El Fredo a écrit :
@johanono : alors s'il n'y a aucune contradiction, tu vas m'aider à résoudre ces apparents paradoxes :
Volontiers.
1. si on cesse d'inonder les pays du tiers-monde de nos marchandises subventionnées, ça veut dire que nos exportations vers ces pays diminuent.
Tout à fait. Nos exportations diminuent, nos importations également. Et comme nos agriculteurs ne sont plus en concurrence avec des pays à bas coûts de production, les cours seront mécaniquement plus élevés. Nos agriculteurs pourront donc vivre décemment de leur production. Certes, cela ne résout pas le problème de la concurrence déloyale posée par certains pays européens, nous sommes d'accord sur ce point. Mais si on règle le problème de la concurrence posée par l'Argentine, le Brésil, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, le Canada ou les EU, ce sera déjà un pas en avant très important. Il sera alors temps de s'occuper de nos amis espagnols ou néerlandais.
2. si on vise à faire augmenter les cours des matières premières, ça profitera aux céréaliers mais nuira aux éleveurs de bétail.
Peut-être, si on s'en tient au schéma actuel dans lequel les exploitations agricoles ont une mono-activité, c'est-à-dire que les éleveurs ne font que de l'élevage et les cultivateurs ne font que de la culture. Dans ces conditions, les éleveurs, qui ne font que de l'élevage, doivent acheter eux-mêmes la nourritures qu'ils donneront à leurs bêtes. Aujourd'hui, l'alimentation du bétail repose principalement sur la culture du maïs, et comme le maïs ne suffit pas à fournir une alimentation équilibrée, il doit être complété par des plantes telles que le soja, que l'Europe importe massivement. Dans ces conditions, forcément, nos éleveurs sont dépendants des cours mondiaux...
Sauf que les alternatives existent.
Traditionnellement, les exploitations agricoles étaient pluri-actives, c'est-à-dire que les éleveurs étaient aussi des cultivateurs et produisaient eux-mêmes les aliments qu'ils donnaient à manger à leur bétail. Si on revient à ce système, les éleveurs ne seront pas impactés par une hausse des cours des céréales.
En outre, il y a d'autres alternatives que la culture du maïs pour alimenter le bétail. Par exemple, l'élevage des vaches sur prairies temporaires a déjà fait ses preuves. André Pochon a déjà fait de nombreuses démonstrations à ce sujet. Si on développe cette pratique, nos éleveurs ne seront pas impactés par une hausse des cours des céréales.
Le tout selon des modalités qui restent à définir : les mécanismes de fixation artificielle des prix sont notoirement inefficaces, il ne reste donc que les subventions qu'il conviendra d'augmenter (et avec elles les contributions des Etats). Sans oublier que la concurrence sur le secteur agricole est essentiellement intra-européenne (Espagne, notamment). Ces solutions auront une influence sur notre production locale mais pas sur nos importations, ce qui risque de générer des chocs asymétriques et des déficits commerciaux.
Pas forcément besoin de mécanismes de fixation artificielle des prix. C'est la concurrence avec des pays à bas coûts de production qui fait baisser les cours, parce que pour conserver des marchés, nos producteurs sont obligés de s'aligner sur les prix proposés par les producteurs issus de ces pays à bas coûts de production. En restaurant les barrières douanières, on protège nos agriculteurs de cette concurrence, donc les prix remontent mécaniquement. Comme je l'ai indiqué, cela ne règlera pas le problème posé par la concurrence espagnole ou néerlandaise, mais cela règlera au moins le problème de la concurrence sud-américaine ou nord-américaine ou néo-zélandaise. Ce sera déjà un grand pas en avant.
En outre, les mécanisme des prix garantis a déjà existé pendant de nombreuses années en Europe. Il a plutôt bien marché, trop bien, même, puisqu'il a engendré à une certaine époque des phénomènes de sur-production. Ce mécanisme est donc tout à fait applicable en cas de besoin.
Sans oublier non plus que la production agricole est dépendante du climat, des sols, etc. et qu'on ne peut pas toujours produire localement les produits qu'on importe. Passer d'une économie ouverte à une économie protectionniste influera sur le type et la quantité des produits disponibles sur le marché européen.
Les barrières douanières ne sont pas forcément uniformes. Elles peuvent être modulées d'un secteur à l'autre, au gré des opportunités ou des contraintes climatiques. En outre, il ne faut pas oublier la nécessité de protéger nos productions ultra-marines. La banane antillaise, par exemple, est concurrencée par la banane latino-américaine. Des mesures protectionnistes permettraient de protéger la banane antillaise, ce serait une bonne chose pour le développement de ces DOM-TOM.
Enfin, d'un point de vue de la sécurité alimentaire, l'avantage d'une économie ouverte est de lisser les effets des catastrophes climatiques. Crucial si l'on vise l'autosuffisance.
Sauf que l'autosuffisance n'est pas assurée aujourd'hui, ne serait-ce qu'à cause de la nécessité d'importer du soja pour nourrir notre bétail...
Tout ceci ressemble fortement à de la pensée magique, car on ne cite aucun moyen concret (financier ou réglementaire) pour mettre en place la solution proposée. On dit : le protectionnisme est la solution à tous nos problèmes (et à ceux des autres par la même occasion) : revenus agricoles, prix des matières premières, auto-suffisance, etc.
Je ne prétends pas que le protectionnisme est la solution à tous nos problèmes. La preuve, j'ai déjà indiqué que, dans le système actuel, chaque Etat européen a la possibilité de moduler les aides européennes en fonction de critères environnementaux. Indépendamment des considérations relatives au protectionnisme, la France pourrait donc tout à fait décider d'orienter les aides vers l'élevage des vaches à l'herbe ou des cochons sur la paille, pratiques qui ont fait la preuve de leur efficacité et de leur caractère écologique. Ceci dit, le protectionnisme résoudrait pas mal de problèmes, c'est une évidence.
Après, on en revient au débat que nous avons déjà eu sur les délocalisations. Je pense que nous sommes à peu près d'accord sur le modèle de société que nous voulons (en matière économique). Sauf que moi, je constate que le système mondialisé actuel est incompatible avec cet objectif, alors je propose des solutions. Des solutions que l'on peut discuter, mais qui ont le mérite d'exister. Gibet et toi, vous critiquez, mais vous ne proposez rien du tout. J'attends toujours que vous me démontriez par quels miracles la politique économique "sociale-démocrate" que vous semblez défendre verra le jour... J'attends toujours que vous me démontriez comment vous comptez faire pour remettre en cause la dérive productiviste actuelle de l'agriculture française.
Je vais finir par penser que des gens comme Gibet et toi êtes en réalité les alliés objectifs du système actuels, voire ses valets.
Mais on oublie que l'UE a déjà une politique très protectionniste en matière agricole (1,4% du PIB), il parait difficile de faire encore plus.
Tu confonds protectionnisme et niveau des aides agricoles. Ce n'est pas parce que les subventions agricoles sont très élevées que nous sommes dans un cadre protectionniste. Au contraire, les subventions agricoles sont rendues nécessaires par la chute des cours elle-même provoquée par la mondialisation. Je ne demande pas davantage de subventions, je demande que les prix payés aux agriculteurs leur permettent de vivre de leur production. Dans un cadre protectionniste, les prix sont suffisamment rémunérateurs, et les subventions publiques ne sont plus nécessaires.
Par ailleurs, puisque tu évoques la politique de l'UE, j'en profite pour tordre le cou à une idée reçue. On dit souvent que, sans la PAC, nos agriculteurs seraient ruinés. Les choses ne sont pas si simples. Tout d'abord, c'est la PAC qui a provoqué la chute des cours qui empêche aujourd'hui nos agriculteurs de vivre correctement de leur production. Les subventions ne font que compenser (partiellement) cette chute des cours organisée par la PAC. En réalité, la PAC n'a nullement sauvé nos agriculteurs, elle a au contraire organisé leur ruine. Ne pas oublier non plus que la France est contributeur net à l'UE, c'est-à-dire qu'elle cotise davantage à l'UE que ce qu'elle reçoit sous forme de subventions. Les subventions européennes, c'est tout simplement une partie de notre argent qui nous revient avec une étiquette "européenne"... Et après, il faudrait dire "merci l'Europe" ?