La grande déprime des parlementaires
Déconnectés du terrain, dépossédés d’une partie de leurs pouvoirs… De plus en plus d’élus choisissent de quitter leur mandat pour privilégier leurs responsabilités locales.
Par Dinah Cohen et Jim Jarrassé
Publié il y a 3 heures, mis à jour il y a 3 heures
Il ne s’était «jamais projeté comme député». Le 16 octobre 2018, Stéphane Baudu est propulsé à l’Assemblée nationale. Suppléant de Marc Fesneau (MoDem), il laisse derrière lui un mandat municipal pour assurer la relève du nouveau membre du gouvernement. Trois ans plus tard, le député a trouvé sa porte de sortie. Élu conseiller départemental lors du dernier scrutin, il se réjouit de mettre fin à «la frustration» de la tâche qui a été la sienne. Désormais, Stéphane Baudu va pouvoir «mener un dossier, une action de A à Z» et constater «les retombées sur le terrain». «On se sent certainement plus utile en tant qu’élu local qu’au niveau national», assure-t-il.
Loin d’être un cas isolé, le suppléant ajoute son nom à la liste de nombreux parlementaires qui ont rendu mallette et bureau parisien au profit de leur «territoire». En juillet, trois députés Les Républicains (LR) ont ouvert la voie en privilégiant la présidence de leur département. Contrairement à ce qu’impose la logique, leurs suppléants ont ensuite refusé de les remplacer dans l’Hémicycle. «Il y a vingt ans, les suppléants poussaient les députés dans le fossé pour pouvoir prendre leur place, raille un habitué de la Chambre basse. Maintenant, les élus locaux ont plus de pouvoir. À moins d’avoir une ambition de carrière nationale, les conditions actuelles entraînent le départ d’une partie des députés», souffle-t-il.
Le non-cumul, fausse bonne idée
Le résultat de la loi de 2014 sur le non-cumul ajoutée au mode de gouvernance de Macron (ordonnances notamment) est très mauvais si on croit cet article, qui malheureusement fait suite à beaucoup du même genre. Je vois 3 problèmes:Conscients de la perte d’«attractivité» de leur fonction, les parlementaires déplorent d’abord leur «déracinement». Depuis 2017, la loi sur le non-cumul votée pendant le quinquennat de François Hollande interdit aux députés et aux sénateurs de cumuler leur mandat avec celui de maire, président de conseil départemental ou régional et président de métropole. Une «fausse bonne idée», selon l’ex-sénateur LR Philippe Dallier, qui fustige le fait d’être passé au «tout ou rien». «Il fallait effectivement fixer des règles, mais interdire d’être maire d’une commune de 500 habitants tout en étant parlementaire, c’est absurde», souligne-t-il. Élu de la Seine-Saint-Denis depuis dix-sept ans et vice-président de la Chambre haute, il vient lui aussi de quitter l’institution: conseiller municipal et départemental, il devait quitter l’un de ses mandats pour respecter la loi sur le non-cumul. «J’ai fait des choses très intéressantes, mais j’ai l’impression d’avoir fait le tour. Je pense que ça s’est dégradé avec le temps. La pratique très verticale de ce mandat n’a pas aidé», souffle-t-il.
Dans l’opposition, Emmanuel Macron et sa majorité sont souvent pris pour cible. Pour Damien Abad, président du groupe LR à l’Assemblée, les élus La République en marche (LREM) «n’ont pas de culture politique, mais plutôt une culture d’entreprise». «La majorité se conçoit comme le prolongement de l’exécutif avant de se concevoir comme la colonne du législatif, complète son collègue LR, Julien Aubert. L’une des solutions serait de décorréler l’élection présidentielle des législatives, ou bien de faire des renouvellements partiels.» Des critiques qui trouvent un écho au sein même de la majorité. Un Marcheur de la première heure évoque ainsi «une tendance par réflexe à la loyauté». «On a manqué de courage politique», analyse-t-il. Avant de lâcher: «On s’emmerde. Le Parlement n’est plus du tout le lieu du pouvoir.»
Une «chambre d’enregistrement»
Parmi les premières mesures adoptées par LREM, la fin de la réserve parlementaire - qui donnait aux élus une enveloppe pour leur circonscription - est présentée comme un élément de plus de cette déconnexion. «Laver plus blanc que blanc, ça ne marche pas. On a voulu suivre l’émotion. Il ne fallait pas arrêter», regrette Patrick Vignal (PS). «J’ai voulu aider des associations ou des projets dans la circonscription pour donner du sens à mon action politique. On m’a dit que j’étais un vieux socialiste», ajoute-t-il. Dans le même temps, le début du quinquennat a aussi été marqué par un recours accru aux ordonnances, acteur de la «perte d’utilité» du Parlement. Employée pour faire passer la loi travail, la méthode «échappe au champ parlementaire», selon le socialiste David Habib (lire ci-contre). «Entre les ordonnances et les décrets, le Parlement est devenu une chambre d’enregistrement», dénonce le député élu depuis 2002.
Professeur à Sciences Po et spécialiste de la vie parlementaire, Olivier Rozenberg veut relativiser. S’il admet une «multiplication des ordonnances» devenue «marque de fabrique» de la macronie, il assure aussi entendre «ces critiques depuis toujours». «Emmanuel Macron maltraite le Parlement autant que ses prédécesseurs le maltraitaient», observe le professeur. Partisan du non-cumul des mandats, il estime que «le problème ne semble plus là».«Il faudrait plutôt forcer l’exécutif à négocier davantage avec le Parlement, avec une proportionnelle large par exemple», explique le spécialiste. Engagement de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives a finalement été enterrée au mois de mars par l’exécutif.
Le Sénat à l’offensive pour tenter de rééquilibrer les pouvoirs
Comment revaloriser le statut des parlementaires face à un pouvoir exécutif de plus en plus gourmand? Deux propositions de loi rédigées récemment par des sénateurs tentent d’apporter des éléments de réponse. La première, déposée le 22 juillet par le socialiste Jean-Pierre Sueur, vise à «restaurer la ratification expresse des ordonnances par le Parlement». À l’occasion d’un brutal revirement de jurisprudence datant de mai, le Conseil constitutionnel a jugé que des ordonnances non ratifiées par le Parlement pouvaient, à l’expiration du délai d’habilitation, être «regardées comme des dispositions législatives», et non plus simplement réglementaires. Dans leur proposition de révision constitutionnelle, les sénateurs socialistes, qui pointent «le risque d’une substitution de fait de l’exécutif au législatif», proposent donc que seule la ratification expresse par le Parlement confère valeur législative aux ordonnances.
Autre proposition, déposée le 27 juillet par le président du groupe centriste au Sénat, Hervé Marseille: autoriser à nouveau le cumul des mandats de parlementaire et de maire ou d’adjoint dans les communes de moins de 10 000 habitants, tout en interdisant le cumul des indemnités. Moyen de recréer des attaches locales pour des élus parfois déconnectés du terrain et de «redonner du sens à un mandat», commente le sénateur centriste. Selon beaucoup d’observateurs, le non-cumul des mandats, voté en 2014, aurait participé à l’affaiblissement du Parlement. «Les “féodaux” qui étaient parlementaires et maires de grandes collectivités pesaient face à l’exécutif. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas», regrette Hervé Marseille. Selon un sondage Ifop commandé par les sénateurs centristes, 57 % des Français seraient favorables à leur proposition.
- le boulot de député est devenu nul sous Macron, l'AN et le Sénat sont devenus des chambres d'enregistrement des décisions de l'exécutif, et ce boulot a perdu toute saveur.
- le non-cumul coupe le député du terrain et de la France profonde. Il faut ajouter que beaucoup de députés et de sénateurs l'étaient déjà avant 2014 et cumulaient, ce qui leur permettait d'associer un boulot exécutif où ils pouvaient prendre des décisions et gérer, ou bien surtout côté LaREM ils étaient entrepreneurs ou professions libérales et ils ne sont pas formatés pour le travail législatif.
- enfin l'interdiction du cumul, la suppression de l'enveloppe parlementaire, l'encadrement tatillon de l'utilisation de l'indemnité parlementaire et des emplois d'assistants réduit le statut considérablement tant en revenu qu'en liberté d'action sur le terrain, et beaucoup côté LR, LaREM, UDI, Modem se posent probablement la question d'un arrêt de la vie politique et d'un retour au privé/ à l'entreprenariat et même vers la haute fonction publique.
Au total, c'est mauvais comme tout ce qu'a fait Hollande et aggravé par Macron.
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