La croissance et l'économie

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pierre30
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La croissance et l'économie

Message non lu par pierre30 » 06 janv. 2012, 22:59:17

http://lecercle.lesechos.fr/economistes ... croissance

(par Kenneth Rogoff) - La macro-économie moderne semble souvent traiter la croissance économique rapide et stable comme la panacée en matière politique.
Ce message trouve un écho dans les discussions politiques, dans les salles du conseil des banques centrales et dans les gros titres à la une des journaux. Mais est-il vraiment rationnel de considérer indéfiniment la croissance comme l'objectif social principal, comme semblent le dire implicitement les manuels de sciences économiques ?

Certainement, de nombreuses critiques des statistiques économiques standards ont plaidé pour de plus larges mesures en faveur du bien-être national, telles que l'espérance de vie à la naissance, l'alphabétisation, etc. De telles évaluations incluent le rapport d’enquête de l’Indice de Développement Humain des Nations Unies, et plus récemment, la Commission sur la Mesure de la Performance Economique et du Progrès Social organisée par la France, sous la direction des économistes Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi.

Mais il pourrait y avoir un problème encore plus profond que l'étroitesse du champ couvert par l'analyse statistique : le manque d'une théorie moderne de la croissance pour souligner en juste proportion que les hommes sont des êtres fondamentalement sociaux. Ils évaluent leur bien-être d'après ce qu'ils voient autour d'eux et non pas simplement selon une certaine norme absolue.

L'économiste Richard Easterlin est connu pour avoir observé que les enquêtes sur « le bonheur » révèlent étonnamment peu d'évolution dans les décennies suivant la deuxième Guerre mondiale, en dépit de la tendance significative de la croissance du revenu. Inutile de dire que le résultat d'Easterlin semble moins plausible pour les pays très pauvres, où les revenus en augmentation rapide permettent souvent à des sociétés de jouir de grandes améliorations de leur niveau de vie, qui se corrèlent très vraisemblablement avec n'importe quelle mesure de bien-être global.

Cependant dans des économies avancées, l’étalonnage des comportements est sûrement un facteur important dans la façon dont les gens évaluent leur propre bien-être. Si cela est vrai, la croissance généralisée du revenu pourrait bien faire augmenter de telles évaluations à un rythme beaucoup plus lent que l'on a pu prévoir, en regardant comment une augmentation du revenu d'un individu par rapport à d'autres affecte son bien-être. Et dans le même ordre d'idées, l’étalonnage des comportements peut bien impliquer un calcul différent des compromis entre la croissance et d’autres défis économiques, comme la dégradation de l'environnement, plutôt que ce que les modèles conventionnels de croissance suggèrent.

Pour être juste, une petite mais significative littérature rapporte que les individus s'appuient fortement sur les étalons historiques ou sociaux dans leurs choix et leur pensée économiques. Malheureusement, ces modèles ont tendance à être difficiles à manipuler, à estimer, ou à interpréter. En conséquence, on a tendance à les utiliser principalement dans des contextes très spécialisés, tels que les efforts pour expliquer le soit-disant « casse-tête de la prime sur les capitaux propres » (l'observation empirique selon laquelle sur de longues périodes, les primes sur les capitaux propres obtiennent des rendements plus élevés que les obligations).

Il y a une certaine absurdité à la hantise de maximiser indéfiniment la croissance à long terme du revenu moyen, et de négliger d'autres risques et considérations. Considérez cette simple expérience de pensée. Imaginez que le revenu national par habitant (ou une certaine mesure plus large de bien-être) doive augmenter de 1% par an pour les siècles à venir. C'est en gros la tendance par habitant du taux de croissance dans le monde développé ces dernières années. Avec une croissance du revenu annuel de 1%, une génération née dans 70 ans bénéficiera en gros d'un revenu moyen proche du double de celui d'aujourd'hui. Sur deux siècles, le revenu sera multiplié par huit.

Supposez maintenant que nous vivions dans une économie à croissance beaucoup plus rapide, avec un revenu par habitant qui augmente de 2% par an. Dans ce cas, le revenu par habitant doublerait après seulement 35 ans et serait multiplié par huit en seulement un siècle.

En conclusion, au sujet de la croissance, demandez-vous si vous vous souciez vraiment que cela prenne 100, 200, ou même 1000 ans pour que le bien-être soit multiplié par huit. Ne semblerait-il pas plus raisonnable de s'inquiéter au sujet de la durabilité et de la longévité à long terme de la croissance globale ? Ne semblerait-il pas plus de raisonnable de s'inquiéter des conflits ou du réchauffement de la planète pouvant produire une catastrophe susceptible de faire dérailler la société pour des siècles ou davantage ?

Même si on pense égoïstement à ses propres descendants, vraisemblablement nous espérons qu'ils prospéreront et apporteront une contribution positive à leur future société. En supposant qu'ils sont sensiblement meilleurs que notre propre génération, quelle est l'importance de leur niveau absolu de revenu?

Peut-être un raisonnement plus profond sous-tend celui de l'impératif de croissance dans beaucoup de pays et provient des inquiétudes à propos du prestige national et de la sécurité nationale. Dans son ouvrage influent de 1989 The Rise and Fall of the Great Powers, l'historien Paul Kennedy a conclu que, sur la longue durée, la richesse d'un pays et sa puissance productrice, relativement à celle de ses contemporains, est la cause déterminante essentielle de son statut mondial.

Kennedy s'est concentré en particulier sur la puissance militaire, mais dans le monde d'aujourd'hui, les économies florissantes jouissent de leur statut selon de nombreuses dimensions, et des décisionnaires sont légitimement préoccupés partout dans le monde par le classement économique national. Une course économique à la puissance mondiale est certainement un raisonnement compréhensible pour se concentrer sur la croissance à long terme, mais si une telle concurrence est vraiment une justification cruciale pour cet objectif, alors nous devons réexaminer les modèles macro-économiques standards, qui ignorent complètement cette question.

Naturellement, en réalité, les pays considèrent à jute titre la croissance à long terme comme une partie intégrante de leur sécurité nationale et de leur statut mondial. Les pays fortement endettés, un groupe qui comprend de nos jours la plupart des économies avancées, ont besoin de la croissance pour s'en sortir. Mais comme proposition à long terme, le fait de se concentrer sur la tendance de croissance n'est pas si englobant que tant de décisionnaires et de théoriciens économiques voudraient bien nous le faire croire.

Dans une période de grande incertitude économique, il peut sembler inadéquat de remettre en cause l'impératif de croissance. Mais d'un autre côté, peut-être qu'une crise est exactement l'occasion de repenser les buts à plus long terme de la politique économique mondiale.

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