Economie de la connaissance / Knowledge economy

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Nico37
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Economie de la connaissance / Knowledge economy

Message non lu par Nico37 » 25 mai 2012, 19:51:22

ÉCONOMIE DE LA CONNAISSANCE ET STRATÉGIE NÉOLIBÉRALE

INTRODUCTION

Dans les mouvements des enseignants et des chercheurs opposés aux réformes de l'éducation et de la recherche, qui se sont déroulés en France et ailleurs, ces derniers se sont entendu opposer l'argument de la compétition, de la concurrence, qui seraient devenues indispensables au développement de "l'économie de la connaissance". Qu'appelle-t-on "économie de la connaissance" ? En quoi rendrait-elle ˝ légitimes ˝ ou ˝ nécessaires ˝ de telles réformes ?

En outre, dans toutes les procédures d'évaluation (fiches de poste, indicateurs de performance, entretiens), auxquelles sont soumis les salariés en activité, y compris les fonctionnaires, de même que les chômeurs et précaires, un critère prédomine, explicitement ou non : l'injonction à innover. Car travailler, désormais, ce serait innover. Une ˝ économie de la connaissance ˝ serait-elle une ˝ économie de l'innovation ˝ ?

La stratégie de Lisbonne1 affirme vouloir ˝ faire de l'Europe l'économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive du monde à l'horizon 2010 ˝. Elle a été reformulée en mars 20102 en des termes plus modestes : ˝ développer l'économie de la connaissance et de l'innovation ˝. Cette stratégie comporte deux dimensions.

(1) Les réformes de l'éducation et de la recherche portent directement sur la connaissance. Certaines réformes, concernant l'enseignement supérieur et la recherche, précèdent la stratégie de Lisbonne3 mais en font partie : c'est le processus de Bologne (1999, professionnalisation de l'enseignement supérieur, unités de valeur comme unités capitalisables, mobilité des étudiants et des enseignants chercheurs).

(2) La transformation de " l'État providence" en "État social actif" (Workfare State), s'attaque aux conditions sociales des populations dans l'économie de la connaissance. Ces conditions concernent en particulier la ˝ lutte contre l'exclusion ˝, le chômage et les retraites.

Certes, cette stratégie, qui prolonge des ˝ réformes ˝ déjà entreprises ou les accélère, s'applique à l'Europe. Mais ailleurs dans le monde, et en particulier aux États-Unis, des stratégies équivalentes sont réalisées. Pour les pays de l'OCDE, les recommandations intitulées : L'économie fondée sur le savoir ont été formulées en 1996. Mais si nous voulons comprendre le(s) rapport(s) entre une ˝ économie de la connaissance ˝ et les réformes de l'État, entre la production d' "innovations" et le "nouveau management public", il importe de mieux cerner ce que veut dire "économie de la connaissance".

L'économie fondée sur la connaissance est-elle vraiment une ˝ économie ˝, autrement dit un système productif de richesses et de profit ? En quoi ce qui se trouve qualifié de "connaissance" serait-il une matière première économique et une ˝ machine ˝ dans la production du profit ? Dans la production économique, la connaissance est-elle un travail distinct de la production matérielle ? La ˝ connaissance ˝ n'est-elle pas plutôt ˝ incorporée ˝, matérialisée, dans les produits et les services aussi bien que dans leurs procédés de fabrication ?

Vers la fin des années 1950, aux États-Unis en particulier, on s'est posé la question de savoir quel pourrait bien être le futur du système capitaliste après la grande industrie. Par exemple, W. W. Rostow4 (1960) identifie plusieurs étapes de la ˝ croissance économique ˝ : la société traditionnelle, le démarrage (take off), la marche vers la maturité (qu'on a ensuite appelée le ˝ développement ˝) et l'ère de la consommation de masse. Il se demande ce qui pourrait bien succéder à la consommation de masse, sans pouvoir répondre à la question. On a cherché diverses voies en parlant de la société de services, de la société post-industrielle, et, autour de l'an 2000, de la ˝ nouvelle économie ˝, de la société de l'information. Mais, déjà vers la fin des années 1960, Peter F, Drucker5 répondait : la société de la connaissance.

L'expression ˝ économie de la connaissance, qui apparaît dans les textes officiels européens, signifie plutôt ˝ économie fondée sur la connaissance ˝ (Knowledge-based economy, économie fondée sur le savoir, cf. OCDE). Et, contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'économie fondée sur la connaissance ne met pas seulement en jeu l'éducation, spécialement l'enseignement supérieur, et la recherche, mais concerne la plupart des activités économiques et sociales. Dans les statistiques de l'OCDE et d'Eurostat, les industries, manufacturières et de services, sont classées en fonction de leur intensité en connaissance, critère supposé mesurable. Dans un deuxième sens, distingué par Dominique Foray, ˝ économie de la connaissance ˝ se réfère à une spécialité de la ˝ science économique ˝ qui a pour domaine d'étude la connaissance prise comme bien économique. L’ ˝économie fondée sur la connaissance” revient à orienter la connaissance vers l'innovation comme moyen de profit.

L'économie fondée sur la connaissance est conçue et présentée par les économistes et le milieux dirigeants comme une nouvelle ˝ phase ˝ du système capitaliste, et en particulier afin de ˝ légitimer ˝ le ˝ changement ˝, la ˝ réforme ˝. Mais cela n'a rien d'évident. Le rapport du Commissariat Général au Plan intitulé : La France dans l'économie du savoir6, pp. 22-23, fait état des divergences entre économistes. Selon les économistes néo-classiques, si la connaissance devient un marché, il y a continuité dans l'extension des rapports de marché et non pas rupture. Pour les économistes du développement il y a bien rupture, car, avec la connaissance, un changement de dynamique économique, une dynamique d'innovations continues, se met en place. Le rapport ne résout pas explicitement la question mais, par une sorte d'acte de foi, fait comme si il y a une rupture, et donc une nouvelle phase d'histoire économique.

Sans vouloir la trancher dans cet article, cette question présuppose les questions suivantes, questions qui sont le plus souvent masquées par la problématique de la phase historique.

L'économie fondée sur la connaissance, cela représente-t-il une évolution ˝ naturelle ˝ du système capitaliste ? Est-elle le prolongement logique et spontané des tendances socio-économiques et techniques du siècle précédent ? Après l'industrialisation de la manufacture, puis l'application des méthodes industrielles au travail agricole, n'y aurait-il pas une industrialisation du travail de la connaissance, une industrialisation s'appuyant notamment sur un système de machines en réseaux, sur les technologies de l'information et de la communication (TIC) ?

Mais en même temps ces technologies ne sont-elles pas l'instrument privilégié d'une nouvelle manière de gouverner les populations, d'une stratégie socio-politique, une stratégie visant à maintenir la position dominante des pays occidentaux et à rendre illimité le futur du système capitaliste ? Cette stratégie répond à l'évidence à des enjeux économiques : favoriser les "industries créatives", porteuses de nouveaux marchés, plutôt que les vieilles industries parvenues à maturité. Cette stratégie répond à un enjeu politique : étendre le "gouvernement d'entreprise", la "gouvernance", à l'ensemble de la société et du monde.

Cette stratégie n'a-t-elle pas en même temps une dimension culturelle plus générale, comme "politique de civilisation", visant à transformer toutes les personnes en capital humain ?

Parmi les éléments qui constituent la "société de la connaissance", plusieurs conditions ont été élaborées et pratiquées dès les années 1950 : le management par objectifs (Peter Drucker, entre autres), et la construction de la personne comme entrepreneur de soi-même dans la notion de capital humain (école de Chicago). D'autres éléments, tels que la réforme de l'État, aussi bien à travers la "gouvernance" que dans la gestion comptable (LOLF ou loi équivalente), commencent à se mettre en place dans les années 1980-1990 d'abord dans les pays anglo-saxons. Les inventions et innovations liées à l'informatique et aux télécommunications, en particulier la miniaturisation des machines informatiques, interviennent dans les années 1970. Enfin, dans les années 1960-1970, les économies des pays développés initient, vis-à-vis des pays dits en développement, ou émergents, une nouvelle division internationale du travail : non plus seulement produits manufacturés/matières premières, mais surtout : produits et services à haute intensité technologique/produits et services à technologie courante. Tous ces éléments se sont développés de façon plus ou moins indépendante et hétérogène. Mais il semble bien qu'ils aient été réunis en système plus ou moins cohérent, en stratégie socio-politique d'économie fondée sur la connaissance, à la fin des années 1990, dans le cadre de l'OCDE (1996) et de l'Union Européenne (2000).

Si la connaissance doit être prise comme facteur de production économique, elle doit (I) pouvoir être transformée et réduite en capital productif. Mais, par contrecoup, (II) la notion de connaissance en est modifiée. Tout cela (III) entraîne une construction sociale de la main d'œuvre, des territoires et des populations, une construction différente, orientée vers la production de capital humain. C'est ce que nous allons voir plus précisément.

(...)

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