| 11.01.11 | 15h16 • Mis à jour le 11.01.11 | 15h17La logique voudrait que la fiscalité obéisse à des principes simples : des revenus, des impôts. Malheureusement, ce n'est pas le cas, comme l'avait déclaré la reine de l'hôtellerie new-yorkaise, Leona Helmsley, emprisonnée en 1992 pour avoir volé le fisc dans des proportions rarement vues aux Etats-Unis : "Seules les petites gens paient des impôts." Il n'y a rien de bien nouveau sous les brumes hivernales de la City. L'évasion fiscale se porte bien et les riches sont de plus en plus riches.
Grâce à l'utilisation virtuose de l'exemption fiscale et du dégrèvement fiscal, la sous-imposition des grandes sociétés comme des grosses fortunes a joué un rôle-clé dans la crise financière de l'automne 2008. Les produits toxiques (subprimes) étaient en effet souvent domiciliés dans des paradis fiscaux. Telle est la thèse du livre édifiant de Nicholas Shakson : Treasure Islands : Tax Havens and the Men Who Stole the World (Editions Bodley Head, non traduit en français) publié le 10 janvier.
Le constat de ce journaliste sur les "trous noirs" de l'économie planétaire que sont les places financières extraterritoriales est féroce. "La mondialisation n'a fait qu'accentuer le recours à des montages financiers complexes via les paradis fiscaux pour payer un minimum d'impôts. Il s'agit d'une zone grise, ni légale ni illégale", nous dit l'auteur de cette enquête fouillée sur les zones d'ombre de l'univers financier.
Cette investigation chez ceux qui roulent carrosse à capitalisme fermé met également au jour l'incroyable réseau de rabatteurs de fonds tissé par la City. Les îles Anglo-Normandes, Caïmans, les îles Vierges et autres confettis de l'empire sont au coeur d'un système hypersophistiqué de contournement du fisc.
Totalement autonome par rapport au gouvernement central et à la mairie de Londres, la première place financière européenne agit en toute opacité. L'autorité de tutelle, la City Corporation, qui n'a pas de comptes à rendre, est décrite comme le premier lobby financier de l'Union européenne. Son pouvoir est à la hauteur de sa fortune et de son entregent : imposant.
Au cours de son histoire, le "square mille" a su s'accommoder des bouleversements sociaux, politiques, financiers pour prospérer. Le statut de résident non domicilié offert aux riches étrangers, l'introduction de forfaits d'impôts au profit des grandes fortunes, l'affaiblissement du fisc de Sa Majesté ou l'accueil réservé aux capitaux russes d'origine douteuse apportent la preuve de l'influence tentaculaire de cet Etat dans l'Etat. C'est pourquoi aux yeux de Nicholas Shakson, le Royaume-Uni est sans conteste le premier paradis fiscal au monde.
Pourtant, le vent tourne. A l'heure de la politique d'austérité et des millions de sujets de Sa Majesté qui font la queue aux bureaux de chômage du royaume, un mouvement de protestation contre l'évasion fiscale a vu le jour. A l'aide des réseaux sociaux, le groupe UK Uncut multiplie les manifestations devant les symboles du cynisme comptable, les magasins de sociétés s'adonnant à ces pratiques. L'opérateur téléphonique portable Vodafone est ainsi accusé d'avoir économisé jusqu'à 5 milliards de livres (6 milliards d'euros) d'impôts en signant un douteux compromis avec le Trésor britannique. L'entreprise de distribution Arcadia, qui possède la chaîne de mode Top Shop, a payé une misère en taxes en 2010. Son propriétaire, Philip Green, résident monégasque, a réussi cette gageure en versant plus de 1 milliard de livres de dividendes à son épouse. La banque HSBC ou le pharmacien Boots sont aussi la cible de ces militants, jeunes et véhéments, soutenus par plusieurs ONG et par les syndicats.
Comme l'illustre le retentissement médiatique des actions d'UK Uncut, la fiscalité est en train de devenir un sujet aussi brûlant que les bonus des banquiers. Actuellement, les multinationales ne doivent pas divulguer le détail des profits réalisés dans chaque pays d'opération ni donner le montant précis des impôts payés. A l'appui de cette opacité, les milieux d'affaires citent l'environnement concurrentiel tout comme l'obligation d'assurer le meilleur rendement aux actionnaires. L'"efficience fiscale" - comme les défenseurs du libéralisme appellent la quête d'exonérations dans un secret sans partage - permet de réduire les coûts. A les entendre, les impôts sont le deuxième poste de dépenses après les salaires. Trop d'impôt tue l'impôt ! Cet argument témoigne d'une incompréhension de la fracture causée par l'évasion fiscale. Le civisme et la cohésion nationale souffrent de cette croisière fiscale permanente.
Conscient de cet enjeu qui occupe la presse et le terrain, le groupe d'information Thomson Reuters a mis au point un logiciel informatique destiné à aider ses clients à mieux comprendre le maquis des nouvelles réglementations de taxation tout comme l'harmonisation des normes comptables. "Ces outils d'information sont nécessaires pour respecter les réglementations dans un univers fiscal en constante mutation", déclare le vice-président pour l'Europe du département impôts de la société, Tom Walsh.
Si elle avait connu cette belle et bonne invention, Leona Helmsley n'aurait peut-être pas dû quitter ses palaces pour la prison.
Ce n'est pas moi qui le dit remplacer l'Angleterre par la France et le tour est joué !
