"Les réformistes et leurs erreurs"

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"Les réformistes et leurs erreurs"

Message non lu par politicien » 16 déc. 2013, 18:34:49

Bonjour,
Sur la mondialisation, l'Europe, la financiarisation de l'économie, les réformistes ont commis des erreurs. Quelques pistes pour sortir du marasme actuel. Par Pierre Yves Cossé, ancien commissaire au Plan

Les réformistes, dont je suis, se sont comportés comme si la société pouvait être transformée sans que les acteurs comprennent exactement l'ampleur des transformations qui la secouaient. Et lorsque nous soupçonnions leur ampleur, nous avons trouvé plus sage de jeter un voile de peur d'inquiéter et de démobiliser les bonnes volontés. D'où un certain nombre d'erreurs. Voici quelques exemples de réalités que nous avons plus ou moins esquivées.

1- La bascule du monde a été dissimulée
Certes, la mondialisation, sous ses différents aspects, techniques, économiques et financiers ne nous a pas échappé. Mais nous avons sous-estimés plusieurs aspects et notre commentaire a été lénifiant :

- La rapidité avec laquelle elle est intervenue nous a pris de surprise. Le cas chinois est le plus spectaculaire. Certes, le rattrapage de son économie se ferait mais il se passerait plusieurs dizaines d'années avant qu'elle puisse maîtriser les technologies complexes. Le TGV, le nucléaire, l'espace, l'électronique allait rester l'apanage de l'occident. Fin 2014, un véhicule chinois se promènera sur la lune après quelques escapades d'astronautes chinois dans l'espace. Nous avons cru pouvoir miser sur notre rente technologique. Or elle a pour une part fondu.

- Le retournement engendré par la crise financière de 2008/9 a été sous-estimé. Les pays développés se sont appauvris, dévalorisation du capital, affaiblissement des banques, surendettement des états, des ménages et des entreprises, alors que de nombreux pays en développement moins endettés et moins engagés dans la financiarisation supportaient mieux le choc et redémarraient plus rapidement. Bref, les riches en termes de revenus -mais pas de patrimoine- laissent la place à de nouveaux venus. Leur image s'est dégradée.

Une Europe fragilisée
- Dans ce mouvement de bascule, l'Europe s'est le plus fragilisée. Du fait de l'absence d'une organisation fédérale, elle n'a pu réagir de façon rapide et cohérente. La fragilité de ses institutions par temps de crise a été une grave faiblesse. L'Europe vit l'inverse de 1492. Sa période de domination politique, économique et financière est close, au profit principalement de l'Asie. Une autre période s'est ouverte.

Une tendance à dissimuler la réalité...
- Ces sous-estimations ont été accompagnées d'un discours et d'une tendance à dissimuler. Craignant la montée du protectionnisme, qui a de fortes racines dans notre pays, nous avons longtemps dissimulé qu'il y avait des perdants dans la mondialisation et laissé passer la formule de mondialisation heureuse.

Nous avons parlé seulement de crise économique et financière, à caractère conjoncturel, et non de changement de monde. Nous avons renoncé de fait à tout « grand récit » sur notre nouvelle place dans ce monde nouveau. Le « nouveau » ne veut pas dire catastrophique. Il veut dire qu'il est nécessaire de passer en revue des comportements, des règles et des institutions qui n'ont plus leur place dans ce nouveau monde.

Il nous faut changer, ce qui est certes douloureux mais pas nécessairement régressif Notre croissance sera beaucoup plus faible que celle des pays en rattrapage et à population active croissante. Mais il nous reste les richesses acquises et une croissance faible est celle que nous avons connue au XIXe.

(...)

2- L'Europe rêvée s'est progressivement dissoute.
A partir de la féconde réconciliation franco-allemande, nous avons cru à une Europe progressivement fédérale, combinant les mécanismes de marché et les politiques communes, plus ou moins sociale-démocrate, s'affirmant peu à peu comme puissance mondiale. De ces rêves, il ne reste presque rien.

Les conséquences des élargissements successifs et de l'entrée du Royaume Uni n'ont pas été clairement perçues. Elles ont été d'autant plus considérables que le néolibéralisme s'est imposé avec l'avènement de Thatcher et Reagan et que beaucoup de pays européens avaient comme seul idéal « une grande Suisse » selon la formule de Michel Rocard. L'idéologie du « marché qui ne peut ni se tromper ni nous tromper » l'a emporté à Bruxelles. Étendre la sphère du marché est devenu la préoccupation dominante, y compris dans des domaines où des politiques publiques fortes sont nécessaires (énergie, transport) à l'exception de l'agriculture. En suivant les Etats-Unis, on ne risquait guère de se tromper.

Le fonctionnement des institutions s'est complexifié et dégradé. L'Europe a toujours plusieurs têtes. Jacques Delors n'a jamais été vraiment remplacé, les « grands » Etats ne supportant pas la « concurrence » d'une personnalité forte et populaire à Bruxelles. La Commission s'est bureaucratisée et se disperse dans le détail des réglementations.

(...)

4- L'individualisation radicale de la Société a été perçue tardivement.
Nous nous sommes réjouis de la montée de l'individualisme: effacement des contraintes sociales et familiales, émancipation des femmes, des jeunes et des groupes les plus ignorés. A titre personnel, nous sommes tous devenus plus individualistes, sans en voir toutes les implications.

Sur le plan politique, l'individualisme s'est traduit par un attachement plus fort aux droits de l'homme et par une affirmation de l'individu de droit dans le cadre des états nationaux. Symétriquement, le collectif s'est effacé sous toutes ses formes : partis, églises, institutions publiques et privées. Certes, les structures subsistent mais les citoyens mettent au premier plan la défense et la reconnaissance de leurs droits, dont ils demandent en permanence l'extension. Ils ne mettent pas en cause ces institutions, voire les soutiennent ou s'y engagent dans la mesure où elles servent leurs droits. L'exigence de solidarité se trouve confinée à des actions limitées aux résultats mesurables.

(...)

Et maintenant, que faire ?

N'étant pas Vladimir, je ne saurais répondre. Pour les individus, continuer à agir dans les multiples lieux et institutions où des améliorations sont possibles. Pour la chose publique, indiquer les conditions d'un redressement, même si elles apparaissent actuellement utopiques. Par exemple :

-un discours explicatif sur le monde et le positionnement de la France. Les Français sont dans un brouillard qui les paralyse. Il faut progressivement dissiper le brouillard et faire apparaitre le soleil à côté des nuages. Le soleil dans le monde, c'est la disparition des empires et des colonies, les centaines de millions d'hommes sortant de la pauvreté, l'allongement de la durée de vie, les progrès foudroyants des techniques. Le soleil au dessus de la France, c'est son patrimoine, sa diversité, sa démographie, sa capacité à créer et à innover, bref les Français eux-mêmes. Les citoyens doivent exiger de leurs dirigeants qu'ils aient une vision et qu'ils la fassent partager.

Bien sûr ils ne peuvent pas tout dire d'un coup. Il faut combiner élucidation et orientations, la pédagogie et l'action. J'ai cru, un temps que DSK pourrait être ce pédagogue et cet homme d'action. J'entends les ricanements des politiques: n'enlevons pas aux Français leurs illusions et avançons masqué. Le problème est que les Français ont perdu leurs illusions et que l'on fait du sur place ;

- une priorité donnée aux problèmes qui dépendent principalement de nous. Contrairement à ce qui est répété, beaucoup de problèmes ne se résolvent pas à Bruxelles, à New-York ou à Pékin. L'Éducation, le Logement, la Santé, la redistribution, la fiscalité, la négociation sociale, l'organisation territoriale (le millefeuille) la compétitivité de nos entreprises, c'est nous et pas les autres. Le plus urgent, c'est retrouver une compétitivité en vue d'équilibrer notre balance courante. Il nous faut d'un même coup accroître notre productivité et modérer la progression salariale. Il est nécessaire de commencer par nous même mais sans un renfort de la politique européenne, la réussite est difficile, voire impossible ;

- un rapprochement avec l'Allemagne en vue d'une politique de croissance à l'échelle européenne. L'Allemagne n'a plus confiance en la France, ce qui explique pour une part son intransigeance sur les déficits. Elle ne veut pas avoir à rembourser nos dettes (« les boches » ne paieront pas) Si nous mettons du sérieux dans le traitement de nos problèmes, comme il vient d'être proposé, la défiance diminuera progressivement et un déblocage de la politique européenne est possible.

Le traité sur la stabilité budgétaire maintient l'Europe dans une situation de croissance faible, pour une dizaine d'années

Cette politique, telle qu'elle est définie par le dernier traité, engendre une quasi stagnation de la zone euro. En imposant une réduction simultanée et rapide des déficits publics et le retour en quelques années à un taux d'endettement public inférieur à 60% du PIB, ce traité maintient l'Europe pour une dizaine d'années dans une période de chômage très élevé et de croissance faible. Certes des signes d'assouplissement sont apparus à Bruxelles : délai supplémentaire accordé à la France, mise en garde à l'Allemagne sur ses excédents abusifs. Mais ces signes sont insuffisants. Donner du temps au temps pour réduire les déficits est un impératif.

Une France devenant « sérieuse » et crédible pourra utilement participer au nécessaire débat sur les orientations économiques de l'Europe, alors qu'aujourd'hui elle se réfugie dans le silence du mauvais élève qui a trop longtemps menti pour que son propos soit pris au sérieux. Mais c'est d'abord l'Allemagne qu'il faut convaincre, cela implique que dans le domaine budgétaire l'acceptation d'une politique commune mise en œuvre de façon démocratique. La façon dont nous nous accrochons à notre souveraineté budgétaire est dérisoire. Qu'avons-nous fait depuis trente ans de cette prétendue souveraineté budgétaire ? Si la politique budgétaire avait été une compétence partagée exercée en commun, nous n'en serions pas au degré de dépendance et d'affaiblissement que nous avons atteint ;

(...)

L'intégralité de cet article à lire sur La Tribune.fr
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Re: "Les réformistes et leurs erreurs"

Message non lu par Nombrilist » 16 déc. 2013, 20:30:55

Encore un type qui fait un complexe d'infériorité face à l'Allemagne. ça commence à bien faire !

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