Qu'en pensez vous ?
France-Soir. Quel diagnostic faites-vous de la crise des dettes souveraines, en Europe et aux Etats-Unis, aujourd’hui ?
Jean Arthuis. Depuis des décennies, nous n’avons pas pris la mesure des défis de la mondialisation. On a tenu des discours rassurants : « Je délocalise des emplois, mais c’est pour sauver mes emplois ici. » Surréaliste ! On a fait confiance à l’autorégulation de la sphère financière. Résultat : c’est le casino de la spéculation. On n’a pas pris conscience que les pays émergents avaient un vrai potentiel et une ambition forte. Aujourd’hui, ils produisent plus qu’ils ne consomment, alors que nous, nous consommons plus que nous produisons. Regardez les Etats-Unis : leurs usines sont maintenant en Chine. Tous les discours selon lesquels on peut s’en tirer sans industries ne sont que des boniments de foire.
F.-S. Vous annoncez la catastrophe ?`
J. A. On joue les prolongations, mais on ne tiendra plus longtemps à ce rythme. Le crédit nous a permis de reporter les échéances. On a pu continuer avec des discours convenus et ce déni de réalité qui caractérise les acteurs politiques autant que syndicaux. Mais on n’a pas mesuré la vulnérabilité que suscite le surendettement d’un Etat. Le surendettement, il faut en avoir conscience, tue l’indépendance nationale.
F.-S. Les Etats-Unis et l’Europe ont-ils pris la mesure du problème ?
J. A. Le plafond d’endettement des Etats-Unis avait déjà été augmenté de 140 % depuis 2000. Ce qui est fascinant, c’est l’accélération du phénomène. Certes, ils ont pris des décisions qui tendent à réduire en dix ans de 2.500 milliards de dollars leurs dépenses publiques. Un défi gigantesque, mais si ambitieux qu’on peut se demander si ce sera effectif. N’y a-t-il pas là, une fois de plus, un discours convenu ? Ça me fait penser aux annonces qu’avait faites Nicolas Sarkozy au soir de la conférence sur les déficits l’année dernière : il avait dit qu’on baisserait de 10 % en deux ans les dépenses de fonctionnement et d’intervention. Mais sur le budget 2011, si on obtient 1 % de baisse, ce sera un exploit, et je ne pense pas que 2012 modifie substantiellement la tendance.
(...)
F.-S. L’euro est-il menacé ?
J. A. La gouvernance de l’Europe est calamiteuse. On a fait le pacte de stabilité, sorte de règlement de copropriété de l’euro. Mais ce pacte est devenu un pacte de tricheurs et de menteurs. Certains Etats l’ont transgressé. Et les Grecs, eux, maquillaient carrément leurs comptes pour cacher le niveau de leur déficit et de leur dette. Ils trichaient, mais avec la complicité des autres Etats. Si on ne va pas très vite à une Europe fédérale, on n’échappera pas à une implosion de la zone euro. Il faut un vrai gouvernement économique pour prendre de vraies décisions. A Bruxelles, on aboutit très vite à des directives pour protéger les coléoptères. Mais quand il faut faire converger la fiscalité ou réguler les marchés financiers ou encadrer les CDS (credit default survey), c’est mission impossible. Les spéculateurs sont toujours au casino, les traders empochent toujours des rémunérations exorbitantes et l’Europe n’en finit pas d’arrêter ses positions.
F.-S. Vit-on au-dessus de nos moyens ?
J. A. Bien sûr ! Il y a deux sortes de pays aujourd’hui : les pays qui ont un fonds souverain et ceux qui ont une dette souveraine. Le pompon, c’est quand la France, endettée, veut se doter d’un fonds souverain. Pour le constituer, que fait-elle ? Elle emprunte !
F.-S. Ça va craquer ?
J. A. Ce n’est pas exclu. Ça fait trente-sept ans que l’Etat est en déficit et vingt ans que la dette sociale n’arrête pas de s’accumuler. On pousse devant nous une dette qui ne cesse pas de s’accroître et on ne dispose pas des ressources pour en assurer l’amortissement. La France doit se demander comment elle peut imaginer son nécessaire redressement sans remettre en cause les 35 heures, et un certain nombre de normes que nous avons édictées et que nous sommes incapables de financer.
F.-S. C’est un manque de volonté politique ?
J. A. Ce n’est pas seulement ça. Il faut totalement réorganiser l’Etat et les collectivités territoriales. C’est extrêmement lourd. Et puis, il va falloir réviser notre scénographie politique. Ce que je ne supporte pas dans la pratique politique française, ce sont toutes ces habiletés politiques, ce renoncement à la pédagogie, comme si on prenait les Français pour des sots.
(...)
F.-S. Que préconisez-vous ?
J. A. Il faut revoir l’architecture de nos prélèvements obligatoires. On fait peser sur le travail le financement de l’assurance maladie et de la politique familiale. En faisant cela, nous accélérons les délocalisations, et nous nous tirons une balle dans le pied. Il faut financer autrement l’assurance maladie et la politique familiale. Comment ? Pour augmenter la montée en charge de la dépendance, il faudra augmenter le barème des droits de succession, donc pas question de s’en servir. Il faudra aussi faire disparaître la plupart des niches fiscales, mais les économies ainsi générées devront être affectées à la résorption du déficit. Il ne reste donc que la TVA. Appelons-la TVA anti-délocalisation ou TVA emploi, peu importe. Mais c’est en transférant le financement de la protection sociale sur la TVA que nous améliorerons la compétitivité. En 1987, les Danois ont décidé de supprimer les charges sur les salaires et de porter la TVA à 25 %. Que je sache, ils ne s’en portent pas si mal !
F.-S. Voterez-vous la « règle d’or » défendue par Nicolas Sarkozy s’il décide de convoquer le Congrès à Versailles ?
J. A. D’abord, ce n’est pas vraiment « la » règle d’or. La vraie règle d’or prohibe le recours à l’emprunt pour financer des dépenses de fonctionnement. Aujourd’hui, il s’agit d’introduire simplement dans la Constitution une procédure d’encadrement budgétaire, une projection pluriannuelle avec un plafond de dépenses et un plancher de recettes. Mais oui, je voterai cela, même si je doute qu’il y aura une majorité pour la voter. Mais j’insiste : en matière de lutte contre les déficits, rien ne remplace la volonté politique. Vous pouvez mettre tout dans la Constitution, c’est d’abord une affaire de volonté.
F.-S. Le gouvernement est en train de préparer le budget pour 2012. Est-on sur le bon chemin ?
J. A. Un budget est construit sur une hypothèse de croissance. Mais les gouvernements ont toujours tendance à la surestimer. Quand vous tablez, comme c’est le cas pour le prochain budget, sur une croissance à 2,25 %, j’ai peur que vous vous racontiez des histoires.
(...)
Dans ce budget, il faut qu’on trouve des mesures pour réduire de 10 milliards le déficit. Pour cela, il va falloir donner un nouveau coup de rabot sur les niches fiscales. Il y en a 468, qui coûtent 75 milliards. Un coup de rabot peut donc permettre d’économiser 4 à 5 milliards d’euros. Je pense qu’il faudra aussi augmenter la CRDS de 0,25 %, ce qui rapporterait 2,5 milliards. Il faut également faire de nouveaux efforts sur un certain nombre de dépenses de fonctionnement. On doit pouvoir économiser à peu près 2 milliards. Je ne suis pas favorable à un dispositif exceptionnel pour taxer les plus hauts revenus, qui serait payé par les employeurs : c’est encore rajouter de la complexité à notre législation fiscale qui l’est déjà trop. Mais je souhaite l’institution d’une tranche supplémentaire, au-delà de 150.000 €, de l’impôt sur le revenu à un taux compris entre 45 et 50 %.
F.-S. Faut-il revenir sur la TVA à 5,5 % sur la restauration ?
J. A. Je doute que le gouvernement soit prêt à s’y attaquer. Je le regrette. Mais toute augmentation de la TVA, pour moi, n’aurait pas pour objet de réduire les déficits, mais de financer autrement la protection sociale, pour réduire le coût du travail et ainsi retrouver des chances de retrouver des emplois.
F.-S. Souhaitez-vous une sorte d’union nationale sur ces questions ?
J. A. Les grandes réformes ne peuvent se décider et être mises en œuvre par un camp contre l’autre.
(...)
C’est vraiment un SOS que je lance, un signal de détresse. La situation des finances publiques, c’est le marqueur de toutes nos inconséquences, de l’enchaînement de nos petites lâchetés. Et les gens le ressentent bien. Entendre la gauche dire qu’elle va ramener la retraite à 60 ans, ce sont des histoires à dormir debout. Personne n’y croit, pas même les militants de gauche.
F.-S. Vous risquez de ne pas être entendu en année électorale…
J. A. C’est justement en année électorale qu’on doit dresser un état des lieux. On a tout pour réussir mais, depuis des décennies, on est sur un mode de gouvernance qui nous envoie droit dans le mur.
F.-S. Voyez-vous « le » candidat capable de porter un tel message ?
J. A. Il faut travailler d’abord le projet. Après, on verra.
F.-S. Vous êtes plutôt Borloo ou plutôt Bayrou ?
J. A. Disons que je suis équidistant… Je souhaite une candidature centriste en 2012, mais cela n’aura de sens que si le projet a une vraie valeur ajoutée, et n’est pas juste une addition de ressentiments. Ce n’est pas l’antisarkozysme qui doit être la marque d’une candidature centriste : c’est l’ambition, la vision, le rassemblement et la confiance.
Par Christine Ollivier et Dominique de Montvalon
Retrouvez l'intégralité de l'interview sur France Soir : http://www.francesoir.fr/actualite/poli ... uro-impots…
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