Guides historiques de la dérégulation financière, les Etats-Unis et le Royaume-Uni seraient-ils les nouveaux chantres de la règlementation bancaire ? Ce n'est pas le moindre des paradoxes de la crise financière : trois ans après la chute de Lehman Brothers, ces deux champions du libéralisme s'apprêtent à règlementer leur système bancaire en séparant partiellement les activités de détails (dépôts et crédit) des activités d'investissement (prise de position sur les marchés). Objectif : protéger les dépôts des épargnants des risques inhérents à la spéculation.
A travers l'Europe continentale, l'idée peine à faire son chemin. (...)
Pourquoi deux pays anglo-saxons parmi les plus libéraux de la planète ont-ils été si prompts à envisager de réformer en profondeur leur système financier ? Eléments de réponse.
En 1933, déjà...
Ce n'est pas la première fois que les Etats-Unis tentent de mettre un frein aux appétits de leurs banquiers. Ce fut le cas après chaque crise financière. Au lendemain de la crise de 1929, le président Franklin Roosevelt met en place une séparation stricte entre banque de détail et banque d'investissement dans le cadre du "New deal". Le fameux Glass-Steagall Act restera en vigueur outre-Atlantique pendant plus de soixante ans. Il s'agit, déjà, de protéger les économies des Américains contre les prises de risques excessives des financiers. La France adoptera un système comparable au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Dans les années 1980, l'heure est à la dérégulation tous azimuts. (...)
Sous l'assaut répété des lobbys, le Congrès finit par abroger en novembre 1999 la distinction entre les métiers de banque de dépôt et d'investissement en votant le Gramm-Leach-Bliley Act. Soixante ans après sa disparition, le service de banque universelle est de retour aux États-Unis.
2010 : les Etats-Unis réagissent
Un militant proche de l'économiste américain Lyndon LaRouche, partisan d'une réorganisation complète du système financier international. En France, son représentant est Jacques Cheminade, président du parti Solidarité et Progrès.
La finance "made in USA" va vivre une période de bombances avant d'imploser... huit ans plus tard. En septembre 2008, la banque d'investissements Lehman Brothers fait faillite. La chute de Lehman entraîne avec elle les bourses mondiales et crée un mouvement de panique sur la planète finance, obligeant certains Etats à renflouer leurs banques. Aux Etats-Unis, des petits épargnants font la queue devant les établissements pour retirer leurs économies. Le spectre de la panique bancaire ("bank run") est de retour.
L'administration Obama doit réagir : rassurer les épargants et punir les banques. En juillet 2010, le président américain signe le Dodd-Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act. Parmi les dispositions de cette réforme, la loi Volcker obligera à partir de 2014 les banques à choisir entre spéculer sur les marchés avec leurs fonds propres ("prop trading") et leur statut de banque de dépôt.
Mais le lobbying actif des banques a largement allégé le dispositif initial. Paul Volcker, l'ancien président de la Réserve fédérale, a échoué à restaurer l'esprit du Glass-Steagall Act. (...)
2011 : le Royaume-Uni frappe fort
Même cause, même effets au Royaume-Uni. Trois ans après avoir dû injecter 70 milliards d'euros pour éviter la faillite de la Royal Bank of Scotland (RBS) et de la Lloyds Banking Group, Londres a annoncé mi-septembre une réforme radicale de son système bancaire, la plus ambitieuse depuis l'ère Thatcher. Là encore, c'est le risque pesant sur les dépôts des épargnants qui pousse les autorités à sévir.
Le 12 septembre, la commission indépendante sur les banques présidée par Sir John Vickers rend son rapport. Il obtient aussitôt l'appui du premier ministre conservateur David Cameron. Sa disposition la plus spectaculaire fait l'effet d'une bombe : elle prévoit de séparer partiellement les activités de détail des activités d'investissement, à travers un système de filiales. (...)
Le lobby bancaire britannique a néanmoins obtenu que cette réforme, qui coûtera entre 5 et 8 milliards d'euros par an pour les quatre grandes banques britanniques, n'entre en application qu'en 2019.
Trois jours à peine après la présentation du rapport Vickers, l'actualité va donner des arguments supplémentaires au gouvernement britannique. Et si l'histoire se répète, l'actualité, elle, bégaye. Kweku Adoboli, émule appliqué de Jérôme Kerviel, fait perdre 2,3 milliards de dollars à la banque suisse UBS. Cette fraude géante justifie à elle seule la réforme aux yeux du gouvernement britannique : "Il est tout simplement impossible de laisser les contribuables à la merci d'établissements voyous qui peuvent faire exploser des armes financières de destruction massive", déclare le ministre du commerce, Vince Cable.
Et en France ?
Les établissements français estiment que le modèle de banque universelle est un rempart contre les soubresauts dans les milieux financiers.
Le Royaume-Uni, où les services financiers représentent plus de 10 % de l'économie, est le premier pays à engager une réforme aussi radicale du secteur bancaire. L'évolution de ce projet de régulation est scruté de près partout dans le monde, notamment en Suisse.
Mais en France, comme en Allemagne, le modèle de banque universelle ne semble pas remis en cause. Il est même fréquemment cité comme un rempart contre les soubresauts des marchés. Après la chute de Lehman Brothers, les banques françaises avaient expliqué leur relative bonne tenue par la diversification de leurs sources de revenus (dépôts, crédits et spéculation), qui les protégeraient davantage d'une faillite. (...)
Autre argument des partisans du statu quo : Northern Rock était une simple banque de détail, et Lehman Brothers n'avait pas de dépôts. Les deux ont pourtant fait faillite. Un cloisonnement des activités ne présenterait donc aucune garantie de solidité. En outre, les dépôts sont garantis en France à hauteur de 75 000 euros par personne, un montant largement suffisant pour rassurer la majorité des épargnants en cas de risque de faillite.
Une réforme à la britannique aurait-elle permis de protéger les banques françaises contre leur exposition à la dette grecque ou italienne ? Sans doute pas. Les obligations d'Etat, considérées jusqu'il y a peu comme les placements les plus sûrs, sont un des fonds de commerce traditionnels des banques de détails. (...)
Reste que l'activité des banques est fondée sur un axiome : le juste rapport entre risque et profit. Une banque d'investissement ou universelle sera par nature très rentable, mais davantage exposée au risque ; une banque de détail, plus stable, dégagera moins de profit. Un théorème juste... du point de vue de la banque et de ses actionnaires. Pour l'épargnant, si le modèle de la banque universelle présente des risques infiniment supérieurs, les profits, eux, sont inexistants.
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