Qu'en pensez vous ?Adminstrateur délégué et patron opérationnel de Dexia, Pierre Mariani n'a pu retenir ses larmes. Le stress, le manque de sommeil -il n'a dormi que deux ou trois heures par nuit ces dernières semaines-, et surtout un sentiment d'échec ont fait craquer ce banquier aguerri lors du conseil du 9 octobre, durant lequel fut décidé le démantèlement de l'établissement.
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Côté belge, Didier Reynders ne décolère pas d'avoir dû financer en toute urgence 65% de la garantie publique de 90 milliards d'euros apportée aux actifs à risques de Dexia, même s'il a pu récupérer Dexia Bank Belgique pour 4 autres milliards. Logiquement, à paris,on est plutôt satisfait. Augustin de Romanet n'hésite pas à parler de "sortie vers le haut". Le Corse Mariani, accusé de tous les maux par la partie belge, jure que ce désastre, c'est la faute à la crise, à pas de chance, à l'ancien management. Mais Axel Miller et Pierre Richard, les dirigeants du groupe jusqu'en 2008, ne sont pas inquiétés. Le premier préside Petercam, une petite banque d'affaires installée en face de la cathédrale Sainte-Gudule à Bruxelles. Quant au second, qui a été auditionné le 15 novembre par les députés français, il coule une retraite dorée à 600 000 euros par an. Récit d'une tragi-comédie franco-belge qui a coûté des dizaines de milliards d'euros.
Le mariage de deux ambitieux
Champagne! Pierre Richard, le président du Crédit local de France (ClF), et François Narmon, son alter ego à la tête du Crédit communal de Belgique (CCB), savourent leur victoire. Ce 23 octobre 1996, ils viennent d'obtenir le feu vert de leurs assemblées générales pour unir la banque belge au spécialiste français du financement des collectivités locales.
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Le CCB est l'une des principales banques de dépôt belges, qui financent les besoins des communes et des régions du royaume. Ex-filiale de la CDC, le CLF, lui, ne peut collecter de dépôts et doit se refinancer sur les marchés. La synergie est évidente: l'utilisation des fonds du CCB évitera au CLF d'avoir à trop emprunter sur les marchés. En réalité, l'acte de naissance ne prévoit pas ces transferts qui n'auront dans les faits pratiquement jamais lieu. Les deux patrons ont mieux à faire. Ils se connaissent bien et se sont toujours appréciés.
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La revanche est un moteur tout aussi puissant pour Pierre Richard. Avec sa barbe rousse soigneusement taillée, ses lunettes cerclées d'acier, ce dirigeant à la stature fluette a le look d'un instituteur de la IIIe République. Chantre de la décentralisation, il est passé par le ministère du Logement et de la Ville, avant de diriger la plus puissante des filiales de la CDC. A ce titre, il en est aussi le directeur général adjoint. Son objectif? Succéder en 1993 à Robert Lion au poste de directeur général. Malgré le soutien des élus locaux de tout bord qu'il invite chaque année au Festival d'Avignon, dont il est le principal sponsor, il est coiffé au poteau par Philippe Lagayette. "Tu n'avais aucune chance, tu n'es qu'un immigré de la finance", lui décrypte cruellement Philippe Jaffré, qui, comme Lagayette, fait partie de la caste des inspecteurs des Finances. Blessé, l'orgueilleux Pierre Richard n'aura de cesse d'arracher au Premier ministre d'alors, Edouard Balladur, le feu vert pour la cotation en Bourse du CLF. Et de dégager la voie pour ses ambitions de PDG...
Le choc des cultures
Un an après la fusion, en octobre 1997, quelque 150 cadres dirigeants sont conviés à un séminaire au Club Med de Vittel. Tous doivent être déguisés et participer à l'une des épreuves programmées: tir à l'arc, golf, escalade, corde à noeuds... Pierre Richard, l'administrateur délégué du nouveau groupe -donc le patron opérationnel-, arbore une tenue digne de son rang: l'uniforme d'un général nordiste de l'armée américaine lors la guerre de Sécession et le képi de l'un de ses ancêtres, officier supérieur de l'armée française. Ce passionné d'équitation est, cela va de soi, certain de gagner l'épreuve d'équilibre... sur cheval de bois! Battu par un concurrent, il ne peut cacher sa déception devant une assemblée qui se gausse. Les Belges sont carrément hilares. Déjà, cette rivalité interne. Durant tout le séminaire, Flamands, Wallons et Français ne se sont guère mélangés. La mayonnaise ne prend pas. Et ne prendra jamais.
Car ce fonctionnement clanique se reproduit à tous les échelons.
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Mais, en 2004, il va trop loin. Les administrateurs belges découvrent par voie de presse le projet d'un rapprochement avec le groupe italien Sanpaolo IMI, avec en prime la délocalisation du siège bruxellois à... Turin. Pierre Richard sera marginalisé, puis placardisé en 2006 à la présidence du conseil. Axel Miller, brillant avocat belge, devient l'homme fort du groupe. Sûr de lui, il affirme que "la banque est un métier trop sérieux pour être laissé aux banquiers".
La folie des grandeurs
"FSA est une formidable porte d'entrée sur le marché américain", leur avait expliqué Pierre Richard. Malgré la complexité de son métier -FSA est une sorte de réassureur bancaire qui apporte sa garantie aux municipalités souhaitant lever des fonds à moindre coût sur les marchés-, les administrateurs autorisent son achat pour 2,16 milliards d'euros. En cet été 2000, le rêve de Pierre Richard -faire de Dexia le numéro un mondial du financement des collectivités locales- est en passe de se réaliser. Il connaît bien l'activité de FSA, puisqu'il a siégé plus de dix ans au conseil de MBIA, un concurrent aux Etats-Unis, dont le CLF détenait 5% depuis la fin des années 1980.
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Au même moment, Pierre Richard, devenu un adepte de Confucius, s'interroge: "Est-il possible ainsi d'être à la fois un bon patron et un patron bon?" demande-t-il à son invité du jour, le philosophe André Comte-Sponville. "Contentez-vous d'être un bon patron, c'est le job pour lequel vos actionnaires vous paient", lui rétorque ce dernier. Mais en raison du choix initial d'une fusion entre égaux, il n'y aura jamais de bon patron, de capitaine à la barre du navire.
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La descente aux enfers
A New York, Lehman Brothers vient de tomber. François Pérol est alerté par Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE): Dexia aussi a de sérieux problèmes de liquidités. Au téléphone, Pierre Richard rassure le secrétaire général adjoint de l'Elysée: la situation est sous contrôle. A tel point que lorsqu'il se confirme qu'il faut sauver la banque, le 28 septembre 2008, Pierre Richard est chez sa fille, à Aix-en-Provence. "J'ai quand même passé mon week-end au téléphone", s'est-il justifié. Xavier de Walque, le directeur financier de Dexia, aura plus de mal à se remettre de l'épreuve. Le 8 octobre, il s'écroule en pleine réunion au palais d'Egmont, le ministère des Affaires étrangères belge. Pris d'un malaise après deux nuits blanches, il est transporté à l'hôpital Erasme. Pourtant, le 30 septembre, les Etats belge et français sont parvenus à un accord, en injectant 6,4 milliards d'euros dans l'établissement. Mais voilà, il s'avère que la banque est incapable de se financer seule.
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"Nous n'avons commis qu'une erreur, reconnaît Jean-Luc Dehaene, ancien Premier ministre belge nommé président du conseil de Dexia, prendre le job sans faire de due diligences." Aujourd'hui, Pierre Mariani, combatif, fait volontiers circuler des chiffres pour accabler ses prédécesseurs. De 2006 à 2008, le duo Richard-Miller a fait passer le nombre de produits structurés au "catalogue" de 97 à 250, gonflé le portefeuille d'obligations de 70 milliards d'euros à 225 milliards, un montant démesuré par rapport aux fonds propres.
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Sous la surveillance étroite de la Commission européenne, le tandem Dehaene-Mariani va s'atteler à la tâche. Pour ressusciter, il faut dégonfler le bilan, diminuer les engagements à court terme. Ces derniers ont bien été réduits de 160 milliards d'euros en trois ans, mais ils sont encore de 96 milliards lorsque survient, avec l'affaire grecque, la crise financière de l'été 2011. Insoutenable. D'autant que Dexia reste l'un des établissements les plus exposés à la dette souveraine européenne. Au printemps, Pierre Mariani avait convié les journalistes européens à une croisière sur le Bosphore, pour parler de DenizBank, la filiale turque de Dexia. Un joyau qu'il jurait ne jamais avoir à vendre - ce qu'il va devoir faire aujourd'hui dans les pires conditions. En bon inspecteur des Finances, Mariani refuse d'admettre qu'il ait pu commettre une erreur de jugement. Il a juste été un peu "naïf". Retrouvez l'intégralité de cet article sur
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