La France est-elle encore compétitive ?
Propos recueillis par Emmanuel Lechypre et Béatrice Mathieu -
Premier volet de nos grands débats sur l'état de la France à un an de la présidentielle, la compétitivité avec les économistes Michel Didier et Michel Godet.
Premier volet de nos grands débats sur l'état de la France à un an de la présidentielle, la compétitivité, avec les économistes Michel Didier et Michel Godet.
REUTERS/Dinuka Liyanawatte
"Ce sont les territoires qui vont innover et nous sauver."
Michel Godet, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, membre du Conseil d'analyse économique.
Michel Didier. Le constat est implacable : l'entreprise France a perdu du terrain face à ses principaux concurrents ces dernières années. La preuve est apportée quand on examine la part de nos exportations dans le commerce mondial, qui a chuté à 3,5 %, un plus bas historique. Et ce n'est pas seulement la faute des émergents : notre part dans les exportations de la zone euro a reculé de presque 25 % depuis 1999. Cette dégradation concerne la plupart des produits et services, et neuf pays clients sur dix.
Michel Godet. C'est vrai, la France n'est plus une grande nation industrielle compétitive. Le creusement de notre déficit commercial à plus de 57 milliards d'euros en est la meilleure preuve. Il ne nous reste plus que deux postes excédentaires : l'agroalimentaire et le tourisme. La part de l'industrie dans l'Hexagone n'est plus que de 16 % du produit intérieur brut, alors qu'elle est de 22 % en moyenne dans l'Union européenne, de 30 % en Allemagne et de 28 % en Finlande.
Comment expliquer cette contre-performance ?
"Le pays a perdu son seul avantage par rapport à l'Allemagne: des prix moins élevés."
Michel Didier, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et président de l'institut COE-Rexecode.
Michel Didier. La France a perdu, surtout par rapport à l'Allemagne, son seul avantage comparatif : des prix moins élevés. A cause essentiellement des politiques économiques. Après l'euphorie de la réunification, les Allemands ont tout fait pour retrouver la compétitivité perdue : maîtrise des déficits publics, recherche, réforme du marché du travail, modération salariale. De son côté, la France a choisi la réduction de la durée du travail. Cela a pesé d'autant plus sur les coûts de production que, faute d'innovations, l'offre française est devenue trop moyenne gamme, et donc soumise à une intense concurrence.
Michel Godet. A cause des trente-cinq heures, on travaille en moyenne trois semaines de moins que dans le reste de l'Europe ! A cela s'ajoute la lourdeur de nos charges sociales.
L'état des lieux. Part des exportations françaises dans les exportations totales de la zone euro. En 2000, l'heure de main d'oeuvre coûtait 24,40 euros en France, 1,90 euro de moins qu'en Allemagne. Désormais, elle vaut 37,20 euros dans l'Hexagone, 7 euros de plus qu'outre-Rhin. La France a perdu l'avantage de la compétitivité de ses prix. En dix ans, elle a vu fondre le tiers de ses parts de marché vers les autres continents au profit des grands exportateurs de la zone euro. Les services et l'agroalimentaire résistent, mais notre pays encaisse une nouvelle vague de désindustrialisation.(source: Feri)
La France peut-elle rattraper son retard ?
Michel Godet. Je suis optimiste. Parce que, si le mal est en nous, les solutions le sont aussi. C'est la France d'en haut qui nous a fait tomber si bas. C'est la France d'en bas qui nous fera remonter la pente, celle des territoires qui va innover et nous sauver, à condition que l'on cesse de brider les initiatives par des réglementations environnementales et fiscales étouffantes. Le potentiel d'innovation existe en France, plutôt dans l'aval que dans l'amont. Moins dans la technologie que dans l'organisation. Les territoires dont le revenu s'accroît le plus vite sont ceux que l'on croyait être les perdants de la mondialisation : le monde rural, les villes petites et moyennes, le littoral atlantique, qui regorgent d'entrepreneurs imaginatifs... Les pouvoirs publics ont beaucoup insisté sur les pôles de compétitivité, tournés vers l'international, mais il ne faut pas négliger les pôles d'attractivité locaux pour répondre à la demande de qualité de vie et de services des populations.
NOTRE CONCLUSION
Les industries les plus anciennes qui ont délocalisé ne reviendront pas en France. Il ne faut en revanche pas rater le train des nouvelles industries vertes et high-tech. Un pari loin d'être gagné.
Michel Didier. Attention, les exemples de belles réussites ne font pas une tendance générale ! La désindustrialisation reste une réalité. Mais il y a des signes encourageants, avec, mine de rien, les briques d'une politique industrielle qui se mettent en place, de la réforme des universités au crédit impôt-recherche en passant par la création du FSI, d'Oséo, et par le grand emprunt.
C'est quand même difficile d'avoir des certitudes quand certaines personnes quand même compétentes,soutiennent que les 35 heures nous ont fait perdre de la compétitivité,alors que d'autres personnes disent le contraire.