuits, nous les avons achevés ce matin.
- Votre canot? Nous pourrions partir d'ici.
- Plus un seul litre de carburant, les bidons ont été volés aussi, maintenant, si vous avez le courage de ramer, c'est possible mais il faut attendre le retour d'Ali.
- Comme vous voulez, je vais prendre un bain.
- Un bain?
- La mer doit être bonne.
- Excellente, même les requins apprécient.
- Et vous osez plonger dans des eaux aussi dangereuses?
- Les requins ne mangent que des blancs, vous ne le saviez pas ?
- Qui me dit que vous êtes noire de la tété aux pieds?
- Allez vous rafraîchir un peu, vous en avez bien besoin.
- J'ai un short et une chemisette à votre disposition dans mon paquetage, vous seriez plus à l'aise.
- Vu votre corpulence, j'ai peur que vos vêtements soient un peu justes pour moi.
Elle me cherche, sans être un super athlète, je ne suis pas mal bâti; toi ma poulette tu ne vas pas continuer sur ce registre sinon je vais me fâcher, et quand je suis en pétard, j’éclate.
La baille est chaude, à peine agitée, transparente, si un requin se pointe sans les parages, il va me repérer illico, elle m'a filé les jetons la demoiselle, je rase les bords, un œil vers le large à guetter un aileron, quelques minutes de ce régime et je reviens vers le rivage.
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Vincendix
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 28 mars 2015, 20:39:33

Heureusement que je ne suis pas fragile du palpitant, Salomé a suivi mes conseils, ma chemisette et mon short kaki lui vont à ravir mais elle avait raison, sa poitrine tire sur les boutons, le short lui moule les fesses.
- Et je ne veux entendre aucune bêtise, compris, sinon je tire à vue.
Elle garde son flingue à la main cette panthère, je suis obligé de prendre ses menaces au sérieux, les gens sont tous dingues ici.
- Votre copain Ali s'est égaré, sa sieste devrait être terminée.
- Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé.
- Vous avez l'air de bien l'aimer cet Ali?
- Je l'adore, c'est l'homme de ma vie, d'une gentillesse, d'une disponibilité vous ne pouvez pas savoir.
Moi aussi beauté, je pourrais être gentil avec toi et disponible, tout de suite si tu veux, si pose ce joujou extraordinaire.
- Un véhicule, vous entendez?
Bonne oreille, moi je n'entends rien.
Je remonte sur la terrasse et contourne la maison par un petit chemin, je me planque derrière un bloc de pierre.
Salomé a raison, cette fois j'entends et je vois... un nuage de poussière poursuivant un drôle de véhicule, il se dirige vers nous; ami ou ennemi? Trois types descendent, treillis bariolés, fusils, mines personnelles antipathiques, vite aux tranchées.
- Alors? qui est-ce?
- Trois zigs, pas des touristes japonais, look de combattants, flingues de gros calibre.
- Venez vite.
Salomé m'entraîne vers le bord de mer, nous entrons dans ce qui doit être le garage à bateau, un trou creusé dans le rocher.
La porte se referme, nous sommes dans le noir total, je tends ma main vers Salomé, c'est la froideur d’un canon de fusil que je rencontre.
- Pas un mot, ils viennent par ici.
Ma parole elle à un sonar dans les portugaises, je dois tendre les miennes en forme d'écouteur pour entendre des pas crisser sur le sable.
Des voix nous parviennent.
- Ils ont vu le bateau, ils veulent le prendre, j'ai vidangé le reste de carburant, ils ne pourront le démarrer.
Enfin, je réussis à contourner la ligne Maginot, ma main frôle une jambe, je localise l'endroit, juste au-dessus du genou, vers l'intérieur, là où la peau devient encore plus douce; je monte doucement mais sûrement, en survolant le terrain, en effleurant du bout des doigts; aucune réaction, le bonheur; je m'introduis dans le short...
- Aie, vous m'avez fait mal.
Je viens de prendre une manchette sur l'avant-bras.
- Décidément vous êtes plus dangereux que les types qui sont dehors, je sors.
Elle entrouvre la porte doucement.
- Ils repartent, vous entendez.
Si elle le dit; nous sortons, j'ai le bout des doigts tétanisés
- Vous n'êtes pas bien monsieur Dumont, vous êtes écarlate, ne me faites pas un malaise.
- C'est comme ça depuis longtemps?
- Quoi comme ça?
- Les bandits costumés qui écument le pays?
- Oui, les visites inamicales étaient de plus en plus fréquentes, mon pauvre père était persuadé que nous étions à l'abri, où sont mes parents ? pourvu... c’est atroce, nous étions si heureux.
- Vous auriez pu quitter cette terre hostile, émigrer vers Israël comme de nombreux Falachas.
- Israël! pour devenir des parias, nous sommes africains avant d'être juifs, bien gentil la religion, non, retourner en Ethiopie éventuellement mais c'est à peu près la même ambiance qu'ici... mais vous êtes un obsédé, vous faîtes une fixation sur les femmes noires.
Elle surprend mon regard qui s'attarde sur le haut des jambes, sur l'endroit que je commençais à explorer... purée, elle m'a fait vraiment mal au bras, je vais être couvert de bleus si je continue à faire des tentatives.
- Ali, enfin, il revient.
Salomé monte sur le promontoire, je l'entends parler, en Somali je suppose, je ne perçois pas les réponses.
Ali est un gamin! moi qui crevait de jalousie; attention les gosses sont vachement précoces dans ce continent, une douzaine d'années celui-ci, une bonne g....., souriant de toutes ces dents, oncle Bens enfant, j'ai faim, je mangerai bien un bol de riz, même du français de Camargue.
Nouveaux palabres, le môme est tout essoufflé, c'est à peine s’il fait attention à moi.
- Les soldats qui sont venus ici sont des sbires du colonel Abdullah, ils écument la région depuis peu, ils viennent du sud, Ali a obtenu quelques informations, mes parents sont détenus à Berbera, les bandits vont essayer de convaincre mon père de retirer ses économies pour leur faire un don; ils ne sont pas prêts d'arriver à leur fin, mon père ne cédera jamais, et puis il a intérêt à tenir, c'est un gage de sécurité, d'assurance vie.
- Quels sont vos projets? Monter une opération pour libérer vos parents?
- Vous êtes réellement conscient de la situation monsieur Dumont, vous me voyez affronter une bande de fous furieux; et vous, que comptez-vous faire?
J'avoue que je ne sais pas trop, j'ai déjà de quoi alimenter les premiers paragraphe de mon reportage.
- Quelle est l'ambiance dans la ville de Berbera, vous pensez que je peux m'y rendre?
- Y aller oui, en revenir, moins certain; seul Ali peut nous servir d'agent de renseignements et de ravitailleur, il nous faut à manger et nous avons une bouche supplémentaire à présent.
- Si je dérange faut le dire, je vais voir plus loin, je trouverai bien des hôtes plus accueillants.
- Vous pouvez être sérieux de temps en temps, vous avez une tare monsieur Dumont, vous êtes trop pâle, Abdullah et ses hommes n'apprécient pas les visages pâles, ils les prennent pour des des zombies et ils tirent dessus sans sommation.
- Pour la bouffe, j'ai peut-être une solution, j'ai passé la nuit dernière chez des nomades hospitaliers , si vous avez un peu d'argent, nul doute qu'ils se feront un plaisir de vous vendre des marchandises.
- Le problème c'est que je n'ai pas de monnaie, et encore moins de billet, il faudrait trouver quelque chose en échange.... j'y pense, le moteur du bateau.
- Le moteur, pour remplacer les chameaux.
- Que croyez-vous, ces gens sont des commerçants, ils achètent et vendent n'importe quoi, ils trouveront un client pour le moteur.
- Il faut les contacter.
- Aujourd'hui même, ils risquent de lever le camp, vous allez avec Ali, en bateau, vous devrez ramer, et revenez avec des aliments.
- Vous nous accompagnez.
- Pour surcharger l'embarcation et puis seule ici, avec mon fusil, je suis tranquille.
J'obéis, sa solution me paraît acceptable.
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 06 avr. 2015, 17:13:07

Dur, dur, de ramer à contre-courant, l'océan n'est pas statique comme on pourrait le croire, mon coéquipier a un style plus efficace que le mien, je suis rapidement épuisé, au retour ce sera plus facile, à moins que le courant ne change de direction, encore possible. Nous arrivons à la hauteur du camp, du moins je le pense car une dune nous masque le paysage. Ali file aussitôt l'accostage, il connaît sa mission, pas feignant ce gamin.
Je trouve le temps long, j'ai démonté le moteur, j'espère qu'il trouvera preneur, je me suis fabriqué un parasol sommaire en plantant les deux rames dans le sable et en fixant une toile trouvée dans le canot. Comme les indiens, l'oreille collée au sol, je crois entendre des bruits de pas, ce n'est pas un mirage, c'est une mini-caravane, un chameau et deux hommes approchent, Ali les précède.
A voir ses simagrées, je comprends que nous allons recevoir du ravitaillement.
Peu pressés les voyageurs du désert, ils tournent autour du moteur Honda, discutaillent et enfin déchargent trois sacs que nous mettons dans l'embarcation; je ne regarde même pas ce qu'ils contiennent, à l'odeur il doit y avoir de la viande boucanée et des grains de riz s'échappent d'un trou, faudra faire avec comme disait grand-mère, à la guerre comme à la guerre.
Les sacs sont plus lourds que le moteur et le retour est pénible; à l'arrivée j'ai une frayeur, aucune Salomé pour nous accueillir....
Elle devait faire une petite sieste dans le canot pneumatique car elle sort en baillant et en s'étirant comme une chatte sur le sable brûlant, qu'elle est belle, super belle, comment va se dérouler la prochaine nuit, aurais-je le droit de partager sa couche pendant qu'Ali montera la garde sur la plage, je ne vais penser qu'a cela le reste de la journée.
- Vous vous êtes fait avoir par ces voleurs de grand chemin.
- Nous ne pouvions en prendre plus, trop lourd pour l'embarcation, nous aurions coulés.
- Beau prétexte... il faudra compléter avec des poissons, je dois avoir un harpon dans le garage, monsieur Dumont vous savez plonger car, personnellement, je me refuse à harponner le moindre poisson, j'aime tellement les voir évoluer librement.
Elle veut se débarrasser de mon encombrante personne, c'est évident une bouche de plus à nourrir... plonger, j'en suis capable mais je ne peux rester longtemps en apnée, et les requins, eux aussi sont affamés.
Ingénieux cet Ali, il a récupéré une bouteille de gaz, des tuyaux, un brûleur, une espèce de grille et il a bricolé un réchaud qui fonctionne; je me tiens tout de même à bonne distance, peur que ce bidule nous saute en pleine poire.
Amusant, nous sommes un peu des robinsons, le plus gros problème est l'eau potable, il reste quelques bouteilles d'eau minérale que nous gardons précieusement pour boire, le puits est obstrué par toutes sortes d'immondices, cuire du riz sans eau demande une attention constante, Salomé est un vrai cordon bleu.
Et la nuit? je suis obsédé; vivre une vie rustre et dangereuse d'accord, mais il faut des compensations; Salomé n'est pas du tout de mon avis, elle a trouvé une solution qui ne me plaît guère mais que je suis bien obligé d'accepter; le bateau est hâlé à l'intérieur du garage, j'y dormirais avec Ali pendant que la demoiselle et son fusil resteront dans le caoutchouc.
Nous installons un matelas presque intact, trouvons quelques couvertures pas trop souillées. Ce campement non dépourvu de charme et ma fatigue me font oublier mes envies, Salomé peut dormir peinarde, et puis nous sommes appelés à vivre encore plusieurs jours ensemble, et surtout plusieurs quelques nuits, le naturel reviendra au galop.
Quelle santé mon coéquipier Ali, il dort comme un bienheureux, ce n'est pas mon cas, j'ai la désagréable impression de manquer d'air dans cette caverne, j'étouffe, finalement je me lève, ma torche me manque, je ne suis pas nyctalope comme Salomé, je me cogne dans sa couche de caoutchouc.
- Vous n'arrivez pas à dormir monsieur Dumont?
- Vous pouvez éviter le monsieur et le Dumont, Chris c'est plus court et je préfère, surtout prononcé par votre bouche merveilleuse.
- Vous êtes malade ou quoi? J’espérais que vous aviez compris que je suis une fille sérieuse, si j'avais su que vous étiez un tel casse-pieds, je vous aurais tout de suite descendu et donné en pâture à mes amis aux longues dents pointues.
- J’ai tout compris, vous détestez les hommes, cela se remarque, votre attitude de vierge effarouchée ne trompe pas.
Un silence me répond, aurais-je touché une corde sensible? cette charmante demoiselle serait-elle lesbienne? je suis tombé sur un tel cas, en Norvège, tous les Sésame ouvre-toi échouaient, malgré une couleur de peau bien différente, c’était une belle plante aussi, quel gâchis.
- Vous savez, je n'ai que dix huit ans mons.. Chris, je n'ai pas eu le temps de me poser des questions, mes parents me couvaient, me protégeaient contre tous les dangers, y compris et surtout contre les bonshommes tels que vous... sortons un peu, voulez-vous, il faut laisser Ali se reposer, le pauvre gamin a fait tellement de choses aujourd'hui.
Ouf! je respire mieux à l'extérieur, une lune énorme nous éclaire, Salomé me paraît encore plus longue sous cette lumière irréelle; nous descendons lentement vers la plage... Je rêve, elle commence à se déshabiller, la chemisette imprégnée de son odeur suave m'arrive sur le nez sans crier gare, le temps que je me dégage, c'est le short qui bondit, rapidement suivi d'un soutien-gorge et d'une culotte; avant que je réalise, elle a plongé dans le bouillon, je ne la vois plus; je l'imite, l'eau est bonne, le contact direct est sublime; les requins doivent être au dodo à cette heure tardive, les animaux ne sont pas comme les hommes, ils ont des règles immuables eux, dès que la nuit tombe, les diurnes laissent le champ libre aux nocturnes.
Je cherche la naïade à la surface presque lisse, elle plonge, disparaît pendant des secondes interminables, réapparaît beaucoup plus loin; j'aimerais me rapprocher mais elle devine mes intentions et décrit des cercles de plus en plus grands, elle est intouchable; elle va me rendre cinglé cette gamine; chaque émergence me permet d'admirer sa plastique se découpant à l'horizon, une ombre chinoise débridée que je ne peux saisir.
Je remonte sur le littoral, rassemble ses vêtements devant moi, elle ne pourra se défiler.
Je distingue encore des bouillonnements, j'essaye de deviner où elle va réapparaître, bon suffit, elle ne va tout de même pas passer la nuit à barboter dans cette immense piscine, il faut que je trouve un truc pour la faire remonter, crier au secours.
Enfin, elle émerge, sa couleur est un excellent camouflage, c'est à peine si je distingue ses seins, le reste n'en parlons pas, noir c'est noir, elle se précipite sur moi... m'embrasse sur la joue, récupère ses vêtements et file vers le hangar; je me suis fait avoir comme un débutant, le temps que j'arrive dans le garage, elle est rhabillée, elle referme la lourde de la grotte sur mes talons.
- Allez Chris, soyez raisonnable, il faut dormir à présent, la journée de demain risque d'être mouvementée.
- Pourquoi donc mademoiselle?
- Je vous expliquerai, j'ai un plan pour essayer de libérer mes parents, allez dodo petit blanc
- Merci pour le baiser, c'est un peu maigre pour ma nature généreuse mais il m’a fait plaisir, ne vous gênez pas pour recommencer, quand vous voulez
- Nous verrons ce que je peux faire pour vous, bonne nuit.
Bizarrement, je suis apaisé, pas grâce au baiser, le bain de minuit probablement, le plaisir d'avoir découvert le corps de Salomé, même à contre-nuit, l'espoir que la suite sera plus consistante... elle sait se faire désirer la fille de Léopold, elle veut en avoir pour ce qu'elle vaut, c'est bien une princesse; mais j'y pense, il faudrait que je trouve un Jean-Baptiste, que je lui coupe la tête et que je la présente sur un plateau d'argent, c'est ce que désirait son aïeule homonyme pour faire la danse du ventre devant Hérode.... je plane, remonte le temps, je suis dans les mines du roi Salomon et, comme Roland, je souffle du cor au pied de Roncevaux, j’entends résonner les trompettes de Jéricho, le mur des lamentations s’effondre dans un terrible fracas, engloutissant les trois mousquetaires qui jouaient au jeu de paume avec Guillaume Tell...
Réveil pénible, je suis pire qu'un vioque arthritique ce matin, les jointures craquent de partout, et moi qui voulais faire des grandes manœuvres hier soir? prétentieux, Salomé ne s'y est pas trompé, je ne suis pas à la hauteur; ce doit être l'alimentation, manque de vitamines, je devrais toujours avoir des pilules dans les poches quand je sors loin de mes bases.
Par contre, Ali est tout guilleret, fier de me servir un morceau de mouton qui pue la charogne; je lui demande de le faire cuire encore un peu, c'est une vraie grillade braisée qu'il me rapporte dix minutes plus tard; pas pour m'arranger cette bouffe infecte.
Et Salomé? je lui trouve une petite mine, elle avait froid toute seule dans le pneumatique, bien fait mademoiselle, vous refusez mes offres, tant pis pour vous.
- Votre plan mademoiselle ?
- Ah oui mon plan, je ne sais pas si il est valable, je vais réfléchir encore.
- Dites toujours, je vous dirai ce qu'il vaut.
- Comme vous voulez... il faut partir d'ici mais seulement la nuit prochaine, avec le bateau et le canot, accoster à proximité de Berbera; seulement il faut que nous ayons une certitude avant de faire cette tentative, mon père a un ami, il habite au sud du port, dans les faubourgs; reste à savoir si il est toujours chez lui, si il n'a pas été attaqué lui aussi, si son domaine n’a pas été investit comme le nôtre; c'est un musulman il est moins vulnérable, et puis il est un peu marabout, même les bandits craignent ces gens-là.
- Il faut envoyer Ali en éclaireur.
- C’est une solution.
- Nous serons déjà plus près des kidnappeurs ; ici nous sommes impuissants, et puis nous aurons à manger et à boire.
- Le gros problème, c’est vous et votre clarté.
- Vous n'allez pas me laisser ici tout seul.
Ali est prêt à tout pour sa maîtresse, il écoute les recommandations, un petit salut et il s'éloigne d'un bon pas.
- Une dizaine de kilomètres, deux petites heures aller, une heure sur place si tout va bien, il peut revenir dans cinq à six heures.
- A part cela, programme de la journée.
- Je vais faire un peu de plongée, vous m'accompagnez, il est préférable de ne pas se quitter...mais je vous en prie, soyez sérieux, tenez compte de la situation dans laquelle nous sommes.
Justement bel enfant, c’est dans ce genre de situation qu’il faut mettre de côté les conventions.
Son maillot de bain une pièce est bien couvrant, trop à mon goût, je suis déçu; je rame pour aller vers le large, l'océan remue un peu, cette promenade ne va pas être une partie de plaisir, d'autant plus que le gigot de mouton charbonneux me pèse sur l'estomac.
- Si un danger nous menace, une embarcation louche, vous tirez sur la corde OK.
Elle enfile ses palmes, mets ses lunettes et plonge.
Je la vois descendre dans les profondeurs, dans cette flotte transparente, je ne distingue plus qu'une masse foncée, comme un rocher mouvant; comment fait-elle pour rester aussi longtemps sans respirer?
Quelques minutes qui me paraissent bien longues puis la sirène remonte à la surface.
- Vous voulez plonger à votre tour? des poissons-anges superbes, c'est magnifique.
- Merci, j’ai le temps d’aller au paradis.
Elle repique dans la baille en riant.

Heureusement que j'ai hérité de son chapeau de brousse car j'aurais la cafetière en ébullition, je m'arrose sans cesse mais le sel qui se dépose sur ma peau commence à me brûler sérieusement, il est malade ce soleil de cogner aussi fort, prochain reportage, le grand nord canadien au mois de Janvier, cela fera une bonne moyenne.
La nymphette vient reprendre son souffle, elle constate mon inconfort.
- Si vous ne plongez pas pour vous rafraîchir, vous allez griller, allez-y je monte la garde et ne restez pas à la surface ce serait pire, vous voulez les palmes?
- Académiques ?...non je ne les mérite pas.
La vérité c’est que j'ai déjà essayé de nager avec ses machins aux pieds, il faut avoir la technique sinon c'est crevant.
J'hésite encore, je me demande si le plus haut des gratte-ciel aurait pied à cet endroit; je ne vais pas passer pour un dégonflé, je ferme les yeux et me laisse couler.
Je suis obligé de faire des efforts pour ne pas remonter aussitôt à la surface, se noyer dans cette marmite de flotte fortement salée doit être duraille, je relâche un peu d'air, c'est un mieux; très agréable de nager entre deux eaux, la transparence de l'onde me permet une bonne visibilité, je distingue quelques petits poissons probablement affolés par ma blancheur de peau, mais aucun avec des auréoles, les anges me fuient aujourd'hui, dommage j'avais besoin d'un peu de mystique; cette fois mes poumons sont vides, je m'excite un peu trop pour remonter et c'est le contraire qui se produit, je sombre, du calme Chris, du calme; enfin j’émerge.
Je balise, le nez à la surface je ne vois plus le rafiot, disparu, je distingue à peine les dunes au loin, le promontoire et la maison sont encore plus loin; Salomé voulait se débarrasser de moi, voilà la vraie raison de son insistance.
J'entends crier mon nom, le voici le bateau, sa passagère me fait des grands signes, comment ai-je pu dériver à ce point?
- Vous m'avez fait peur, je vous croyais perdu à jamais.
Salomé paraît plus affolée que moi, ma disparition la peinerait à ce point, elle m'estime un peu, c'est parce qu'elle a besoin de moi ou éprouve-t-elle un autre sentiment? ... le même qui me pousse à l'enlacer et à l'embrasser.
Dix huit ans mais pas inexperte, contrairement à ce qu'elle voulait me faire croire.
Une première pour moi, je n'avais jamais pratiqué dans une telle embarcation, c'est amusant, à chaque mouvement, je m'attends à un chavirement
- Tu as réellement eu peur?
- Deux courants contraires, cela arrive dans ces eaux, pendant que je dérivais vers le nord, tu étais entraîné vers le sud, Ali est habitué à ce phénomène, il sait où me récupérer et puis sans le moteur, oui j'avoue j'ai eu peur... Tu as profité de ma panique, vaurien, je le dirai à mon père... rentrons, ton dos est tout rouge, j'ai de la pommade dans le garage.
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 12 avr. 2015, 10:18:56

Une infirmière douce, aux mains douces, aux lèvres douces, le voilà le paradis au milieu de l'enfer.
Ali vient de revenir, les nouvelles sont plutôt alarmantes, Hassan, l'ami de Léopold est encore chez lui mais le quartier qu'il habite est sous le feu de plusieurs cliques qui se disputent le droit de pillage, à peine une maison est abandonnée qu’elle aussitôt mise à sac, Hassan est d'accord pour nous recueillir mais ne peux nous offrir de réelles garanties de sécurité.
- D'ici ce soir nous réfléchirons, de toute façon rester ici n'est pas une solution, nous ne pourrons tenir longtemps et puis les futurs visiteurs seront certainement plus curieux que les derniers.
- Regagner Djibouti serait également une solution
- Tu plaisantes, à la rame, et mes parents, je ne peux les abandonner, et ton reportage?
Salomé a raison, nous sommes trop isolés et je dois boucler un papier valable, il me faut approcher des belligérants, vivre un peu cette espèce de guerre de plus près, maintenant que je suis apaisé sur le plan sexuel et que les espoirs d’une suite sont permis, j ‘aspire à d’autres exercices.
- Ce soir direction Berbera.
Nous faisons un essai en ne prenant que le gros canot, essai concluant.
Nous embarquons la boisson, le fusil et des munitions et, à peine l’astre céleste disparu, nous prenons le large.
Quelle croisière romantique, il nous faut ramer comme des forçats pour avancer, s'écarter du rivage car les vagues sont un peu fortes vers le bord. Je commence à me demander si nous avons choisi la bonne solution, trop tard pour annuler le voyage, les loupiotes du port scintillent au loin, ils ont du courant c'est déjà un avantage, je vais pouvoir recharger mon rasoir et couper ma barbe de deux jours. C'est incroyable comme dans des situations périlleuses, ce sont les détails qui prennent le plus d'importance, ce doit être pour masquer les problèmes primordiaux, le cerveau humain est complexe.
La barreuse nous encourage de la voix, Oxford sur mer se déchaîne, Cambridge prend le mors aux dents, mais ce qu’elle avance doucement cette coquille de noix.
Nous venons de contourner des rochers, les lumières sont disparues, cap vers la plage.
- Encore un petit effort messieurs, nous arrivons.
Pas trop tôt, je suis fourbu, j'ai les bras en coton hydrophile, les fesses en purée mousseline, mes oreilles bourdonnent comme les cloches de Notre-Dame.
Terre, terre! Notre caravelle s'échoue.
- Tu peux cesser de ramer, Chris.
Le capitaine a raison, comme un automate, je continuais à secouer ma rame.
- Tu prends le commandement à présent, tu as plus d'expérience que moi sur ce terrain, je me mets à vos ordres grand chef blanc.
- Nous sommes arrivés dans un secteur qui semble désert, tu es sûre que ton ami Hassan crèche dans les environs?
- Tu vois le bosquet de palmiers à l'horizon, ce doit être dans ce coin, derrière.
Il faut faire un effort d'imagination et avoir une vue perçante pour apercevoir quelques arbres égarés se détachant au loin.
Salomé bavarde avec Ali qui semble approuver.
- Il reconnaît le coin, la butte à droite qui domine le quartier sud de Berbera, je peux l'envoyer chercher du renfort?
Une nouvelle fois, le jeune Somali est mis à contribution, précieux cet auxiliaire, courageux ces gosses que l’on rencontre un peu partout dans le monde, nos petits blancs devraient prendre exemple, eux qui sont chouchoutés à longueur d’année, que le moindre bobo fait hurler de douleur.
J'ai une idée pour faire passer le temps agréablement, Salomé ne l'entend pas de cette oreille car de l'autre elle prétend percevoir des bruits inquiétants.
- Un véhicule approche, va te cacher dans le bateau, moi je suis moins repérable, je vais dans les rochers.
Cette fois nous distinguons des phares, je file et me mets à plat ventre dans le fond de l'embarcation. Les bords de l'océan sont très fréquentés cette nuit, maintenant c'est un bateau qui se rapproche, le moteur vient de s'arrêter, je lève un peu la tête, une embarcation mouille à quelques mètres de moi, Je cramponne le flingue, prêt à me défendre en cas de besoin; jamais je ne suis trouvé dans une telle situation, ce métier devient dingue, mission pourrie pour de bon, point chaud, tu parles, brûlant.
Des pas, des voix, je saisis quelques mots d'anglais, un anglais assez correct, les marins ne sont pas des autochtones.
Purée la pétarade, je me fais tout petit, des rafales de fusils d'assaut du meilleur calibre, une musique parfaite, sans fausses notes.
Encore des bruits de voix, ce doit être du Somali à présent; je me fais du souci pour ma compagne, pourvu qu'elle soit bien planquée.
Encore un peu de mouvement à proximité, quelques paroles incompréhensibles.
J'éprouve du plaisir à entendre le moteur de la bagnole s'éloigner; je reste encore quelques minutes sans bouger, les bruits de pas que j'entends sur le sable sont ceux d'une femme légère et gracieuse.
- Ils n'ont pas fait de quartier, viens voir.
J'ai une certaine aversion pour les cadavres, et les trois mecs allongés sur le sable doivent être tristes à regarder, même la nuit, avec ce qu'ils ont pris dans le buffet.
Salomé est plus courageuse que moi, elle fonce vers le bord de mer.
- Des blancs, trafiquants probablement, les autres ont embarqué deux caisses dans leur véhicule; mais nous avons un beau bateau avec un moteur, si nous devons retourner à la maison tu n'auras pas besoin de ramer.
- Tu crois que c'est une éventualité?
- Ali mets beaucoup de temps à revenir, anormal, viens ils doivent avoir des vivres dans leur yacht?
Elle a raison la demoiselle, dans la mini-cambuse nous trouvons des biscuits, des boissons diverses.
- Le problème, si Ali voit ce bateau, il va hésiter, allons un peu plus loin, j'ai repéré un petit coin sympathique, un bon poste d'observation, suis-moi.
Nous contournons des rochers et montons sur une petite butte; effectivement, l'endroit est intéressant, le haut du promontoire est en forme de cratère, nous pouvons voir sans être vu.
- C’est comme le donjon d’un château-fort, mon bon prince.
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 19 avr. 2015, 17:11:31

La nuit fuit rapidement devant le soleil qui émerge de l'océan, en quelques minutes, la chaleur revient ...Ali aussi. Il n'est pas seul, deux hommes l'accompagnent, amis ou ennemis? D'après les gestes du gamin, c’est tout bon.
Les deux Somalis qu'il nous ramène ont une vingtaine d'années, les regards qu'ils jettent vers Salomé me déplaisent, ces gaillards ont des envies précises et ce n'est pas la vue des macchabées qui vont les refroidir, ils doivent être rodés à ce genre de spectacle, d'ailleurs, dès qu'ils les aperçoivent, ils changent de désir et dévalent vers la plage.
- Laisse-les, ils vont les fouiller, les morts ont certainement des dollars dans les poches, nous avons bien pillé leur bateau.
Salomé à raison mais je détourne la tête car les deux jeunes hommes ne s'arrêtent pas à la fouille, ils déshabillent les cadavres entièrement.
- A part cela, quoi de neuf, que raconte Ali?
- Nous devons attendre la prochaine nuit pour partir d'ici, des soldats de plusieurs tendances circulent dans les parages, aucune nouvelle précise concernant mes parents mais Hassan a envoyé un homme en ville afin de recueillir des renseignements.
- Tu pourrais dire à tes frères de couleur de charger les cadavres dans le canot et de les larguer au large, leur présence me dérange...
- Pour te faire plaisir je vais leur demander.
Quel cran, elle descend aussitôt, je la vois examiner chaque trucidé l'un après l'autre, elle palabre avec les deux détrousseurs qui n'ont pas l'air de bouger dans le bon sens; je m'empare du fusil et me signale en criant. Mon argument visible impressionne, ma demande est prise en considération. Je suis soulagé de voir le canot s'éloigner de la plage et les trois corps basculer dans l’eau, bon appétit messieurs les requins.
- Ces jeunes hommes vont nous coller aux basques jusqu'à ce soir, il faut les renvoyer chez leurs parents.
- Maintenant qu'ils ont des devises, ils vont déguerpir illico, n'aie crainte.
Bien vu, les zigs disparaissent, nous sommes tranquilles, moi surtout.
Ali apprécie les biscuits, il se goinfre.
- Dis-lui de ramasser les paquets vides, ça fait désordre.
- Mais tu es également écologiste, autant te prévenir tout de suite, dans les faubourgs de Berbera, tu devras fermer les yeux et te boucher le nez, c'est un endroit peu recommandé aux âmes délicates.
Une journée calme, nous testons la petite vedette des victimes de la fusillade, un moteur pas très nerveux mais ce rafiot pourrait nous rendre service en cas de repli obligatoire. Ali surveille les environs pendant que notre promenade en mer se prolonge par un mouillage improvisé et agréable à quelques encablures du rivage…

La journée parait bien longue et, dès le soleil couché, nous nous dirigeons vers Berbera.
Nous sommes vite en vue de lieux habités, Ali nous guide efficacement, les premières habitations sont contournées, elles paraissent abandonnées; nous descendons une petite falaise et pénétrons dans une ruelle bien sombre.
Salomé a senti juste, nous butons sur des immondices que je n'ose deviner, nous longeons des cases sans rencontrer âme qui vive.
Ali frappe à une grosse porte en bois; il doit répéter l'opération avant qu'elle s'ouvre doucement, nous nous engouffrons à l'intérieur d'une cour faiblement éclairée, plusieurs hommes nous attendent.
Salomé congratule un vieil homme.
- Voilà Hassan, il parle quelques mots de Français, il a vécu à Djibouti plusieurs années, c'est là que nous l'avons connu.
- M'sieur Dumont, malheur chez nous, grand malheur partout, plus assez à manger, plus médicaments, médecins partis, tous.
Notre hôte nous invite à pénétrer dans la maison, même lumière pâlotte diffusée par des lampes à huile.
- Pas d'électricité souvent.
- Si tu veux te reposer, je vais bavarder avec Hassan, son émissaire n'est pas encore revenu de la ville.
- Tu as également besoin de repos, allons dormir un peu.
- Ah, parce que tu pensais que nous allions coucher ensemble, pas question mon ami, je vais chez les femmes, chacun de son côté dans cette demeure.
- Votre téléphone marche?
- Téléphone, huit jours plus marcher, fils coupés partout.
Des coussins, une couverture et dodo.
Je suis réveillé par un tintamarre, des bruits de voix assez fortes dans la pièce voisine; je me lève et soulève légèrement le rideau qui fait office de séparation; Hassan et l'un de ses frères sont assis sur un sofa, deux rambos en treillis camouflé et armés d'arbalète à bastos hurlent comme des démons en arpentant la salle de long en large.
Si seulement je comprenais ce que ces agités vocifèrent; Salomé doit être dans l'autre partie de la casbah, du côté du mini-harem d'Hassan.
Je me faufile dans un couloir et commence une inspection des lieux, je suis guidé par des fragrances qui ne trompent pas.
- Tu es fou de venir ici, si Hassan te voit il te trucide.
- Notre cher ami est en mauvaise posture, viens voir.
Nous reprenons le chemin inverse, la situation est un peu plus calme, notre hôte est debout à présent et les deux excités parlent moins fort.
- Alors que veulent ces charmants bonshommes?
- Attends, laisse-moi écouter.
Les palabres durent encore cinq minutes avant que les visiteurs du soir quittent les lieux, non sans avoir poussé une ultime gueulante.
Je constate une certaine émotion chez Salomé.
- Ils parlaient de mes parents, ces deux types font partie de la clique de kidnappeurs, ils exigent une rançon, importante, trop importante aux yeux d'Hassan, mais il est bien obligé d'accepter les exigences de ces messieurs.
- Tout va s'arranger ?
- J'espère, seulement je me méfie de ces fous, rançon versée, ils sont capables du pire.

Ce n'est qu'au petit matin que Salomé rejoint l'appartement des femmes.
Hassan me confirme que ses interlocuteurs nocturnes sont bien ceux qui détiennent les parents de Salomé.
- Eux trop gourmands, Ibrahim savoir où sont prisonniers, nuit prochaine envoyer des hommes avec fusils pour reprendre Léopold et femme.
- Je peux me joindre à vous.
Salomé n'approuve pas mon initiative.
- Avec ta pâleur, tu risques gros dans une telle expédition, je serais peinée s’il t’arrivait malheur.
- Tu tiens à moi à ce point?
- Tu peux encore nous être utile, pour nous sortir de ce bourbier.
En tout cas ma décision est prise, je vais faire partie du groupe d'intervention, un peu de noir sur le visage.
Nous préparons notre sortie, je vais accompagner quatre hommes dont Ibrahim qui lui aussi parle quelques mots de Français, je me demande si mon maquillage fait vraiment couleur locale, enfin, dans la pénombre, et puis j'ai un complément valable entre les mains.
Maintenant je suis au pied du mur et Salomé qui oscille entre les pleurs et les rires.
Nous allions sortir lorsque des coups de feu retentissent dans une ruelle voisine; nous attendons un peu; Ibrahim propose d'aller faire un tour en éclaireur, il n'est pas longtemps dehors, il revient l'air affolé, des rafales se font entendre au loin, grande discussion entre les hommes et Salomé.
Salomé m’explique.
- Les hommes d'Abdullah ont été attaqués par un groupe adverse, pas question de bouger pour le moment.
Des chocs sur la porte d'entrée, Hassan hésite à ouvrir, nous prenons position, bien décidés à défendre notre bastion.
Une voix féminine se fait entendre derrière la porte, Salomé tourne la clé, trois personnes entrent dans la cour, une femme et deux hommes
- Maman, où est papa?
- Encore entre les mains de ces fous, nous avons profité d'un échange de coups de feu entre les deux bandes rivales pour nous sauver mais ton père était détenu dans un autre endroit, espérons qu'il réussira à s'en sortir aussi.
- Nous avions projeté d'aller vous libérer, nous pouvons encore agir pour votre mari.
- Vous n'y pensez pas monsieur, les hommes qui nous ont emmenés sont nombreux, une trentaine au moins, et puissamment armés, vous n'auriez aucune chance par la force.
Salomé me présente, sa maman me serre longuement la main.
-C’est notre ami Henri qui vous a envoyé, depuis notre détention, impossible de le joindre pour vous éviter de vivre cette aventure.
Mon chef m'avait dit que son vieil ami Léopold avait une soixantaine d'années, il ne m'avait pas parlé de l'épouse; quarante ans tout au plus, la même prestance que Salomé, une jolie plante en pleine maturité; sa fille se rend compte de mon émoi, elle me jette un regard significatif, je crois que je vais avoir droit à une scène de jalousie si je continue à m'extasier ainsi devant la maman. De nouvelles rafales de fusil d'assaut claquent dans le quartier, Hassan organise notre défense, il regroupe les femmes et les enfants dans un sous-sol, Salomé et Soraya la jolie maman refusent de descendre; je suis chargé de la surveillance d'une porte qui donne sur l’arrière, je suis perché dans un espèce de pigeonnier exigu, beaucoup d'agitation à l'extérieur, des cris, des bruits de pas, toujours des coups de feu, les maigres lumières de la rue viennent de s'éteindre, je suis dans le noir total.
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 25 avr. 2015, 16:32:37

Le brouhaha semble s'éloigner, encore des claquements et le calme revient enfin; au dodo messieurs les baroudeurs, laissez-nous en paix pour cette nuit; une ombre furtive se dirige vers mon observatoire, je crois deviner Salomé; c'est bien ma princesse, elle est déjà dans mon perchoir.
- Tu es bien ici.
- Tu trouves, c'est tout de même un peu étroit.
- Tout dépend ce que l'on veut y faire.
Salomé sait ce qu’elle veut y faire et malgré l’inconfort nous y parvenons.
- Avant de te quitter, je te rappelle que ma mère est mariée.
- Oui, et alors ?
- J’ai saisi ton regard lubrique posé sur elle, ne t’avise pas de toucher un seul cheveu de maman, j’arrache les tiens et je te coupe le reste.
- La jalousie est un vilain défaut.
- C’est l’honneur de papa que je défends.
- Si tu me fais de telles recommandations, c’est que ta jolie maman est accessible.
- Dans les moments que nous vivons, tout est possible, crois-tu que dans une période normale j’aurais cédé à tes avances ? tu peux t'attaquer à une autre femme, si tu le désires, chez Hassan il y a du choix, tu as vu ses filles, elles sont superbes?
- Le vieux a évité de me les présenter mais je compte sur toi pour m'introduire dans vos appartements, sont-elles aussi jolies que tu le dis?

Nous entrons dans l'habitation, c'est le grand calme, un homme d’Hassan est campé devant la porte d’entrée, il échange quelques mots avec Salomé, elle me traduit.
- Terminé pour cette nuit, les soudards ont retrouvés leur couche, le repos du guerrier est sacré en Afrique.
Hassan et Tahar l'un de ses frères sont assoupis sur un sofa; Soraya est accroupie dans un coin de la grande salle.
Hassan bavarde avec Salomé, il semble mécontent.
- Que se passe-t-il?
- C'est maman qui refuse de rejoindre le logement des femmes, je crois plutôt qu'elle craint les sollicitations de Tahar.
- Je ne suis pas le seul homme intéressé par ta mère.
- Malheureusement... toi seul pourrait lui éviter de subir ce vieux rustre.
- Et comment ?
- Tu invites maman à te suivre dans ton coin.
- Et tu accepterais?
- De deux maux il faut choisir le moindre, c'est l'un de vos proverbes je crois.
- Et tu me considères comme étant moindre par rapport au vieux rabougri.
- Amoindri en tout cas, pour le moment.
- Et ta visite inopinée dans mon grenier faisait partie de ton plan, bien joué.
- Je ne peux rien te cacher mon ami.... Hassan et son frère n'y verraient aucun inconvénient, tu es leur invité, ils te doivent l'hospitalité, tu es prioritaire...un dernier conseil avant de te quitter, au cas où tu te sentirais en forme, sache que maman est très exigeante.
Le scénario est conforme aux prévisions, Tahar fait un peu la grimace, Hassan, au contraire est visiblement soulagé; et Soraya?
- Je sais quels sont vos rapports avec Salomé, nous ne nous cachons rien, vous êtes chanceux, elle n'accorde pas ses faveurs à n'importe qui.
- Et vous?
- J'ai accepté ce marché car je suis certaine que vous êtes un gentleman, mon mari est en danger de mort, pensez-y, bonne nuit, reposez-vous, demain nous risquons de subir d'autres attaques, la ville est complètement gangrenée.
Nous nous couchons dans les coins opposés. En respirant fort, je sens l'odeur de ma voisine, une odeur excitante, je devine ce corps étendu à quelques mètres de moi, un corps au galbe parfait, j' imagine une poitrine généreuse, des fesses aux rondeurs harmonieuses et puis... J'ouvre les yeux, le jour est là, Soraya aussi.
- Bien dormi monsieur Dumont ?
- Ma foi, je pense et vous?
- Pas vraiment.
Aucun bruit dans la maisonnée, dehors c'est également le calme.
Soraya me raconte l’attaque subie par une bande de pillards.
- Nos hommes que nous imaginions courageux se sont immédiatement rendus, ils ont participé au pillage.
Cette fois, des bruits de pas retentissent dans la pièce voisine, Salomé soulève doucement le rideau, elle nous regarde à tour de rôle d’un air soupçonneux.
Alors que Soraya se dirige vers le logement des femmes, sa fille me questionne, je la rassure, j’ai respecté mon engagement.
- Maman te l'a caché, elle prend un bateau avant midi, direction Djibouti, elle va à notre banque afin de faire un virement au profit d'Hassan, nous verserons une rançon aux ravisseurs de papa, les modalités de la libération sont définies, reste quelques points de détail à régler, nous en reparlerons avec Hassan après le départ de maman.
- Et cette décision était déjà prise hier je parie?
- Oui mon ami, seulement, avec le cirque de la soirée, les risques encourus, nous voulions attendre ce matin pour t'avertir; le calme est revenu pour le moment, maman peut partir.
Soraya m’embrasse, je suis ému, c'est Hassan qui doit l'accompagner jusqu'au port, Tahar s’était proposé pour cette mission mais les femmes s'étaient vigoureusement opposés à cette éventualité, le jeune Ali va également se joindre à l’expédition; il est heureux de quitter ce quartier dangereux.

Hassan vient de rentrer, il parle en Somali, Salomé me traduit.
-Maman est bien partie pour Djibouti, elle va effectuer un virement sur le compte d’Hassan, il pense que tu pourrais te charger de la récupération de papa, ensuite vous irez au port, il a un ami sur place qui possède plusieurs bateaux, je vous rejoindrai et nous embarquerons tous les trois pour Djibouti ?
- C'est toi qui verseras l'argent?
- Oui, tu vois une autre solution?
- Tu vas courir des risques.
- Non, détrompe-toi, les hommes, malgré leur conduite de sauvages respectent encore les femmes, surtout les filles, la bande qui avait investi notre propriété et qui détient papa est basée dans les environs, le port est sous la coupe d’une bande adverse, c'est tout le problème.
- Comment allons-nous rejoindre le port ?
- Un neveu de Tahar a une voiture, il vous transportera, nous allons attendre le versement sur le compte d’Hassan.
- Combien de temps cela peut durer?
- Deux ou trois jours, tout dépend, en espérant que maman et Ali ne rencontrent aucun obstacle.
- Tu as confiance en Hassan?
- Pleine confiance, il a une dette envers notre famille, c’est un homme d’honneur.
Quelques jours de vacances supplémentaires, seulement j'aimerais communiquer avec Paris, prévenir le boss que je suis encore en vie, impossible de mettre le nez dehors dans la journée.
Salomé devine mes préoccupations.
- Je peux essayer de téléphoner en France, donne-moi le numéro de ton journal, je vais faire un tour en ville, que dois-je dire ?
- Tu connais la situation, si tu touches le patron, dis-lui ce qui se passe, ma mission avait deux buts, le premier est en cours de réalisation, concernant le reportage j'ai déjà quelques petites idées.
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 09 mai 2015, 18:51:38

Je tourne comme un ours en cage, Hassan se rend compte de mon ennui.
- Salomé revenir bientôt.
- Vos filles sont encore enfermées.
- Enfermées? jamais enfermées, vous venir avec moi.
Nous traversons un patio et pénétrons dans un bâtiment bas de plafond avant de déboucher dans une salle éclairée par de larges ouvertures; de senteurs fortes me parviennent, plusieurs femmes sont assises sur des marches et bavardent; notre arrivée est remarquée, les conciliabules s’arrêtent, tous les regards convergent vers moi.
Mon hôte tape dans les mains et prononce quelques phrases d'une voix forte; les femmes disparaissent sauf trois; nous nous approchons d'elles.
- Filles de moi, Fatima, Aïcha, Zora.
Les trois demoiselles sont assez dissemblables, et Aïcha que j'imaginais grande, élancée, fine, est plutôt du genre boulotte, joli visage certes mais une poitrine un peu forte, un ventre un peu trop rond et des fesses... à l'inverse, Fatima est grande, bien balancée, seulement son visage est marqué par de petites cicatrices, traces d'une maladie de la peau; je n'ai d'yeux que pour la jeune Zora, une ravissante poupée à la taille fine, aux manières raffinées, au regard de biche effarouchée; quel âge a t'elle? Le père doit être surpris de mon attention particulière pour sa petite dernière, je suppose qu'il attendait des compliments sur Aïcha qui correspond mieux aux canons de la beauté pour les bédouins du désert et les rois du pétrole; il tape à nouveau dans ses mains et les trois demoiselles se retirent; Zora se retourne avant de disparaître, son regard ressemble à une supplique, elle a compris tout l’intérêt que je lui porte.
Hassan me tire par le bras, peur que je suive la gamine certainement.
Je suis sérieusement inquiet, Salomé tarde à revenir.
Je me retire dans la pièce qui me sert de chambre, je suis fatigué et la chaleur devient insupportable.
L'un des fils d'Hassan me rejoint, je ne comprends pas ses mimiques mais j'accepte de le suivre, il me guide vers l'hammam désert à cette heure et m'invite à prendre un bain; d'accord mon ami mais j'aimerais que tu t'éloignes, je n’ai pas réellement confiance en toi, à la limite tu peux m'envoyer ta petite sœur pour me frotter le dos.
Il a bien du mal à comprendre l'animal, je suis sûr qu'il guette à travers le moucharabieh, on a du lui raconter des horreurs sur les attributs des blancs...le bain était tout de même nécessaire et salutaire.
Volontairement, à la sortie du hammam, je me perds dans la galerie et me retrouve près du local des femmes; Tahar ne me laisse pas rôder longtemps dans ce quartier réservé, il ameute son frère qui arrive aussitôt.
- Pas bien venir ici, pas bien monsieur Vincent, laissez femmes tranquilles.
Cette fois je balise, la nuit va bientôt tomber et point de Salomé en vue; j'aurais dû refuser qu'elle accomplisse cette mission, après tout le boss peut se passer de mes nouvelles, ce n'est pas la première fois que je reste silencieux pendant plusieurs jours, il est habitué.
Hassan est également soucieux, il envoie un émissaire.
Comme chaque soir, ce doit être une tradition dans ce bled, la sarabande recommence, des rafales, des explosions, la fantasia.
L'émissaire revient bredouille, il est passé entre les balles qui sifflent dans les rues; Hassan me demande de reprendre position au-dessus de la porte de service, j'y vais à contrecœur, aucun espoir d’une visite agréable comme c’était le cas hier, Salomé est entre les sales pattes de bandits qui, après avoir déchargé leur réservoir de bastos vont s’amuser avec elle.
Je sursaute, je devais sommeiller, la main qui vient de me toucher le bras armé est douce et tiède, d'instinct je sens que c'est une femme; Salomé? non, une autre, j'en suis persuadé; je pose mon flingue, saisis cette main et remonte le bras; passant par l'épaule, je redescends vers la poitrine; le sein est ferme, le volume me donne une précieuse indication, Zora, ce ne peut qu'être elle; alors que mon autre main entamait un périple diffèrent, caressant une cuisse veloutée, remontant doucement vers le haut, le fantôme se dégageait vivement et sautait dans la cour; j'entendais les pas rapides et légers crisser sur le gravier, je restais seul, sous le choc.
Une luciole approchait de mon poste, une autre femme?
- Vous descendre tout de suite.
Hassan! que me veux-t-il; pourvu qu'il n'ai pas aperçu Zora dans la cour, il pourrait supposer des tas de choses.
- Salomé pas revenir, attendre, voilà, elle écrire.
Hassan me tend une feuille de papier, je lui demande de diriger sa bougie au-dessus du message.
La missive est brève, Salomé me signale qu'elle est en sécurité dans un hôtel de la ville, qu'elle a réussi à joindre le journal, qu'elle attend le petit jour pour réintégrer la demeure d' Hassan... la coquine ajoute qu'elle est en bonne compagnie et que la nuit est prometteuse.
Elle se venge, vrai ou pas, son post-scriptum me ronge l'esprit, elle va me le payer cher.
Impossible de fermer l’œil, je suis lessivé, depuis le lever du soleil, je guette la porte; Hassan m'a désigné la direction de la salle de bain, il en sortait, tout guilleret et je comprenais sa joie en voyant sortir l'une de ses femmes du même endroit; à n'en pas douter le seigneur venait de bénéficier de certaines gâteries.
Je me décidais à pénétrer dans la vapeur; à peine déshabillé, je sentais une présence dans mon dos, je n'osais tourner la tête, certain que cette présence était féminine; l'éponge me caressait les épaules, descendait le long de ma colonne vertébrale jusqu'à la base, contournait ma cuisse et arrivait à l'endroit stratégique; j'attrapais le bras et tirais doucement afin de découvrir le visage de l'odalisque; Aïcha, c’était elle, dans toutes ses rondeurs affriolantes.
La fille d'Hassan me faisait signe de rester calme, de me laisser faire et je me laissais caresser, dorloter... je défaillais... j'aurais voulu concrétiser plus physiquement mais la belle refusait mes assauts, continuant son oeuvre de bienfaisance jusqu'au nirvana; elle s'éclipsait comme elle était venue et je restais de longues minutes dans un état léthargique.
Le maître de maison assistait à ma sortie pour juger de mes réactions, il devait être satisfait, j'affichais une hébétude proche de la folie douce.
- Alors Aïcha? pas faire amour avec elle, pure pour mariage.
D'accord vieux, je te comprends, tu veux qu'elle reste vierge pour en tirer le maximum, merci tout de même de la maintenir en forme par des séances telles que celles que je viens de subir, elle carbure bien la demoiselle, l’idéal pour un émir Qatari; demain envoie-moi donc la benjamine, c'est moi qui lui ferai un brin de conduite.
Et Salomé? le petit jour a grandit, aucune nouvelle, son amant d'une nuit ne la lâche plus; je souhaite que ce soit la vérité, plutôt la savoir dans un plumard, coincée sous un homme que torturée ou morte.
La sieste m'est indispensable, je m'affaiblis de jour en jour, la nourriture que j'avale du bout des lèvres, la chaleur, la flotte que je bois par bouteilles complètes, tout cela ne m'arrange pas, ce régime ne peut durer, trois jours que Salomé est sortie, aucune autre nouvelle depuis la lettre, les émissaires envoyés par Hassan ne peuvent dépasser le coin de la rue sans être tirés comme des lapins.
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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Vincendix
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 17 mai 2015, 10:28:48

C'est décidé, dès que le calme est retombé sur la ville, je tente une sortie, Tayeb, un fils d'Hassan, est d'accord pour me guider jusqu'à l'hôtel Stromboli, je vais me déguiser en bédouin.
Quelle odeur dans les ruelles sombres, pas un chat ne circule, aucun chat mais des chiens errants qui, immanquablement, viennent me renifler, ils sentent le roumi ces sales cabots; nous descendons un escalier interminable, il faut tâter chaque marche avec le pied, aucune n'a la même hauteur ni la même largeur; ouf, un bâtiment un plus important que les autres, quelques lumignons, c'est hôtel.
Une vraie forteresse, il faut s’annoncer pour pénétrer par une sorte de poterne, le concierge de la taule est sur ses gardes, choqué de me voir, un franc dans les rues de Berbera n'est pas monnaie courante.
Présentation mondaine, le gus me fait des courbettes; grande discussion que Tayeb essaye de me traduire par gestes; si je comprends bien, Salomé est en ville depuis deux jours, elle devrait revenir au plus tard demain matin; c'est tout ce que j'arrive à saisir et encore je suis peu sûr de mon interprétation.
Tayeb me salue et tourne les talons, il va rejoindre sa famille; le taulier me guide dans un couloir étroit et sombre, me présente une piaule; dès l’entrée une odeur familière m'indique que la fille de Léopold a séjourné dans cet endroit, sympas ces Somalis, à l’idée que ma princesse a couché dans ce pieu, son aspect peu engageant à première vue s'oublie. Je me couche et dors rapidement.
Je me réveille plusieurs fois, ayant la douce impression qu'une femme vient se glisser sous la moustiquaire, moustiquaire tellement percée qui bloquerait tout juste un pigeon.
Des coups discrets sont frappés à ma porte, je me lève et ouvre; un indigène, assez bien vêtu, relativement jeune, visiblement surpris de me voir dans cette carrée, nul doute qu'il s'attendait à trouver un autre locataire, voire une certaine demoiselle.
- Excuse-me sir...
La politesse exige qu'il se présente le premier, je ne lui laisse pas le choix et lui indique qui je sui, mon anglais populaire ne sied pas à ce dandy, il me parle en Français.
- J'ai fais connaissance avec mademoiselle Salomé, elle m'a fait part de ses préoccupations, de la détention de son papa, je venais lui faire une proposition.
Formidable ce mec, il jacte un Français parfait, il a une bonne tronche, n’est pas armé, tout pour me plaire.
J'apprends que ce jeune homme réside dans cette bonne ville festive, que son père est une sorte d'armateur riche, que sa famille entretient de bonnes relations avec les combattants de tous bords... qu’il peut avancer l'argent de la rançon en attendant l’arrivée des fonds de Djibouti, négocier avec les ravisseurs, ouvrir le passage vers le port et s'occuper de l'embarquement... un vrai conte de fée.
Que cache cette prodigalité, ce garçon à des vues sur la jolie Salomé, c'est évident; il a peut-être résidé dans cette chambre avant moi, et pas seul lui, une pointe de jalousie m'étreint, pourtant, je sais pertinemment que l'aventure sentimentale dans la corne africaine ne durera pas; comme d'habitude, je quitterai cette terre en laissant mes souvenirs derrière moi, en essayant d'oublier le passé et en ne pensant qu'au reportage futur.
Nous descendons au salon; un peu dévasté cet hôtel Stromboli, victimes d'irruptions spontanées.
Je bois deux tasses de thé, sans menthe et presque sans thé, avale plusieurs galettes probablement fraîches de la semaine dernière; même minable, je me sens plus à l'aise dans ce décor à l’européenne que dans le gourbi d'Hassan. Une employée, sosie d'Aïcha, virginité en moins je présume, rôde autour de moi comme une guêpe autour d'un pot de confiture, la lumière de ma peau l'attire, minute beauté fatale, je bavarde avec monsieur et, si Salomé fait défaut, nous aviserons. Le sir Kémal ne m'a pas raconté de salades, les salamalecs généreusement distribués par l’hôtelier le prouvent, j'ai affaire à un bourgeois.
- Mademoiselle Salomé avait réussi à localiser son père, je lui ai déconseillé de tenter une action pour le libérer, je me demande si elle avait envie de suivre mes conseils, j'ai l'impression que c'est une fille de caractère.
- Ou pourrait-elle se trouver? Ne pourriez-vous faire une enquête, vous qui passez partout sans problème.
- Patience monsieur Dumont, vous êtes bien un occidental, toujours pressé.
- Vous connaissez bien nos mœurs.
- Six ans à Montpellier, à l’université... nous avions rendez-vous ce matin, elle m'avait promis.
Nous entendons une voix de femme dans l’entrée, tendant l'oreille, je ne reconnais malheureusement pas celle de Salomé.
La dame vient vers nous, s'adresse à mon voisin; le visage de Kémal s'éclaire.
- Je vous l'avais bien dit que mademoiselle Salomé est une têtue, son père est libre, ils ont pris la direction du port.
- Que s'est-il passé?
- La dame n'en sait pas plus, elle avait ce message à me communiquer, têtue mais de parole votre amie... en route, nous devons les accueillir sur les quais, les aider à embarquer en toute sécurité.
- Mais je dois les accompagner, j'ai encore mon paquetage chez Hassan, dans le quartier sud.
- Faire un tel détour, impossible, et puis c'est un secteur que je n'ose parcourir, trop de risques.
Ce ne serait pas la première fois que j'abandonne mes bagages sur place, c'est pour cela que je prends la bonne habitude de bourrer mes poches avec les objets indispensables quand je quitte un campement.
Je sors le billet confié par Tayeb pour régler la chambre, Kémal me repousse, il règle la totalité de la note.
J'étais loin d'imaginer que mon coéquipier était motorisé, je m'attendais à raser les murs, à suivre un méandre de ruelles aux senteurs exotiques pour ne pas dire aux odeurs de m...., avant d'arriver au bord de mer. La grosse berline germaine qui nous attend face à la sortie force le respect, les rares traînent-babouches de ce matin brûlant tournent la tête dans notre direction, je m'engouffre dans l'habitacle aux vitres opaques extérieurement, la climatisation fonctionne parfaitement, c'est le pied; le chauffeur n'a aucun regard pour moi, il démarre et accélère, je ne vois défiler que des poteaux électriques et téléphoniques, et à belle allure; nous sommes vite arrivé à bon port, c'est le cas de le dire, d'un côté l’océan remuant, de l'autre un long bâtiment en piteux état; aucun rafiot dans les parages si ce ne sont trois vilaines coques rouillées en pleine décomposition, agitées par des vagues déferlantes, trois épaves tristes mais qui s’intègrent parfaitement dans le décor.
Les yeux fixés vers le large, symbole de liberté, d'évasion, je n'avais pas prêté attention à l’arrivée d'hommes; ils sortent du hangar, ils sont une bonne dizaine, mines patibulaires, beaux joujoux entre les mains, kalachnikovs dernier modèles.
- Nos gardes.
Je respire, ces mecs grimaçants me plaisent bien maintenant, très heureux de les savoir de notre côte, enchanté messieurs.
Kémal donne des ordres brefs et nets, deux spadassins font demi-tour au pas de course, entrent dans le hall; ils ressortent rapidement dans un véhicule tout terrain et disparaissent dans un nuage de poussière.
- Venez vous mettre à l'abri du soleil, nous n'avons plus qu'à attendre, Salomé et son père doivent être dans les environs, je crois savoir dans quel endroit ils se sont réfugiés, soyez tranquille, nous allons les récupérer.
- Et le bateau, il est bien prévu?
- Ne vous tracassez pas, il est amarré à proximité, il faut éviter d'attirer l'attention, tout mouvement dans le port est étroitement surveillé, nous sommes en état d'alerte permanente cher monsieur Dumont.
Inutile de me le rappeler cher monsieur le trafiquant, je m'en suis aperçu depuis mon arrivée en Somalie, pays de non repos, chaudron bouillonnant, point chaud du globe; point chaud, comme j'aimerais revoir cette enseigne qui me faisait des clins d’œil le jour de mon départ, dans les rues de Paris encombrées de gens agressifs mais pas dangereux, de braillards armés de banderoles uniquement chargées de slogans ringards, des ‘jamais contents’ de leur sort que la majorité de terriens envient.
Surprise, l'envers du décor est un fortin de la ligne Maginot surmonté d' une bastide cathare, avec en sous-sol un bunker teuton; c'est dans la partie bunker que nous descendons, de la lumière artificielle, un vrai luxe dans ce pays; nous débouchons dans une grande salle où s'activent quelques hommes devant des bureaux chargés de dossiers; la vie continue, des gens bossent, dans des conditions difficiles ils poursuivent une activité.
- Nous sommes devenus de véritables commerçants, en plus de notre fonction d'armateur, nous négocions toutes sortes de marchandises.
Le bureau de la direction est situé derrière une série de portes métalliques, un vrai coffre-fort.
- Mon oncle...
Un grand gaillard moins sombre que la moyenne se déplie, il me serre la main à l'occidentale.
Son Français est approximatif, il me souhaite la bienvenue et s’inquiète de ma santé; il doit s'apercevoir que je décline, le miroir piqué de hôtel m'avait renvoyé une image difficile à supporter, mon short aurait besoin d'une ceinture pour maintenir une place décente, ma chemisette flotte sur mes épaules décharnées.
L'oncle et le neveu palabrent, il doit être question de ma petite personne.
- Mon oncle est docteur, il avait un cabinet en ville avant les événements, il vous trouve mauvaise mine, déficient, accepteriez-vous qu'il vous examine?
Il me fiche les jetons ce toubib.
Un escalier en pierre et en colimaçon, pas incompatible; une pièce curieuse qui tient plus du laboratoire d'alchimiste que du cabinet d'un médecin.
- Mon oncle fabrique des médicaments, à base de plantes, nous sommes dans cette obligation, les vivres et à plus forte raison les médicaments n'arrivent qu'au compte-gouttes, tout le contraire des armes et des munitions.
Le grand gaillard me parait sérieux, je le voyais un peu charlatan, je me trompe, il sonde mes poumons, me fait tousser, écoute mon cœur, me prend le pouls, la tension, teste mes réflexes, me tapote le bide en posant l'oreille sur le nombril et hoche la tête d'un air entendu.
Que me trouve d’anormal cet Esculape somali? tuberculose, béribéri, malaria et compagnie? j'ai pourtant pris toutes les potions magiques conseillées avant d’échouer en Afrique, piqûres, rappels, rappels bis et ter.
J'attends la traduction du diagnostic, je suis un gros tantinet anxieux.
- Rien de très sérieux pour le moment, il vous trouve une petite infection gastrite, une carence en sucre, vous êtes un buveur de soda d’après lui et cette boisson manque à votre organisme.
Il a raison, ma ration de coca me manque, c'est plus qu'un docteur ce monsieur, c'est un marabout.
- Vous allez prendre une décoction de plantes qu'il va vous confectionner tout de suite et je vais vous préparer à boire et à manger.
Putain d’odeur sa mixture mais il m'encourage à la boire d'un trait; je me demande à quel moment je vais exploser, toutes les cornues qui fument, les bocaux qui bouillonnent, les tubes qui glougloutent dans son antre, il doit y avoir de la bave de crapaud, de la salive de mygale, de l'urine de rat dans ce breuvage nauséabond.
Du coup j'oublierais presque Salomé et son père, ils devraient être arrivés à présent, le temps me semble bien long, ils ont pris des chemins à rallonges, pourvu que ma princesse soit en sécurité.
- Venez monsieur Dumont, attention aux marches elles sont hautes.
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Vincendix
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 25 mai 2015, 19:19:22

Nous montons encore un escalier, j’ai bien du mal à traîner ma vielle carcasse et la potion magique gargouille dans mon estomac.
Après une montée sombre, nous retrouvons le soleil, cette fois nous sommes dans la forteresse, une cour entièrement fermée, des femmes, enfin, je ne savais plus comment elles étaient faites, le savant mélange du docteur Faust m'avait rendu amnésique.
Kémal me gave de dattes confites, si je manquais de sucre, cette fois je vais tourner en mélasse, il m'a même trouvé du coca, et du vrai de vrai, pas une pâle imitation; je suis certain que les caves de cette étrange société regorgent de marchandises diverses et variées, de beaux bénéfices en perspective.
Le remède doit faire son effet, je me sens revigoré, je prendrais bien un petit repos avec l'une des jeunes femmes rencontrées dans la cour, de beaux châssis, je me fais des illusions, elle m'ont regardé d'un air dédaigneux, si les femelles commencent à me snober c'est que je suis dans un état lamentable, c'est ma foi vrai, deux semaines dans cette ambiance particulière n'arrange pas mon organisme, pour compenser, dès ma rentrée, je vais postuler pour un reportage à Corfou ou à Tahiti.
Je suis revenu dans un endroit relativement frais, j'ai croisé les dames de la cour, toujours aussi nonchalantes et aussi dédaigneuses, Kemal me désigne un sofa.
-Reposez-vous en attendant Salomé et son père, ensuite vous reprendrez la route pour rejoindre le bateau.
La tisane du docteur Mabuse m'endort....
………….
- Et bien beau Parisien, tu avais réellement besoin de repos.
Je soulève péniblement les paupières, la première vision d'un monde nouveau est idyllique, une bouche à croquer, le baiser chaud et passionné qui vient se poser sur ma bouche triste et sèche est celui d'un ange, je suis déjà au paradis.
- Salomé, enfin, j’étais fou d’inquiétude.
- Je te crois, je suis arrivée depuis plus de vingt minutes, à tes côtés depuis dix bonnes minutes et je constate qu'effectivement tu es très inquiet... ton profond sommeil, le sourire béat que tu affichais en dormant…
- Je t'assure, demande à Kémal, j'en faisais même une maladie
- Cà c'est vrai, l'oncle Mustapha me demande d'être attentionnée, de ne pas abuser de ta faible constitution et de te faire avaler encore une rasade de sirop.
Je dois m’exécuter, la dose est moins forte mais je trouve le goût toujours aussi écœurant.
- J'aurai droit à une récompense, j'ai bien pris mon médicament madame l’infirmière.
- Nous verrons plus tard, tu dois reprendre des forces, quand nous serons en sécurité à Djibouti.
- Et ton père?
- Ah tout de même, je pensais que tu avais oublié son existence.
- Excuse-moi, c'est ce breuvage qui me fait perdre le fil de la réalité.
- Il est sauf, malheureusement pas tout à fait sain, Mustapha s'en occupe, c'est un génie cet homme, papa est heureux de nous savoir tous en sécurité, toi y compris, j'ai eu le temps de lui parler de ton aide efficace, de ta détermination, de tout.
- Et nous serons quand à Djibouti?
- Pourquoi cette question, pour être sorti de cet enfer ou à cause de ma promesse?
- Devine.... Kémal et toi, à l’hôtel ?
- Et alors, blanc pâlichon, je suis ton esclave? j'ai des comptes à te rendre?
- Le départ, rapidement?
- En pleine nuit, pas avant, ce serait trop dangereux, les pirates sont nombreux à naviguer dans les parages, pire que dans la mer des Caraïbes au temps des corsaires.
A nouveau la boisson herbeuse me monte à la tête, je vais sombrer dans le coma.
- Tu vas reprendre un peu de consistance en dormant ainsi... je te présente papa.
Si Salomé était absente, le spectre qui me sourit de toutes ses fausses dents me ferait penser que je suis en plein cauchemar ou aux portes de l’enfer, le pauvre homme doit avoir besoin de toute la médecine de Mustapha pour reprendre forme, du coup je me sens ragaillardi, je m'assieds sur ma couche et serre délicatement la main du squelette.
- Merci monsieur Dumont, Paul est un excellent ami, il avait compris mon message, merci de votre aide.
Je proteste, sans moi, le résultat aurait été le même, j’étais plutôt un handicap, un boulet.
- C'est votre fille qu'il faut remercier.
- C'est fait, elle est formidable.
- Comment avez-vous fait pour vous échapper?
- Grâce aux femmes, les seules à être raisonnables dans ce grand désordre, comme toujours, Salomé, ma fille, raconte l’histoire.
- C'est très simple, sachant où était enfermé papa, j'ai trouvé des complices de mon sexe qui se sont chargées d'occuper les gardiens, la libération devenait aisée, par contre, nous avons rencontré de sérieux obstacles pour arriver jusqu'ici, entre temps l'alerte avait été donnée, les preneurs d'otage nous avaient pris en chasse, sans les deux mercenaires de Kémal nous serions encore en ville, à chercher un moyen de vous rejoindre.
Je dévore le contenu d'un plat sans me poser de questions, c'est un genre de couscous bien particulier, chaque cuillère me brûle la langue et le palais, m'arrache la gorge, si mon estomac résiste à ce décapant c'est qu'il est galvanisé.
- J'ai laissé mon sac chez Hassan.
- Tu vas être satisfait, il est rapatrié lui aussi, la commissionnaire vient d'arriver à l'instant, elle sera également du voyage pour Djibouti, son papa nous la confie.
- Une des filles d'Hassan?
- Tes yeux te trahissent, tu as eu le temps de faire leur connaissance durant mon absence, elles t'ont marquées les demoiselles, et tu viendrais me faire la morale... laquelle préfères-tu?
- A ton avis?
- Celle qui se trouve dans la pièce voisine, je connais tes goûts.
- Puis-je la voir?
- Interdit dans cette maison, elle est sous la haute protection de Kémal et de son oncle, tu auras la surprise en mer.
Le quartier du port est aussi agité que les autres, dès que le soleil disparaît derrière les montagnes, les pétarades reprennent de plus belle, tous les soirs c'est le 14 Juillet, je ne suis plus de garde, nous avons de redoutables cerbères postés aux quatre coins de la citadelle, protection efficace assurée, paradoxalement je regrette ma tour de guet, je me sens inutile ici. Notre future accompagnatrice, Aïcha ou Zora? Fatima peut-être ?
Léopold me raconte l'attaque subie par sa famille et ses hommes, la mise à sac de la propriété.
- Des complicités parmi vos employés?
- Sans aucun doute, sinon nous aurions fait face, je n'ai plus rien à faire dans ce pays, je me demande comment la situation va évoluer, vous avez vu mes installations, ma maison, nous devons tout abandonner.
- Et l'argent que votre épouse doit faire virer?
- Hassan retournera le virement... j’espère... nous avons tenté de joindre Soraya pour lui annoncer ma libération, impossible de communiquer avec Djibouti.
Kémal vient de joindre notre bateau par radio.
- Il ne peut appareiller pour le moment, beaucoup trop de monde sur les quais, trafics en tout genre, il faut attendre.
Mustapha m'a préparé un litre plein de liquide brunâtre.
- Boire une gorgée demain matin, pareil midi, pareil soir, trois jours sinon mauvais pour vous.
Moi qui croyais être sauvé, dès mon arrivée à Djibouti, j'ai intérêt à consulter.
Kémal m'invite à me reposer un peu avant l'embarquement.
- Il faudra marcher beaucoup, le bateau ne peut accoster en face, il vous attendra de l'autre côté de la baie, Léopold et la demoiselle sont déjà en route, il fallait fractionner les départs.
- Salomé est partie?
- Non, l'autre demoiselle, la fille d'Hassan, Salomé partira avec vous et l'un de mes soldats.
Je somnole un peu, trop nerveux pour roupiller réellement.
- Nous y allons, c'est l'heure.
La tronche de notre guide ne me dit rien qui vaille, il lorgne sur la fille de Léopold comme un chat guette une souris, à surveiller de près ce loustic aux yeux glauques, seulement, il a trente cartouches dans le magasin de son rigolo, comment pourrais-je lutter?
Notre progression difficile, le sentier est escarpé, le crapahutage pénible, je maintiens solidement mon sac, si la bouteille de sirop se brise, beau travail dans mon paquetage.
Le pauvre Léopold a du souffrir lors de cette promenade au clair de lune, et la fille d'Hassan?
Je crois apercevoir un lamparo au loin, il se reflète sur l'eau, c'est notre embarcation.
Kémal m'avait signalé que c’était loin d'être un paquebot de croisière, il aurait pu ajouter que c’était un vulgaire bateau de pêche bien fatigué, encore plus que moi.
L'important c'est d'être arrivé à l’embarcadère, je redoutais cette étape, craignant que le mercenaire ne se montre trop galant envers Salomé, quelques échanges verbaux avaient eu lieu durant le parcours, malgré mes interrogations, j'attends encore la traduction.
Léopold nous embrasse, le brave homme est complètement épuisé, lui aussi a eu droit à une potion signée Mustapha, d'une couleur différente de la mienne mais tout aussi puante, il en boit des gorgées avec délectation.
Le rafiot décolle, doucement, très doucement, j'ai un sentiment de frustration, que vais-je rapporter de cette expédition? des souvenirs personnels surtout, et ce n'est pas fini, je le présume, l'ombre qui se tient à l'écart et vers qui j'avance pourrait faire partie de ces souvenirs, c'est bien Zora, la mignonne, la tendre, la douce Zora, Salomé est descendue dans la cambuse avec son père.
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 13 juin 2015, 17:39:43

Nous avons des visiteurs inattendus sur notre embarcation, des loustics qui s'invitent de force, ils ne m'ont pas été présentés, mais, malgré le peu d'éclairage, je les identifie rapidement, des Yéménites; j'avais déjà eu l'occasion de fréquenter ces citoyens à Aden, il y a quelques années, mauvais souvenirs, mauvais caractère, mauvaise foi (mille excuses à Allah), un atavisme les prédestine à la piraterie.
Je deviens le centre de leur intérêt, que fait un roumi au milieu de noirs, je converse en anglais, saupoudre quelques mots d'arabe pour faire bien, je sais que cette attention arrondit les angles les plus aigus avec des interlocuteurs obtus.
Ces flibustiers du vingtième siècle jouent un peu les gendarmes dans ces eaux agitées, ils veulent surtout garder le monopole du trafic, nous n'avons aucune marchandise illicite, j'explique notre cas et mets l'accent sur la fatigue extrême de Léopold, l'un des trois barbus reluque ma petite Zora qui rapidement vient se cacher derrière moi, heureusement que ce n'est pas Aïcha la plantureuse, il aurait été capable de la confisquer pour la vendre à un émir.
Je me pince les lèvres pour ne pas éclater de rire, Salomé a adopté une attitude efficace pour éviter les envies et les ennuis, elle louche à refouler un régiment de borgnes, se tient de guingois comme la rescapée d'un accident, jolie mise en scène.
Mon sac est fouillé, il est habitué, la bouteille intrigue, celui qui la débouche manque de tourner de l’œil, j'ai beau lui soutenir que c'est un remontant, il trempe son sale doigt dans le liquide et le fait sentir à ses acolytes, ils doivent être enfin convaincus de notre bonne foi et remontent dans leur vedette, voilà l'engin qu'il nous aurait fallu pour faire du cabotage, super bien équipés ces marsouins du prophète.
Le jour se lève et nous passons seulement au large de la propriété de Léopold, la maison se détache à l'horizon, le vieux juif Ethiopien a les larmes aux yeux.
Je félicite Salomé qui a repris son aspect habituel.
Le capitaine accepte de mettre le boutre en panne pour nous permettre de plonger un peu, l'astre suprême se surpasse et le reste de graisse qui me collait encore aux os est en fusion; la fille le Léopold est toujours aussi bonne plongeuse, elle remonte en cramponnant un joli poisson coloré.
- Voilà un ange, tu vois, tu ne voulais pas me croire.
- Je crois tout de toi.
- Nous sommes à quelques encablures de notre premier souvenir commun, tu n'as pas oublié, dans le canot?
- Toi non plus je vois.

Nous croisons des cargos au loin, contournons des îlots rocheux, nous approchons.
Palabres avec le chef, Salomé me traduit.
- Le capitaine refuse d'aller à Djibouti, il veut nous débarquer à Loyada.
- C'est déjà le territoire des Afars et des Issas?
- Oui, à vingt cinq kilomètre de la ville.
- C'est gênant?
- Vu l’état de papa oui, le moindre retard peut lui être fatal.
- Que faire, se mutiner?
- Non bien sûr, je crois que le capitaine est hors-la-loi à Djibouti, il s'est bien gardé d'en parler au départ, maintenant nous sommes contraints de subir sa volonté.
Le mouillage justifie son nom, les trois marins nous abandonnent à plusieurs mètres du littoral, approche trop dangereuse d’après l'amiral.
Je soutiens le petit baigneur noir afin de lui éviter d'être emporté par les vaguelettes alors que Salomé aide son père.
Un comité d'accueil nous reçoit, des gosses turbulents et curieux, leur bonne humeur nous fait chaud au cœur, ceux-là vivent sans menaces, enfin un havre de paix, une terre paisible.
Salomé entame la conversation avec celui qui semble être le chef de la bande
- Ils vont nous trouver un taxi pour rejoindre Djibouti.
Deux gamins filent à toutes jambes en direction des habitations.
Léopold a des difficultés à respirer, pourvu qu'il tienne le coup jusqu'à l'hôpital. Zora est frétillante, elle doit se sentir en sécurité sur ce sol, elle s'accroche à moi.
- Votre programme Cap’tain Chris?
- Tu as un point de chute en ville?
- Dans un premier temps je vais diriger mon père vers l’hôpital, ensuite retrouver maman qui doit se trouver à l’hôtel Ali Sabieh.
- Et Zora qu’allons-nous en faire?
- Son père nous a demandé de lui trouver une bonne place, nous avions de nombreux amis à Djibouti ce devrait être assez facile.
- Tu es chargée de la placer?
- Tu veux la prendre avec toi, l'emmener à Paris, la lâcher dans une ville froide et hostile? Et toi, tu as des connaissances en ville?
Je parle de ma rencontre avec le couple de personnes âgées, de leur invitation.
- Larivière tu dis? ce nom ne m'est pas inconnu, attends je demande confirmation à papa, ces gens devaient faire partie de nos relations.
Léopold a un moment de lucidité.
- Larivière, bien entendu, Fernand Larivière, nous étions en affaires, il dirigeait une société commerciale importante, il y a une quinzaine d'années, il avait même une succursale à Obock, en face de Djibouti, je me souviens encore de sa dame, jolie, très élégante, nous l'appelions la parisienne, c'est vous dire.
Nos petits commissionnaires nous ont dégoté un taxi, la vieille Peugeot n'est pas climatisée, n’empêche, c'est plaisant de rouler sans peur.
Le chauffeur est bavard autant que curieux, il se demande ce que nous faisions sur cette plage et nous questionne.
- Vous êtes des touristes?
Cet ancien chamelier fait l'âne pour avoir du son, nous n'avons pas le look de promeneurs.
- Vous êtes en règle au moins?
T'occupe frisé, pousse ton moulin, nous avons une urgence.
La prise en charge du malade est rapide, pendant que je vais téléphoner à Paris, Salomé essaye de contacter sa mère; de mon côté, soulagement au journal, mon silence commençait à inquiéter; le boss est absent, je demande à Yves de transmettre mon message.
- Maman n'est pas descendue à l’hôtel Ali Sabieh, ni au Plein Ciel, je ne sais plus que penser.
- Essaye dans d'autres établissements?
- Nous allons déjà faire un saut à notre banque, savoir si elle est passée pour effectuer le virement, Zora va nous attendre ici, j'ai demandé à une infirmière de la surveiller.
La gamine est tellement émerveillée par ce qu'elle découvre qu'elle répond à peine à mon petit bisou dans le cou.
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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Vincendix
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Re: lLes nuits de Somalie

Message non lu par Vincendix » 02 juil. 2015, 11:23:42

La civilisation a des avantages, les bureaux du Crédit Lyonnais sont frais, agréables. Je dois ressembler à Henry de Montfreid revenant du pays danakil, les employés et les clients de la banque me jettent un regard apitoyé.
- Entrez mademoiselle Isachié.
- Mon fiancé, notre entretien le concerne également.
Le directeur me toise et finalement accepte ma présence dans son bureau.
- Madame votre mère est bien venue la semaine dernière pour nous demander d'effectuer un virement en direction de la Somalie, la somme était importante et nous devions avoir l'accord de notre hiérarchie, les transferts de fonds vers le pays voisin ne sont autorisés que sous certaines conditions, elle devait nous contacter à nouveau le lendemain, ce qu'elle a fait par téléphone et l'avons informé du refus.
- Elle vous a indiqué un endroit où la joindre?
- Non... un indice, peut-être, lorsqu'elle venue, elle n’était pas seule, une dame, de type asiatique l'accompagnait.
- Une personne de quel âge environ ?
- Une quarantaine d’années, attendez je demande à la réception, je n'avais jamais vu cette personne auparavant.
La préposée confirme que l'accompagnatrice était une femme d'environ quarante ans, petite, chinoise ou japonaise, parlant parfaitement le Français.
- Madame Dayan je suppose, Chou-Li Dayan, maman était probablement descendue chez elle, une amie, son mari est juif, allons-y, ce n'est pas très loin, je crois me souvenir de la maison.
Un autre taxi nous conduit dans un quartier excentré, Salomé n'arrive plus à situer la propriété, nous continuons vers le Serpent.
- Allons voir les Larivière, ils pourront nous renseigner.
- Tu as raison Chris, tout le monde se connaît dans ce milieu.
La grille est naturellement fermée, je sonne, la voix qui me répond à l’interphone n'est pas celle d'Adèle ni celle de madame Larivière. Je m'annonce et attend.
- Nous vous ouvrons le portail monsieur Dumont, quelle joie de vous entendre.
Cette fois c'est bien l’hôtesse, elle est déjà sur le perron lorsque nous arrivons, toujours aussi pimpante la ‘parisienne’, point d'Adèle dans les parages
- Je vous présente mademoiselle Isachié, la fille de Léopold et de Soraya Isachié
- Mon Dieu ce n'est pas possible, je vous ai connu toute petite, vous êtes ravissante mademoiselle... entrez donc, Fernand va être heureux de vous revoir, il vous a fait sauter sur ses genoux... et votre papa?
Salomé résume la situation.
- Les Dayan? Ils habitent vers le bord de mer, vous pouvez téléphoner d’ici, votre maman serait dans notre ville? Que puis-je vous offrir?
- Et Adèle?
- Adèle, c'est son jour de congé, elle va être heureuse de vous revoir, nous nous faisions du souci pour vous, les nouvelles les plus alarmistes proviennent de Somalie... Fernand se repose sur la terrasse, il faut le laisser pour le moment, nous irons le voir plus tard.
- Maman est hébergée chez les Dayan, je viens d'avoir la gardienne, seulement tous trois sont partis pour plusieurs jours, elle ignore la destination, pourvu qu'ils n'aient pas eu l’idée d'aller de l'autre côté de la frontière, je connais maman, elle ne peut rester sur un échec.
- Depuis quand sont-ils partis?
- Deux jours, c'est dramatique, nous sommes revenus et c'est elle qui est retournée dans le guêpier.
- Pas d'affolement, allons chez vos amis, recueillir le maximum de renseignements, la voiture utilisée, des indices éventuels sur la destination.
- Je vous prépare une chambre monsieur Dumont, pour vous aussi mademoiselle Isachié ou une seule pour vous deux?
La vieille dame affiche un sourire complice.
- Vous êtes bien aimable madame Larivière, je vous remercie mais je veux être près de mon père, je vais retenir une chambre en ville.

La demoiselle de couleur qui nous reçoit chez monsieur et madame Dayan est un peu bloquée, elle est tout juste capable de nous décrire la voiture qui doit être un 4/4 Toyota, les Dayan n'ont pas précisé la destination de leur voyage; seul élément indiciel, ils n'ont pas pris de nombreuses victuailles, ce qui pourrait exclure une expédition en territoire Somalien.
- Et Zora?
- J'y pensais également, que comptes-tu faire? je pourrais la rapatrier chez mes amis Larivière, avec leurs connaissances ils pourraient lui trouver de bons maîtres.

Première démarche, louer un véhicule sans chauffeur, une autonomie nous est indispensable.
Je profite de mon passage à l’hôpital pour demander conseil à l'interne de service aux urgences.
- Nous pourrions vous faire une prise de sang.
J'accepte. L’infirmière qui me ponctionne doit avoir souvent l'occasion de voir des patients dans mon état.
- Ce n'est rien, un peu de repos, une nourriture équilibrée, une eau saine et surtout...
- Et surtout quoi chère madame.
- Prendre du repos, éviter les abus de toutes sortes.
Elle insiste sur son « toutes sortes », culottée la piqueuse, sa blouse généreusement déboutonnée dévoile une cuisse appétissante, dorée à souhait; elle en rajoute un peu, continuant à pomper, d'un mouvement imperceptible, elle réussit à faire apparaître la seconde cuisse, toute aussi sympathique.
- Si vous me tirez toute ma substance je vais être encore plus affaibli.
- Je vous fais confiance pour renouveler, au contraire une stimulation vous sera bénéfique... et puis votre carte nous révèle que vous avez un sang universel, nous avons un tel besoin actuellement.
Elle a le mérite d'être franche cette dame en blanc, certains m'ont soutiré des litres de sang sans me donner d'explications.
- Voilà, votre supplice est terminé, nous allons analyser tout cela, vous pouvez passer demain dans la matinée, je suis ici à partir de dix heures.
Message personnel chère madame? je sens que je vais transgresser ses recommandations.
- Papa est sous perfusion mais le professeur est optimiste, aucune attente grave, il te salue; il m'a demandé des nouvelles de maman, j’étais très ennuyée, je lui ai dis qu'elle était à Obock, avec les Dayan, il n'a pas réagit.
- Pourquoi Obock?
- C'est dans cette ville qu'elle a vécu toute sa jeunesse, c'est là que papa l'a rencontrée, c'est plausible.
- Nous y allons.
- Non, j'ai une autre idée, allons vers le port, le club nautique plus précisément.
………….
De nombreux bateaux sont amarrés au port.
- Tu penses que les Dayan et ta maman sont en mer?
- C'est une possibilité.
Nous dénombrons cinq 4/4 Toyota sur le parking réservé.
Décontracté le gars de la capitainerie, il met un temps fou avant de nous donner le renseignement demandé.
- Le Jaffa III de monsieur Dayan vient de rentrer au port, il y a une heure environ, il mouille quai 3, emplacement 312.
Nous fonçons, la vedette est bien là, plus personne à bord.
Le capitaine du bateau voisin s'étonne de notre intérêt pour le Jaffa III.
- Monsieur Dayan sa dame et une autre femme viennent de débarquer, ils doivent être chez eux à présent.
Nouvelle Etape, la 4/4 est dans la cour de la villa.
- Salomé! Chris!... et Léopold ù est-il?
Explications, rires, larmes, Madame Dayan, se propose de conduire Soraya à l’hôpital, proposition acceptée sur le champ.
- Entrez mademoiselle, je vous en prie monsieur Dumont.... nous étions en Erythrée, à Assab.
- C'est ce que je pensais, maman a encore des parents dans cette ville.
- Avait mademoiselle Isachié, nous n'avons trouvé que des ruines, le magasin de votre oncle ainsi que sa maison ont été dévastés, tout comme les vôtres, Soraya nous a raconté, quelle tristesse.
- Et mon oncle, mes cousins?
- Nous avons recueilli des nouvelles, contradictoires, d'anciens voisins supposent qu'ils sont sur notre territoire, du côté de Bankuale.
Des dispositions sont prises pour la soirée et la nuit, monsieur Dayan veut nous héberger, Salomé accepte, pour ma part, j'ai promis de passer la nuit chez ma vieille copine et nous allons récupérer Zora qui commençait à trouver le temps bien long dans une atmosphère éthérée.
Arrêt buffet dans un restaurant situé près du port, watt pour les dames, habituées à ce plat typique mais oh combien percutant, langoustes et poisson cuit au four pour l’européen de service.
Zora m’accompagne chez les Larivière, je vais la présenter et essayer de la placer.

- Vous avez dîné? quel dommage, je vous avais préparé ma spécialité.
Je dois absolument me remplumer, je me remets à table et trouve le moyen de faire honneur aux cailles rôties et surtout à la crème caramel, Fernand est réveillé, il me saoule en me parlant de Léopold, le brave homme mélange les dates, se répète, bégaye, il serait temps qu'Adèle rentre et lui donne sa tisane.
Madame Larivière au contraire est pétillante, elle parle en somali avec Zora.

- Nos voisins et amis recherchent une femme de chambre, cette demoiselle pourrait leur convenir, elle me paraît correcte.
- Ils sont bien vos voisins.
- Des personnes charmantes, des hollandais d'origine, nul doute qu'elle serait parfaitement traitée, je prends contact avec eux demain matin si vous êtes d'accord.

Adèle me saute au cou, je la trouve bien différente, vêtue moins strictement, légèrement maquillée, visage illuminé, que lui arrive t-il?
- J'ai trouvé l'homme de ma vie, le lendemain de votre départ, quelle coïncidence n'est-ce-pas, je vous raconterai c'est une histoire incroyable.
C'est peut-être grâce à moi, j'ai décoincé la mécanique un peu rouillée, cette éventualité me réjouit.

Première escale du matin à l’hosto.
- Un peu d’anémie, le docteur va vous prescrire quelques médicaments et vous faire quelques recommandations.
- Toujours des privations?
- Je crois que ce conseil sera peu suivi, la sagesse le voudrait pourtant.
- Vous avez raison, je ne suis pas sage, vous êtes libre ce soir?
- Pour vous faire une piqûre? Oui... pour le reste nous verrons demain.
Voici une dame qui veut se faire désirer, alors chère amie suceuse de sang, vous tombez mal, je suis du genre impatient, demain j'aurais d'autres priorités, Soraya, pour sa féminité envoûtante, ou Salomé pour un baroud d'honneur.
- Avez-vous réfléchi? je vais regagner Paris dans quarante huit heures, j'aimerais me réhabituer un peu l'ambiance de mon pays, humer l'odeur discrète d'une blanche.
- Vous êtes un têtu monsieur le reporter, vous allez reprendre le rythme de la vie parisienne sans problème, pour ma part, je pars en mission, de l'autre côte de la frontière.
- En Somalie?
- Oui, avec une équipe médicale.
- Vous êtes folle, ce pays est invivable.
- Justement, nous nous devons de sauver des vies.
- Et si je vous accompagnais, mon reportage a été quelque peu tronqué.
- Vous feriez cela? C'est réalisable, je dois en référer au chef de groupe.
J'ai lancé cette proposition un peu à la légère et finalement je trouve que c’est une bonne idée, je dois avertir mon boss.
- Non, je suis catégorique, tu as pris des risques pour sauver mes amis, c’était le but de ta mission, tu as réussi, c'est suffisant; tes papiers sont inutiles, cette région est tellement secondaire dans l'esprit de nos lecteurs et puis j'ai une autre promenade à te proposer, certain que tu vas apprécier.
Les adieux à cette région d'Afrique et à ses habitants sont rondement menés, j'ai trouvé une place dans un avion sur une ligne régulière, je suis curieux de savoir ce que me réserve ma prochaine mission, théoriquement dans une région tempérée ou même froide, c'est l'habitude de la direction, alterner les climats.
- Cela endurcit mon ami.
F.I.N.
Comme un collier de joyaux rares dont le fil rompu laisse lentement tomber des gouttes de lumière, la vie égrène nos jours.Georges Clemenceau

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