C'est quoi ce produit spéculatif qui fait rugir Mélenchon?
Ce lundi, la bourse allemande va proposer à ses investisseurs un nouveau produit dérivé sur la dette française. Pour Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly, le lancement d'un tel outil de spéculation sur les marchés est proprement scandaleux. Décryptage.
"Inacceptable", "danger menaçant"... depuis quelques jours, plusieurs politiques, parmi lesquels Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly, tirent à boulet rouge sur un nouveau produit financier lancé par la Bourse de Francfort. Le 16 avril prochain, l'Eurex, filiale de la Deutsche Börse, va en effet proposer à ses clients des contrats dérivés sur la dette française.
Ces contrats à terme, dits "futures" dans le jargon des financiers, ont au départ pour objectif de répondre au souci des investisseurs de se couvrir contre une trop forte variation des prix. Ainsi, un agriculteur qui craint une baisse des prix du blé après la moisson va vendre sa récolte au prix du marché à un instant T, mais plusieurs mois avant la délivrance réelle de l'objet. L'acheteur, qui mise de son côté sur une hausse des prix, ne le paiera que beaucoup plus tard, à la date du terme. Concrètement, ces produits financiers évoluent comme le contrat sous-jacent (dans notre cas, l'obligation d'Etat française), mais par principe seuls les frais de transaction sont versés au moment de la signature du contrat. D'où le risque spéculatif qu'ils comportent.
Très en vogue en France dans les années 90, les contrats à terme sur la dette française ont fini par disparaître, absorbés par les futures sur les obligations allemandes. A l'époque, les obligations du Trésor français évoluaient en parfaite harmonie avec le Bund, et les investisseurs pouvaient donc se couvrir contre une variation des taux français en achetant des futures sur la dette allemande. Mais avec la crise, et l'augmentation des taux français, il est devenu intéressant de relancer cet outil. D'autant plus qu'en pleine crise de la dette publique, ce type de produits n'a pas que des inconvénients : en offrant une protection contre le risque, il doit faciliter l'émission de nouvelles obligations, et donc accroître la liquidité sur la dette française.
Retour de la spéculation
Mais comme le signalent Jean-Luc Mélenchon et Eva Joly, le risque de spéculation n'est pas nul. Les paris à la baisse sur la dette française seront automatiquement rendus plus accessibles, grâce à l'effet de levier crée par le contrat. Certains s'étonnent d'ailleurs du choix du timing : l'Eurex a choisi de lancer son produit le 16 avril prochain, soit une semaine pile avant les élections présidentielles, qui s'accompagnent traditionnellement d'une forte instabilité des marchés.
L'AMF n'y est pour rien
Dans une interview aux Echos, Jean-Pierre Jouyet, le président de l'AMF a réagi aux accusations de Jean-Luc Mélenchon. S'il regrette un timing malheureux, il rappelle toutefois que les contrats à terme sur les dettes d'Etats sont des outils qui ont toujours existé, et qu'il n'était pas du ressort de l'AMF de s'y opposer.
Dans ces conditions, certains s'interrogent sur le fait qu'aucune précaution n'ait été prise, qu'il s'agisse des pouvoirs publics ou de l'Autorité marché financier, qui n'a pas interdit la vente de ce produit. "Pour que ce produit soit un instrument de couverture et non de spéculation il aurait fallu restreindre son utilisation à des investisseurs ayant effectivement de la dette française", estime ainsi l'eurodéputé vert Pascal Canfin. C'est d'ailleurs ce qui a récemment été fait avec les CDS, qui ont été interdits à l'achat pour les investisseurs qui ne détiennent pas de titre souverain.
Reste que pour les experts de marché, ces produits sont loin d'être aussi dangereux que les CDS. Ils sont infiniment plus liquides, ce qui les rend moins spéculatifs, et sont surtout beaucoup plus transparents et contrôlés. Selon les analystes, leur apparition sur les marchés financiers - comme en 2008 en Italie par exemple- ne s'est d'ailleurs jamais traduit par une plus forte volatilité des cours.
"Aujourd'hui le seul risque est que ce contrat ne séduise pas les investisseurs, et donc ne rende pas la dette française plus liquide", estime ainsi Jean-François Robin, stratégiste chez Natixis. Selon lui, certains investisseurs pourraient surtout être tentés de jouer l'écart de taux entre la France et l'Allemagne qui est actuellement important. "Mais n'est-ce pas le principe d'un marché efficient que de faire des arbitrages ?", conclut notre analyste.