Qu'en pensez vous ?Pour redresser les finances publiques sans étouffer la croissance économique, vaut-il mieux augmenter les impôts ou réduire les dépenses publiques ? Voilà la question clé qui se posait au gouvernement, décidé à respecter l'engagement de la France de réduire le déficit de 4,5 % fin 2012 à 3 % fin 2013. Pour boucler son budget 2013, il a tranché : les 30 milliards d'euros supplémentaires que l'Etat fait rentrer dans les caisses se décomposent en 20 milliards d'impôts en plus et 10 milliards de dépenses en moins.
Cet effort de 30 milliards est censé suffire pour colmater le déficit à 3 %... à condition que la croissance, l'année prochaine, soit bien au rendez-vous des 0,8 % prévus par Bercy. Le ministre de l'Economie Pierre Moscovici assure que cette prévision est "à la fois réaliste et volontariste"... mais plus volontariste que réaliste selon le consensus des économistes, qui tablent plutôt sur 0,3%. Un écart d'une importance cruciale car chaque dixième de point de croissance en moins, c'est un milliard en plus à trouver pour rester dans les clous du 3%.
Eviter le cercle vicieux grec
Il est donc impératif que le choc des 30 milliards soit absorbé en douceur. Car le cercle vicieux grec fait peur où les plans de rigueur drastiques mis pour réduire le déficit ont provoqué une récession noire, entraînant une chute des recettes fiscales qui oblige à de nouvelles cures d'austérité qui dépriment encore plus l'économie... tout en éloignant encore et toujours la perspective de comblement du déficit ! Un scénario cauchemardesque qui, assure le gouvernement, ne vaut pas pour l'Hexagone. Le ministre du Budget Jérôme Cahuzac assure que, grâce à son "budget de combat", il tiendra, pour 2013, aussi bien les 0,8% de croissance que la réduction du déficit public à 3%.
Les économistes sont sceptiques. Aujourd'hui, presque tous, libéraux comme keynésiens, estiment que l'effort pour atteindre les 3% est intenable et qu'il faudrait négocier un report avec les partenaires européens. L'austérité budgétaire nécessaire serait trop forte pour ne pas être gravement nocive à la croissance... d'où le risque d'une spirale infernale.
Plus de 100 plans massifs de réduction des déficits publics passés au crible
Mais vue la volonté inébranlable du président François Hollande de s'accrocher à l'objectif des 3%, la question des effets "récessifs" comparés des hausses d'impôts ou des baisses de dépenses devient centrale. Pour l'économiste Patrick Artus, chez Natixis, la réponse est évidente: l'effort budgétaire doit se concentrer sur les dépenses plutôt que sur les recettes. Et de pester contre "ces politiques ignorant obstinément et dangereusement la littérature économique, pourtant limpide sur le sujet". Il s'appuie là sur de nombreux travaux d'économistes qui, depuis dix ans, concluent toujours dans le même sens.
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Les exemples suédois et canadiens sont biaisés
L'explication tiendrait notamment à un effet de "neutralité ricardienne". L'économiste classique David Ricardo a en effet théorisé que l'impact négatif d'une baisse de la dépense publique est compensé par une hausse de la dépense privée due à un regain de confiance des ménages et des entreprises, qui consomment et investissent plus en anticipation d'un recul de la pression fiscale.
Le mérite de ces études vient notamment de leur travail de compilation de très nombreux plans de rigueur mis en oeuvre dans des pays au modèle économique très divers, à différentes périodes, plus ou moins fastes. Elles sont donc probantes au-delà des cas de la Suède et du Canada, souvent cités car ils ont réussi, dans les années 90, à redresser leurs comptes sans obérer la croissance grâce à des plans massifs de restriction des dépenses, mais dont la valeur d'exemple est biaisée parce qu'ils ont tous deux, dans le même temps, opéré une forte dévaluation de leur monnaie, très bénéfique pour leur économie ; une option interdite à la France, membre de la zone euro.
Pour Patrick Artus, le constat ne souffre désormais donc aucune controverse: "quelles que soient la nature des mesures prises dans le choix des dépenses à réduire ou des impôts à augmenter, il vaut toujours mieux faire l'un que l'autre". Mais ces études de cas étayées, de portée générale, valent-elles pour le cas particulier de la France en 2013 ? Le gouvernement parie que non. Jérôme Cahuzac en est persuadé : "à court terme, monter les impôts est moins récessif que contracter les dépenses" (Cliquez ici pour lire ou relire l'interview accordé à Challenges).
Le ministre du Budget l'explique avec deux arguments. D'abord, en France, plus des deux-tiers de la croissance s'appuie sur la consommation des ménages. Du coup, toute restriction trop forte de la dépense publique, qui supposerait notamment ou une nette baisse du nombre de fonctionnaires, ou du pouvoir d'achat de ces fonctionnaires, ou de la masse des transferts sociaux, aurait un impact récessif majeur.
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Taxer davantage les entreprises en épargnant les PME
Même méthode pour les entreprises: Bercy pointe qu'il existe un fort décalage entre les ténors du CAC 40, globalement rentables et compétitifs et les PME, étranglées à cause de leurs maigres marges. Ainsi, en circonscrivant les hausses d'impôts aux grands groupes, le gouvernement estime qu'il ne fera que les pousser à distribuer moins de dividendes, alors que les avantages fiscaux des PME, celles qui investissent dans l'Hexagone, seraient préservés.
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L'étude du FMI qui donne raison à Cahuzac
Le raisonnement de Cahuzac est appuyé par une étude du Fonds monétaire international d'août 2012, de Nicoletta Batini, Giovanni Callegari et Giovanni Melina (Cliquez ici pour la lire) analysant les plans de rigueur budgétaire menés aux Etats-Unis, au Japon et dans la zone euro à partir de 2009. L'intérêt de l'étude est à la fois historique -elle observe des plans menés dans un contexte mondial de conjoncture dégradée, comme aujourd'hui- et géographique -elle s'intéresse aux cas des pays de la zone euro, qui ne peuvent pas dévaluer leur monnaie. Et là ses conclusions sont tout à fait contraires à celles des économistes de Harvard.
Elle valide la théorie keynesienne selon laquelle la dépense publique serait la plus efficace, quand ça va mal, pour ramener un peu de croissance, au moins à court terme. "En période de crise, les effets multiplicateurs récessifs de l'austérité basée sur les impôts sont nettement plus faibles que ceux basés sur les dépenses" constate-t-elle.
En France, les hausses d'impôts nourrissent la croissance
Selon cette étude, la probabilité de tomber en récession dans les trois mois suivant l'application du plan de rigueur est 15% plus élevée, dans la zone euro, s'il est basé sur des restrictions de dépenses que sur des augmentations d'impôt. S'intéressant particulièrement à la France, les économistes du FMI pointent même que, contrairement aux autres pays, "les hausses d'impôts ont dans la durée, nourri, à la marge, la croissance", grâce à leur redistribution sous forme de dépenses de l'Etat !
L'explication tiendrait principalement à ce que la "neutralité ricardienne" ne fonctionnerait pas dans l'Hexagone : en cas (rare et limité) de recul des dépenses de l'Etat, les ménages et les entreprises se gardent bien d'ouvrir leur portefeuille en misant sur une baisse à venir des impôts ! A raison : Batini note que l'Hexagone est le seul pays parmi les étudiés où les -quelques- baisses de dépenses n'ont pas occasionné de baisses d'impôt.
Doit-on en conclure que le modèle économique français est malsain?
Que retenir de ces deux thèses opposées ? D'abord que les résultats de ces études sont très dépendantes des périodes et pays considérés, et plus encore des méthodes statistiques utilisées qui, en l'espèce, diffèrent. Ensuite qu'il existe, peut être, une sorte d'exception française pour l'austérité budgétaire. La reconnaître serait admettre que, pragmatiquement, la politique du gouvernement n'est pas si absurde. Mais aussi que, conceptuellement, le modèle économique de la France est assez malsain.
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