Voyage en économie : une visite au "tricard" Piketty Dites, les candidats : la révolution fiscale, c'est pour quand ?chronique le 09/09/2011 par Anne-Sophie Jacques
Voyage en économie : une visite au "tricard" Piketty
Dites, les candidats : la révolution fiscale, c'est pour quand ?
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Alors, tricard au PS, Piketty, pour cause de radicalisme fiscal ? Cela méritait bien une visite au dissident. En entrant dans son bureau de l'Ecole Normale Supérieure, je suis reçue par un dos. L’économiste se retourne, m’accueille d’une poignée de main et s’excuse du peu de mobilier : il n’y a rien en effet pour recevoir les voyageurs de passage. Normal, c’est un chercheur. Thomas Piketty travaille face à la fenêtre entre rangées de bouquins et tableau blanc griffonné d’équations éthérées.
tableau Piketty (..)
De vraies équations, même pas écrites exprès pour épater le visiteur.
Je m’improvise un coin de bureau et viens directement au fait : tricard or not tricard ? Piketty botte en touche et répond ne pas être friand des grands raouts genre Université d'été à La Rochelle. Ceci dit, il a rencontré tous les responsables socialistes cet hiver à la sortie du livre Pour une révolution fiscale : ils l’ont invité à déjeuner les uns après les autres. Tous étaient en phase avec le propos. Oui il faut une grande réforme fiscale. Et depuis, rien. Rien qui engage vraiment. Piketty est perplexe : « j’aimerais bien savoir ce qu’ils comptent faire de notre argent. »
(...)
« L’individualisation progressive du prélèvement, dont il faudra débattre avec l’ensemble de la société, permettra de ne pas pénaliser le travail des femmes et de traiter plus équitablement les familles, afin qu’elles soient toutes aidées. » Individualisation progressive ? Comprendre « pas tout de suite ». Piketty ironise : « vous avez entendu parler d’un grand débat citoyen vous ? Vous en connaissez la date ? Avant ou après les primaires ? La présidentielle ? Le quinquennat ? »
On est d’accord : c’est le grand flou. « Les candidats doivent maintenant s’engager, pas dans une note de bas de page d’un document confidentiel mais au 20 heures, devant tous les Français. » Et si on leur demandait de prendre position en leur soumettant un questionnaire précis, avec obligation d’échéancier ? Chiche ! Piketty est partant.
Piketty (...)
Avant d’établir le questionnaire, reprenons les propositions de la révolution fiscale : on casse tout et on repart à zéro. Piketty freine mes ardeurs : « attendez, nous sommes des révolutionnaires peau de lapin ! On ne part pas de rien mais de l’existant, en l'occurence la CSG. » . Il faut savoir qu’en France nous avons deux impôts sur le revenu : l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) et la CSG (contribution sociale généralisée créée par Rocard en 1990). L’IRPP rapporte 50 milliards d’euros ; la CSG 90 milliards. Soit presque le double.
Pourquoi la CSG rapporte-t-elle plus que l’IRPP ? Parce que l’assiette est plus grande. Elle touche tous les revenus, et elle est beaucoup moins percée que l’assiette de l’IRPP, criblée de trous avec des exonérations de toutes sortes.
(...)
Résumons la réforme selon Piketty : l’IRPP sous sa forme actuelle est supprimé ainsi que la CSG, le prélèvement libératoire, la prime pour l’emploi (le bouclier fiscal quant à lui a déjà été zigouillé). Le nouvel impôt sur le revenu prend pour base l’assiette (ou plutôt le plateau) de la CSG, il est prélevé à la source (sur nos fiches de paie ou nos allocations) et progresse selon des taux effectifs. Exemple : à 1 100 euros par mois vous payez 2% d’impôt (soit 22 euros) et à 2 200 euros vous payez 10% (soit 220 euros). D’un coup j’ai un frisson dans le dos. A 1 101 euros on est taxé à 10% ? « Non, le taux effectif d'imposition évolue continûment avec le revenu. » Ouf. A ma décharge, ce n’est pas très clair dans le bouquin, Piketty en convient, et c’est une des questions les plus fréquemment posées sur le site.
Piketty_bareme (...)
Piketty propose un barème plutôt centre-gauche, mais livre aussi un barème ultra-égalitaire, de gauche, de droite, ou encore un barème proportionnel, comme celui d'aujourd’hui. C'est l'avantage de la proposition de Piketty : le barème peut changer. Je peux le changer. Vous pouvez le changer. Il suffit de jouer avec le simulateur en ligne, outil créé de toutes pièces par les auteurs du livre pour connaître l’impôt collecté selon vos barèmes et mesurer ainsi l’impact des taux sur le déficit budgétaire et les inégalités.
(...)
D'ailleurs, pourquoi 90 % Pourquoi pas 100 % ?
Je suis mûre pour Bercy non ?
Qui sont les gagnants, qui sont les perdants ? Selon Piketty, 75% de la population est nettement gagnante et, si on ajoute ceux qui perdent peu, le chiffre monte à 86%. Sans surprise, les très hauts revenus sont les grands perdants. Cela dit, après les jackpots touchés sous l’ère Sarkozy, on ne va pas verser de larmes. Et puis il est grand temps de mettre fin à la dégressivité de l’impôt. Pour être exacte, notre impôt est progressif jusqu’à un certain point. De 1 000 à 2 200 euros de revenus bruts par mois, l’impôt est en moyenne de 45%. De 2 300 à 5 100 il passe à 48%. Ça se stabilise jusqu’à 6 900 euros et après, patatras, chute libre, on tombe en moyenne à 35% pour les 0,1% les plus riches. Avec la réforme de Piketty, les très riches sont plus fortement taxés même si ce n'est pas non plus une révolution bolchévique. L’économiste insiste : « nous restons très raisonnables et très réalistes. »
Vous me direz : le gouvernement aussi veut corriger cette iniquité. Mon œil oui ! (et encore, je reste polie). La taxe annoncée par Fillon est une double tartufferie. Petit un, comme le faisait remarquer Piketty dans le Monde, elle fait suite à la réforme de l’ISF votée avant l’été qui ampute le budget de 2 milliards de recettes. Si l'on compare aux 200 millions espérés de la taxe, je regrette d’être restée polie. Petit deux, cette taxe ne concerne que les revenus supérieurs à 500 000 euros, mais attention, astuce : 500 000 euros par part fiscale. Un couple avec trois enfants paiera la taxe si leurs revenus dépassent 2 millions d'euros. La nouvelle en a ému plus d’un.
gagnants et perdants (...)
86% de gagnants signifie (je sors ma fameuse calculatrice multifonctions) 14% de perdants. Manifestement c’est encore trop pour les socialistes. Et en examinant attentivement le graphique ci-dessus, parmi les revenus les plus bas, on compte tout de même 20% de perdants qui doivent pâtir de la suppression de la prime pour l'emploi ou, pourquoi pas, de la suppression du prélèvement libératoire (oui, les bas revenus aussi peuvent avoir des revenus du capital). 20%, c'est beaucoup, même si ce pourcentage descend vite à 5%.
(...)
Ces imposés sont incapables de savoir au final quel sera leur pouvoir d’achat. Leurs revenus sont taxés à minima à 8% (taux de la CSG) ce qui représente à l’année un mois de salaire, ce n’est pas rien. Et un an plus tard, on leur envoie un chèque, la prime pour l’emploi, à laquelle personne ne comprend rien, qui rapporte un peu moins qu’un mois de salaire. Avec notre système, finie la prime : le salaire net au smic augmente de 100 euros par mois. »
Alexandre tranche le nœud gordien (1746) – par Jean Restout / Stockholm, Palais Royal
Du courage, il en faut. Mais un candidat pourrait-il proposer une réforme graduelle, petit à petit, sans avoir à trancher le nœud gordien ? Par exemple, peut-on faire la réforme sans le prélèvement à la source ? Vincent Drezet, secrétaire général du syndicat national unifié des impôts rencontré à l’étape 1 de ce voyage, y est opposé. Soupir de Piketty. « Si je voulais être méchant, je dirais que les syndicalistes sont des conservateurs. Rien n’empêche la mise en place du prélèvement à la source. On le fait déjà pour la CSG !
(...)
Finalement il pose la question : « Pourquoi s’accrocher à un impôt tellement douloureux qu’il est en voie de disparition ? Il rapporte deux fois moins que la CSG, quatre fois moins que la TVA. »
Le fisc, une moule à son rocher (..)
Reste enfin la question de l’individualisation, une personne, un impôt. La réforme pourrait-elle aussi s'en passer ? « En pratique oui. Mais il me semble impossible aujourd’hui pour un dirigeant socialiste d’être contre. D’ailleurs toutes les femmes dirigeantes du PS sont pour. Si on veut vraiment combattre les inégalités hommes-femmes, on ne peut pas continuer à favoriser les couples inégaux. » Un chapitre du livre le martèle : les femmes ne sont pas un revenu d’appoint. Comment inciter au travail des femmes, et en même temps garder le système du quotient conjugal ? Ce système, en effet, additionne le salaire confortable (du mari méritant) et le non-salaire de l'autre (la gentille femme au foyer) et divise le tout par les deux fameuses parts du quotient conjugal consenties au couple marié ou pacsé (mais pas concubin.) Dans ce cas, pourquoi travailler ? Piketty convient qu’il faut cependant user de pédagogie : un couple inégal n’est pas forcément un couple riche. Ce peut être un salaire au smic ajouté à pas de salaire du tout. « L’individualisation sans notre barème ne serait pas juste : on compterait beaucoup de perdants. »
Piketty_livres
Ouf ! Lestée de ces copieuses explications, je pense avoir assez de billes pour établir le questionnaire à soumettre aux six candidats socialistes à la primaire. Le voici :
(..)
Il reste pile un mois avant le début de la primaire socialiste. C’est court mais ça laisse le temps aux candidats de me répondre. Evidemment, je vous tiens au courant.
Par Anne-Sophie Jacques le 09/09/2011
Et oui tricard,le PS ne mettra pas cette fiscalité en place,et il fera comme en 1981 donner aux riches encore plus de moyen pour s'enrichir !