Le problème, c'est que le système politique actuel (avec une présidentielle à deux tours et la présence quasi-assurée de MLP au second tour) pousse les électeurs à voter utile. Voter utile, soit pour MLP elle-même, soit pour le candidat qu'on estime le mieux à même de la battre. Voter utile, ça veut dire voter pour un candidat à qui les sondages accordent un bon score. C'est ainsi qu'on se retrouve avec une très forte concentration des suffrages sur trois voire quatre candidats, pas plus. Ce fut très net en 2022. Et ça risque de se reproduire en 2027. Le matraquage médiatique qui se met en place autour de MLP et Philippe va instiller dans l'esprit d'un grand nombre d'électeurs que Macron et Philippe sont les deux candidats ayant le plus de chances de victoire, et donc de pousser un grand nombre d'entre eux à voter pour un de ces deux-là, voire un troisième issu de la gauche.Le duel Édouard Philippe-Marine Le Pen en 2027 est-il inéluctable ?
FIGAROVOX/TRIBUNE - Un sondage Harris Interactive du 13 septembre place Marine Le Pen et Édouard Philippe au second tour de l’élection présidentielle si elle avait lieu aujourd’hui. L’essayiste Maxime Tandonnet craint que ce duel annoncé prive le pays d'un vrai débat démocratique.
Il fallait s'y attendre. Un peu moins de quatre ans avant les présidentielles de 2027, la sondagite est déjà de retour. Selon Harris Interactive - Challenge , Marine le Pen arriverait en tête au premier tour avec 30 à 33% des voix. Édouard Philippe serait deuxième avec 22%, qualifié pour le second tour, loin devant Jean-Luc Mélenchon et Bruno Le Maire avec 16% et Gérald Darmanin avec 14%.
Certes, la popularité (toute relative) de Mme le Pen comme celle d'Édouard Philippe ne sont pas fabriquées de toutes pièces. Elles correspondent sans doute à une réalité, mais elles sont récupérées et façonnées, à travers les questions posées et la présentation des résultats, pour tenter de verrouiller le futur scrutin. Ainsi, selon une autre enquête d'opinion Elabe BFMTV, 61% des Français pensent que Mme le Pen «peut gagner la présidentielle» et 58% sont persuadés qu'Édouard Philippe peut battre Marine Le Pen. Le procédé relève de la manipulation. Pourquoi Mme le Pen ne pourrait-elle pas gagner? Pourquoi serait-il impossible qu'elle l'emporte et que répondre d'autre que «oui» à une telle question destinée à introduire l'autre question: qui peut empêcher cette présumée catastrophe? D'où le sauveur providentiel qui ne saurait être que l'ancien premier ministre d'Emmanuel Macron.
Les sondages mettent ainsi en avant leur «épouvantail» traditionnel, c'est-à-dire, selon leurs propres termes, «la cheffe d'extrême droite» pour servir de tremplin à Édouard Philippe comme protecteur face à cette menace. Après tout, «jamais deux sans trois» ; malgré la grossièreté de la manœuvre en cours, pourquoi la recette qui a fonctionné en 2017 et en 2022 ne servirait-elle pas une nouvelle fois pour verrouiller l'élection et conduire à l'Élysée, en jouant sur la peur des «extrêmes», le candidat issu du macronisme?
Cette logique s'apprête à écraser la vie politique pendant les quatre années à venir et à priver le pays d'un débat sur le bilan de dix ou quinze ans. Va-t-elle triompher pour la troisième fois? La tentation naturelle est d'en relativiser la portée en considérant que 2027 est une échéance bien lointaine. Pourtant, entre 2017 et 2022, des centaines de sondages ont annoncé, pendant 5 ans, un duel inéluctable entre Mme Le Pen et M. Macron puis la victoire de ce dernier. Et tout s'est passé comme prévu. La même logique est désormais sur les rails et rien ne permet d'assurer qu'elle ne débouchera pas sur l'objectif attendu c'est-à-dire l'accession à l'Élysée de M. Philippe.
La faveur de l'opinion pour M. Philippe, comme pour Mme le Pen, relève des mystères de la psychologie de foule. Concrètement, les Français doivent au premier la crise des Gilets jaunes issue de la taxe carbone et des 80 km/h, la fermeture de Fessenheim, revendiquée haut et fort, le psychodrame des masques au début de la crise sanitaire et les premières mesures liberticides dont, avec le recul, l'utilité semble plus que douteuse. Et n'a-t-il pas plaidé en faveur d'un allongement de l'âge de la retraite à 67 ans quand le peuple, quasi unanime, se révoltait contre le passage de 62 à 64 ans? Quant à Mme Le Pen, de quel bilan peut-elle se prévaloir sinon de trois élections présidentielles perdues?
Pourtant, l'un comme l'autre doivent leur popularité à un certain style. Nul n'a la moindre idée de leur projet éventuel ou de la ligne qu'ils seraient en mesure de proposer. Mais cela n'a aucune importance dans le contexte actuel. Chacun des deux offre une image devenue assez familière aux Français et au total, plutôt sympathique. Pendant la crise sanitaire, M. Philippe s'est invité quotidiennement dans le salon ou la salle à manger des Français. Dans le malheur collectif, il leur est apparu comme plutôt humble et accessible. Quant à Mme Le Pen, elle fait partie du paysage quotidien depuis au moins vingt ans. Son allure sans prétention – elle n'écrit pas de livres contrairement aux autres politiciens – son statut d'éternelle seconde au classement, comme une sorte de Poulidor de la politique, et aussi de paria des élites, facilite un phénomène d'identification populaire.
Par ailleurs, la perspective de ce duel annoncé reflète l'effondrement du niveau de la culture politique française, résultat sur le long terme du déclin scolaire mais aussi du régime politique qui favorise le choix d'une «savonnette présidentielle» au détriment du débat d'idées et du choix de société. Peut-on aujourd'hui espérer conjurer cette fatalité du duel Le Pen-Philippe, avec – en vérité – la forte probabilité d'une victoire de ce dernier, c'est-à-dire, la poursuite du macronisme sous d'autres formes ?
La porte d'une troisième voie est étroite. Elle consiste dans le pari, fragile et audacieux, d'un retour à l'intelligence politique. Plutôt que de vendre une savonnette présidentielle, peut-on encore parler aux Français en termes d'idées et de projet collectif à la fois réaliste et ambitieux, sur la réhabilitation du mérite scolaire, la lutte contre les filières d'immigration esclavagistes, la répression de la délinquance et la criminalité, la réduction de la dette publique, un discours de vérité sur le chômage, l'inflation, la pauvreté, le retour de la démocratie nationale ou le pouvoir du peuple, et enfin la réhabilitation du joli mot de «liberté»? Le pari mériterait d'être tenté.
D'une certaine façon, le vote utile donne aux sondages un caractère auto-prédictif.
Et le niveau du débat s'en trouve dégradé : on ne vote pour plus pour des idées, mais simplement pour celui qu'on pense être le mieux à même de contrer un autre candidat qu'on déteste.