http://www.marianne2.fr/Guilluy-la-gauc ... -discours-…Guilluy: «la gauche peut-elle réinventer un discours à destination des classes populaires ? »
Nicolas Sarkozy est plus impopulaire que jamais et pourtant il peut rempiler pour un second mandat. « Pourquoi il peut être réélu », c’est le propos du numéro de Marianne de cette semaine. Ce paradoxe, Christophe Guilluy, géographe, le souligne aussi et l’explique par l'incapacité de la gauche à parler aux classes populaires qui se retrouvent captées par le discours de Nicolas Sarkozy
« Compte tenu du contexte politique et social, la question de la réélection de l’équipe en place ne devrait même pas se poser. L’alternance devait presque s’imposer comme une issue naturelle. Et de là, la gauche devrait faire un carton. Et qu’observe-t-on ? Un attentisme énorme mais aucune adhésion en sa faveur. Les classes populaires n’ont pas basculé à gauche, loin s’en faut. Si on analyse le mouvement social on peut dire que la gauche s’est mobilisée contre la réforme des retraites, mais que c’est l’électorat de Nicolas Sarkozy qui a soutenu le mouvement. Ce même peuple qui a voté contre le traité constitutionnel européen, et pour le discours du candidat Nicolas Sarkozy en 2007 contre la mondialisation.
Pour la gauche le défi qui se profile pour battre Nicolas Sarkozy s’annonce laborieux : miser sur l’abstention qui lui est favorable ou retrouver les classes populaires
Elle peut en effet mettre en œuvre la stratégie de non-déplacement des électeurs. Depuis plus de dix ans, la gauche sort gagnante de toutes les élections intermédiaires. Le point commun de ces scrutins, qui n’ont ni l’importance symbolique ni politique d’une présidentielle, se manifeste dans la corrélation entre forte abstention des classes populaire et victoire de la gauche. Au sein du PS, on entend souvent la rengaine « Nous sommes des bons élus locaux, pourquoi ne le serait-on pas au niveau national ? » C’est oublier un peu vite que le principal facteur de leurs élections est la mobilisation des cadres en leur faveur, et que les cadres ne forment pas par construction une majorité. Et que la majorité, les classes populaires, s'est exprimée en faveur de la droite comme en 2007 avec Nicolas Sarkozy.
Parler des salaires, c’est évidemment parler de la mondialisation
A moins que la gauche ne réinvente un discours à destination des classes populaires, comme l’y invite par exemple le démographe Emmanuel Todd. Car parler des salaires, c’est évidemment parler de la mondialisation à l’œuvre : de la liberté de circulation tant des biens et des capitaux que des personnes. Et éventuellement prononcer le gros mot : protectionnisme. Mais qui, parmi les candidats pressentis pour porter les couleurs de la gauche au second tour, est prêt à se mettre à dos Jacques Attali ? En face, Nicolas Sarkozy.
A mon sens, la gauche n’est pas prête à élaborer une offre politique en direction des classes populaires qu’elle comprend de moins en moins. 30 ans d’orientations libérales ont profondément dégradé leurs conditions de vie sans que la gauche ne trouve les mots pour parler de mondialisation et de multiculturalisme autrement qu’avec enthousiasme.
En face, Nicolas Sarkozy, lui, pourrait refaire le cirque de 2007. Il a gagné grâce à l’adhésion des classes populaires, en direction desquelles il a structuré un discours anti-mondialisation centré sur la protection. Maire de Neuilly-sur-Seine, c’est pourtant lui qui a compris ce qu’était alors les aspirations du peuple : il a était capable de faire une campagne contre le libéralisme pour se faire élire et il est tout a fait prêt à le refaire.
Cela sera plus compliqué de refaire voter les prolos sur son nom, car on peut difficilement refaire le même coup à chaque fois : campagne anti-libérale, et politique libérale une fois au pouvoir. Mais Nicolas Sarkozy sait ce qui paye en terme électoral.
Constatant, l’incapacité de la gauche à se rassembler autour d’un discours construit sur la société française plongée dans le bain de la mondialisation et du multiculturalisme, il peut aisément la provoquer sur l’immigration, avec pourquoi pas une sortie sur le droit du sol. Ou encore jouer sur l’islamophobie aussi, lui qui a pourtant était l’un des principaux acteurs de la communautarisation de la société française. A ce jeu-là, la gauche pourra difficilement tenir ses positions.
En ce sens, Nicolas Sarkozy est une sorte de vendeur de chez Darty. Il peut vendre tout et n’importe quoi, aux prolos comme aux bourgeois. Martine Aubry, elle, peine à accéder aux classes populaires, même si elle continuera, sans doute, à l’image de ce que fait Jean-Luc Mélenchon, à convoquer les éléments de discours de la mythologie de la classe ouvrière.
Voilà pourquoi, si Nicolas Sarkozy arrive à refaire le coup de 2007, campagne durant laquelle le clivage gauche/droite, parfaitement mis en scène avec Ségoléne Royale, a fortement contribué à une participation élevée, sa réélection est tout a fait envisageable.»
Cet article a le mérite d'insister sur une problématique importante : la mondialisation et le communautarisme sont fondamentalement incompatibles avec le modèle de société habituellement défendu par la gauche. D'où la dérive libérale actuelle. Or la gauche a défendu ces évolutions ces dernières années. Ce faisant, elle s'est privée de toute possibilité de défendre le modèle social auquel elle aspire, et c'est pour cela qu'elle s'est peu à peu coupée de son électorat populaire. Si elle veut reconquérir cet électorat, la gauche devra remettre en cause des dogmes qu'elle a pourtant défendus jusqu'à présent. Ce n'est pas gagné...