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Divergence franco-allemande sur le pacte budgétaire: les 3 scénarios possibles (1/2)
Mory Doré
Avec l'arrivée d'une nouvelle équipe dirigeante en France, les divergences franco-allemandes qui pouvaient être latentes ici ou là vont ressortir au grand jour. Ainsi, nous risquons fort de faire face à une aggravation de la crise des dettes souveraines dans la Zone euro, le nouvel épisode grec de vide politique post-électoral ne faisant que dégrader un climat psychologique déjà détestable...
Je vais vous proposer d'analyser ces divergences profondes autour de trois sujets afin d'estimer leurs conséquences prévisibles sur l'évolution d'un certain nombre d'actifs financiers. Aujourd'hui et mercredi : la divergence quant au pacte budgétaire.
Deux positions opposées
La chancelière allemande fait de la rigueur budgétaire en Europe le socle de sa politique économique, rappelant que la croissance économique doit être assise sur une croissance appuyée par des réformes structurelles plutôt que sur des dettes.
Le président élu français, François Hollande, sera certes accueilli "à bras ouverts" lors de sa première visite en Allemagne, qui a eu lieu hier soir, avait dit Mme Merkel lors d'une conférence de presse. Elle a ajouté : "Nous travaillerons bien et de façon intensive ensemble". Pour l'Allemagne, cela revient à se montrer inflexible sur le pacte budgétaire européen que le nouveau président français veut amender en lui intégrant un volet croissance (entendez par là croissance keynésienne par la demande alors que la situation française de déficit de compétitivité militerait pour une croissance par l'offre et les réformes structurelles).
Et Angela Merkel d'ajouter : "Il n'est pas possible de tout renégocier après chaque élection car dans ces conditions l'Europe ne fonctionne plus".
On sait que les marchés ont besoin de croissance économique pour que les actifs dits risqués performent ; mais qu'ils ont aussi besoin d'une gestion rigoureuse des deniers publics pour que les actifs assis sur la solvabilité des émetteurs soient assurés.
Je ne m'attarderai pas sur les quelques principes de bon sens qui devraient guider une politique économique digne de ce nom :
privilégier les bonnes dépenses publiques – à savoir celles qui sont rentables et favorisent la croissance ;
favoriser les bons impôts (d'un point de vue économique s'entend) – à savoir ceux qui favorisent l'investissement en capital-risque et ceux qui n'alourdissent pas le coût du travail en détaxant par exemple les facteurs de production susceptibles d'être délocalisés.
Force est de reconnaître que, tant du côté dépenses que du côté recettes, la France prend – si ne serait-ce que le début du programme du président élu s'appliquait – le chemin exactement opposé à celui de la mise en place d'une croissance vertueuse.
Examinons donc les conséquences de ces différences "culturelles" franco-allemandes sur les marchés financiers. J'ai envisagé trois scénarios.
SCENARIO 1 : le maintien de la rigueur budgétaire et des politiques monétaires et de change au secours de la croissance
On peut imaginer un deal franco-allemand intégrant la BCE qui maintiendrait des politiques budgétaires rigoureuses. Avec cependant de légères inflexions sur le degré de rigueur imposée en adaptant celle-ci à l'état des finances publiques nationales et aux économies concernées.
Les adaptations de la politique de rigueur
Cela donnerait donc :
mise en place d'une politique budgétaire modérément restrictive pour les pays vertueux que sont l'Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande ;
mise en place d'une politique budgétaire très restrictive pour des pays tels que la France, l'Espagne et l'Italie, "condamnés" à rester dans la Zone euro ;
enfin, traitement particulier pour la Grèce qui, à court terme, sortirait de la Zone euro tout en disposant d'un nouveau statut monétaire lié à l'euro (nouveau taux de change dévalué de 30% par exemple par rapport à l'euro, avec un cours pivot et des marges de fluctuation de +/- 5% voire 10%). Ce serait l'occasion également de planifier un vrai programme d'assistance pour revitaliser (réindustrialiser ?) le pays, ce qui serait bien plus efficace que les inutiles plans de sauvetage UE-FESF-FMI de 2010-2011 ;
sur le change, ce QE à l'européenne affaiblira fortement l'euro, avec chute de l'euro/dollar dans une zone 1,10/1,15... Et si les marchés étaient tentés d'aller chercher la parité ?
Les trois baumes pour compenser cette rigueur – et leurs conséquences
Afin de compenser une politique budgétaire globalement très stricte, on peut imaginer que deux leviers seront largement utilisés :
1) une "dévaluation" implicite de l'euro contre les autres grandes devises (dollar, livre sterling et yen) afin de redonner un peu d'oxygène à l'économie par une plus forte compétitivité des exports -- encore que cet avantage ne concernera pas beaucoup les pays les moins dotés en produits industriels ou services exportables. Naturellement, le gouvernement allemand et la BCE accepteront tacitement cette dépréciation du change. Nous tablons dès lors sur des objectifs de forte baisse de la monnaie unique.
L'appréciation du yen, favorisée par le maintien d'une forte aversion au risque sur les marchés financiers, et l'appréciation du dollar, favorisée par l'absence probable de futurs assouplissements quantitatifs et par la diminution des déficits de la balance de paiements courants, viendront appuyer ces scénarios de dévaluation de l'euro.
2) Toujours dans le souci de compenser le caractère extrêmement restrictif des politiques budgétaires, la BCE garantira plus ou moins explicitement le maintien d'une politique monétaire accommodante sur plusieurs années. Pour cela, elle ramènera en deux à trois fois le niveau de son principal taux directeur dans une zone 0,25%/0,50% proche de celle des autres grandes banques centrales, contre 1,00% à ce jour.
3) Enfin, avec ce scénario, je parie par ailleurs sur une remontée des taux obligataires des emprunts d'Etat de la Zone euro et ce, malgré une politique budgétaire rigoureuse et le maintien de taux courts très bas (je finalise d'ailleurs une série d'articles sur le krach obligataire qui nous attend d'ici la fin 2013) :
vous pouvez donc vous attendre à une remontée des taux longs allemands vers les 3,00% (contre 1,60% aujourd'hui) ;
et jusqu'à 4,50% sur le 10 ans français (contre 2,80% aujourd'hui).
J'ai évalué à 60% la probabilité que ce scénario politique et économique se réalise.
Maintenant, concentrons-nous sur notre deuxième scénario possible.
SCENARIO 2 : changement de cap économique de l'Allemagne
De l'inflation, de la stimulation salariale et budgétaire ? Pas très allemand... mais pas si irrationnel que cela d'un point de vue économique.
Position vis-à-vis de l'inflation
L'Allemagne serait-elle prête à tolérer un peu plus d'inflation, comme certaines rumeurs l'évoquaient la semaine dernière ? Elle disait pouvoir accepter une inflation intérieure de 3%. Cela voudrait dire que l'Allemagne accepte que son inflation nationale soit ponctuellement supérieure à la moyenne européenne – ou plutôt, que de nombreux pays aient une inflation en dessous de cette moyenne.
Cela ne serait officiellement pas en contradiction avec le mandat de la BCE qui a un objectif d'inflation à 2% dans la Zone euro prise globalement. Cette vision des choses reviendrait à créer, dans un système de monnaie unique, une dose variable d'inflation pour des pays de la zone en déficit de compétitivité.
Le président de la Banque centrale allemande, Jens Weidmann, a démenti formellement que son institution puisse tolérer un peu plus d'inflation pour contribuer à améliorer la situation de la Zone euro. Il a affirmé : "c'est un chemin dangereux, nous ne devrions pas répéter les erreurs des années 1970. L'inflation est socialement injuste, (et) ne permet pas de sortir de la crise".
Voilà qui est dit pour ce qui est des institutions officielles.
Position vis-à-vis des salaires
Si la Bundesbank n'est pas prête à tolérer plus d'inflation en Allemagne pour créer un mécanisme d'ajustement réel du change, l'économie allemande sera-t-elle pour sa part prête à provoquer ce réajustement par des hausses de salaires généralisées ? Dans bon nombre de pays occidentaux, l'excès d'épargne des entreprises correspond à des taux d'autofinancement supérieurs à 100%. Ceci signifie que leurs profits dépassent leurs besoins d'investissement.
On sait que l'Allemagne jouit d'une situation de vrai modèle sur ce sujet. Les excédents d'épargne des entreprises (donc les profits non encore utilisés) n'ont pas la destination que l'on connaît au Japon (accumulation d'actifs financiers improductifs) ou aux Etats-Unis (distribution de dividendes élevés, rachat de leurs actions pour améliorer leurs ratios de rendement sur fonds propres). Ces excédents commencent à être réemployés en augmentation de pouvoir d'achat pour les salariés.
Alors, que penser de ces prémisses de changement économique en Allemagne ? Plusieurs éléments ont "fuité" ces derniers jours. Pour l'heure, il ne me semble pas imaginable que la Bundesbank sacrifie sa crédibilité anti-inflationniste. Si l'on peut imaginer ici ou là des accords généreux de revalorisation des salaires, il semble difficile d'anticiper, dans une économie libérale, la mise en place d'augmentations de salaires systématiques et généralisées. Surtout que l'Allemagne n'est pas non plus complètement tirée d'affaire.
Pour ces réserves, j'ai évalué à 20%la probabilité de ce scénario de politique économique et d'évolution des marchés.
Vous comprenez donc que ce n'est pas le scénario que je privilégie. Mais, en deux mots, si ce scénario se matérialisait, il aurait des effets inflationnistes forts et donc des conséquences sur les taux longs ; l'euro chuterait également contre les autres grandes devises, de manière assez similaire à ce que j'envisage dans mon scénario n°1, même si les raisons en seraient différentes.
Dès mercredi prochain, je vous parlerai du troisième et dernier scénario possible : les attaques spéculatives sur les dettes souveraines, entraînant la sortie de l'Allemagne...