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par phoenix72 » 08 avr. 2013, 14:43:42
[scribd]Gabriel Zucman: « il faut s'attaquer aux paradis fiscaux »
05 AVRIL 2013 | PAR LUDOVIC LAMANT
Gabriel Zucman, doctorant à l'École d'économie de Paris, est spécialiste des paradis fiscaux. Il est l'auteur d'une étude retentissante, publiée en 2011, sur « la richesse manquante des Nations », dans laquelle il chiffrait à 6 000 milliards d'euros le montant des placements des ménages dans les paradis fiscaux (lire sous l'onglet Prolonger). Dans un entretien à Mediapart, cet économiste exhorte François Hollande à « prendre le leadership d'une coalition de pays européens » pour en finir avec le secret bancaire en Suisse et dans d'autres paradis fiscaux : « C'est la seule réponse raisonnable à l'affaire Cahuzac », juge-t-il.
L'affaire Cahuzac montre-t-elle une évolution de la Suisse en matière de secret bancaire ?
Non. S'il n'y avait pas eu l'enregistrement sur un téléphone portable de la voix de Jérôme Cahuzac, que Mediapart a diffusé, l'existence du compte n'aurait jamais été révélée. Le secret bancaire suisse reste intact, hormis ces cas exceptionnels.
Quand Pierre Moscovici, ministre de l'économie, a fait jouer le traité d'échange d'information à la demande, entre la Suisse et la France, en janvier, il semble qu'on lui ait répondu par la négative. Alors que le compte existait bien. C'est la preuve que ces traités « à la demande » ne servent à rien, puisqu'il faut quasiment avoir la réponse à sa question pour correctement formuler la question en amont...
Que retenez-vous de l'affaire Cahuzac ?
Elle prouve que le problème de l'évasion fiscale est majeur. Or, la solution à ce problème est très simple : il faut mettre en place un échange automatique d'information avec les banques installées dans les paradis fiscaux.
À l'intérieur d'un pays comme la France, cet échange automatique fonctionne très bien. Si je touche de l'argent sur mon compte, Bercy est au courant : ce sera pré-rempli sur ma feuille d'impôts. Il suffit d'élargir ce mécanisme à l'échelle internationale pour que les paradis fiscaux disparaissent. Techniquement, c'est très simple.
Problème majeur, solution très simple : il faut désormais mettre le pouvoir français face à ses contradictions. Est-il prêt à prendre le leadership d'une coalition de pays européens pour forcer la Suisse et d'autres paradis fiscaux à abandonner ce secret bancaire ? C'est la seule réponse raisonnable, à mes yeux, à l'affaire Cahuzac.
À quoi pensez-vous ?
François Hollande doit se lancer dans une tournée des capitales européennes. Il doit expliquer à ses homologues qu'il n'avait aucune technique à sa disposition pour savoir que son ministre du budget disposait d'un compte en Suisse. Une fois constituée, cette coalition doit faire pression, et menacer les paradis fiscaux de sanctions. La Suisse, face aux menaces conjointes de l'Allemagne et la France, pliera. Le Luxembourg aussi. Ensuite, il faudra élargir la coalition pour l'Asie.
Toute autre réponse à l'affaire Cahuzac serait choquante. Penser que faire voter de nouvelles lois en France résoudra le problème est une erreur. C'est même un écran de fumée, une mascarade. C'est se moquer du peuple. Au XXIe siècle, la lutte contre les paradis fiscaux ne passe pas par de nouvelles lois pour le territoire français – il faut construire des rapports de force à l'international.
Quelles sanctions imaginez-vous pour faire bouger la Suisse ?
Par exemple retirer la licence bancaire des banques suisses en France ou en Allemagne.
C'est ce qu'ont menacé de faire les États-Unis avec UBS en 2009.
Oui, et cela a fonctionné : UBS a fini par fournir sa liste de clients aux autorités américaines. On peut aussi imaginer que l'on menace de fermer nos frontières avec la Suisse. De toutes les façons, les banques suisses ne peuvent pas se permettre de perdre leur accès aux marchés français ou allemands.
La lutte contre les paradis fiscaux est une priorité depuis 2009, portée par le G-20 et l'OCDE, et les résultats sont quasiment invisibles. Ce n'est donc pas si simple à mettre en place, quel que soit votre volontarisme...
G-20, OCDE, Union européenne : ces enceintes ne sont pas le bon cadre. On trouvera toujours des pays qui bloqueront la dynamique pour préserver leurs intérêts. Il faut donc en sortir et bâtir une coalition appropriée. Ne serait-ce qu'une position commune de la France et de l'Allemagne suffirait pour faire bouger les choses. Il suffit que François Hollande se rende à Berlin. C'est aussi simple que cela.
« Il existe des richesses privées énormes, qui sont taxables »
Jean-Jacques Augier, l'ex-trésorier de la campagne de François Hollande dont on a appris qu'il était actionnaire de deux sociétés basées dans les îles Caïmans, se défend de toute illégalité. Qu'en pensez-vous ?
Je ne veux pas me prononcer sur un cas particulier que je ne connais pas. Mais la distinction entre ce qui est légal et ce qui ne l'est pas est très claire. Il est légal d'avoir un compte à l'étranger, par exemple en Suisse. Il est illégal de ne pas reporter sur sa feuille d'impôts l'existence de ce compte et les revenus qu'il génère.
Venons-en aux ordres de grandeur que vous avez mis au jour dans vos travaux. Vous chiffrez à 8 % la proportion du patrimoine financier des ménages placée dans les paradis fiscaux – soit environ 6 000 milliards d'euros. Une étude publiée en juillet 2012, réalisée par James Henry, ex-économiste en chef pour le cabinet McKinsey, évoque le chiffre de 26 000 milliards d'euros. Que vous inspire cet écart ?
Voici ma méthode. Après interprétation des données de la banque centrale suisse, il apparaît que le patrimoine placé en Suisse s'établit à 2 000 milliards d'euros environ. Ensuite, à partir d'une analyse exhaustive des bilans internationaux des pays, je calcule qu’il y a à peu près 6 000 milliards dans l’ensemble des paradis fiscaux – la Suisse abrite donc environ un tiers du total.
Il y a bien sûr de l'incertitude dans ce genre d'estimations. Et je suis peut-être en dessous de la réalité. Mais concernant l'étude de James Henry, qui s'appuie sur les déclarations des banques d'affaires, j'ai tendance à penser que ces établissements sont enclins à compter plusieurs fois le même euro, placé en Suisse, au Luxembourg et au Panama.
Quoi qu'il en soit, dans les deux cas, les chiffres sont suffisamment énormes pour qu'il faille faire de la question de l'évasion fiscale une priorité de nos politiques publiques.
Vous laissez entendre dans vos travaux qu'en France, la proportion serait supérieure à ces fameux 8 %. Pourquoi ?
Il est plus facile d'établir un chiffrage global, qu'un chiffre pays par pays. Appliqués à la France, ces 8 % représentent entre 200 et 250 milliards d'euros. Mais ces 8 % me semblent effectivement une hypothèse conservatrice. J'ai tendance à penser que les Européens en général placent davantage leurs fortunes dans des comptes offshore que les Japonais ou les Américains. Or, ces 8 % sont bien une moyenne internationale.
Pourquoi ?
Au Japon, la fiscalité sur le patrimoine est très faible. Aux États-Unis, comme dans les pays anglo-saxons en général, les gens fortunés privilégient une autre technique d'évasion fiscale, qui passe par les mécanismes de trusts et de fiducie.
Dans tous les cas, puisque cette richesse échappe aux statistiques officielles, cela veut bien dire que les riches sont encore plus riches qu'on ne le pense.
Oui. Cela confirme la fragilité de certaines statistiques sur la mesure de la richesse. On se rend compte, en cette période où l'on nous dit que nos dettes publiques sont énormes, qu'il existe aussi des richesses privées énormes, qui sont taxables.
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