Qu'en pensez vous ?
Finalement, c'est non... en tout cas pour un moment. La France a décliné le 24 novembre les avances de la Suisse, qui la courtise assidûment depuis un an pour lui faire signer un nouvel accord fiscal pourtant le nom de code Rubik. Cet astucieux accord a été imaginé par les banquiers helvètes pour sauver leur secret bancaire, celui qui, bien plus que le gruyère et les chocolats, assure la prospérité de la Suisse depuis près d'un siècle.
Depuis la crise de 2008, les paradis fiscaux, véritables trous noirs de la finance mondiale, ont été pris pour cibles par les institutions de gouvernance internationale, l'Union européenne, l'OCDE, le G20. Face à ces attaques, la forteresse du secret bancaire suisse a été déjà bien ébréchée.
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La Suisse agit comme un percepteur pour le compte du fisc des pays signataires
D'autre part, un prélèvement annuel sur les revenus de ces avoirs (intérêts, dividendes, plus-values) selon les taux convenus dans l'accord fiscal avec le pays, correspondant plus ou moins à la taxation en vigueur dans ce pays. La Suisse, qui agit comme percepteur, reverse ensuite l'impôt aux pays signataires. En contrepartie, ces derniers s'engagent à ne plus chercher à débusquer et poursuivre leurs citoyens ayant des comptes en Suisse.
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Une position évidemment honorable tant il n'est pas difficile de comprendre ce que cet accord a d'immoral ni combien le jeu des Helvètes est pervers :
1. En signant de tels accords, les Etats acceptent que leurs évadés s'en sortent à bon compte : moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes, leur malhonnêteté reste non connue et ils sont assurés que le fisc national n'ira plus leur chercher des noises à Genève.
2. Les Etats doivent faire confiance aveuglément au bon vouloir des banquiers suisses dans l'évaluation des avoirs de leurs ressortissants. Ils pourraient les sous-évaluer afin de leur reverser moins, ils n'ont pas les moyens de savoir.
3. Rubik permet à la Suisse de préserver son précieux secret bancaire et de désamorcer (voire enterrer) les efforts européens d'imposer l'échange automatique d'informations (chaque Etat informe les autres de l'identité de leurs ressortissants, de quel compte ou portefeuille ils disposent et dans quelle banque) qui le tuerait.
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Une posture morale à vocation électorale ?
Tous ces arguments moraux sont vrais mais les arguments pragmatiques ont aussi du sens. Par ailleurs, il ne s'agirait pas d'être naïf dans l'autre sens. Difficile pour le président Sarkozy, à l'avant garde de la bataille contre les paradis fiscaux, qui s'était laissé aller -un peu vite- à crier victoire dès 2008 en déclarant : "le secret bancaire, c'est fini!", de se déjuger en signant un accord Rubik. Et quand sa ministre du Budget Valérie Pécresse se fait lyrique -"nous ne vendrons pas notre âme pour un milliard" -, c'est surtout un discours de campagne présidentielle, destiné à montrer que le preux président ne mollit pas dans sa guerre contre les fraudeurs. Cette position belliqueuse tiendra-t-elle après avril 2012?
Voyons donc ce qui permet de comprendre que l'Allemagne, le modèle de référence du moment, connue pour la discipline de ses habitants et son aversion de l'incivisme, dont le gouvernement était à l'avant-garde de la lutte contre la fraude, ait pu signer un accord Rubik.
1. La Suisse ne renoncera jamais, quelles que soient les pressions, à son secret bancaire : si elle le laissait tomber, ce serait la ruine pour ses 350 banques qui attirent aujourd'hui près du tiers des avoirs étrangers des grands fortunes mondiales.
2. Le pouvoir de l'Union européenne reste limité. Non seulement la Suisse n'en est pas membre mais, même en son sein, l'UE n'arrive pas à imposer l'échange automatique d'informations comme la règle. La directive épargne a mis dix ans pour être adoptée et est remplie de lacunes. Et sa révision, entamée dès 2008, est toujours bloquée.
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L'association des banquiers suisses assure aussi que ce ne serait pas les seuls avoirs des personnes en nom propre qui seraient taxés mais que la régularisation concernerait aussi ceux qui se cachent derrière des sociétés écran du Panama ou des îles Caïman et que, désormais, les banquiers ne proposeraient plus de tels montages à leurs clients.
6. Les estimations officieuses sur combien rapporterait l'accord Rubik à la France chiffrent à 4 ou 5 milliards d'euros la somme récupérée au titre de la régularisation du passé, et à 800 millions à 1 milliard par an issus de la taxation des revenus du patrimoine des Français dans la Confédération.
Par comparaison, la "cellule de dégrisement" montée par Bercy pendant un an pour permettre aux Français cachant de l'argent dans les paradis fiscaux (pas seulement la Suisse) de se "blanchir" a fait rentrer dans les caisses... 1 milliard d'euros.
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Finalement, qu'est-ce qui est le plus efficace pour les finances publiques : la morale ou le cynisme ?
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