Les Allemands abattent leurs cartes.
Deux jours avant le sommet de Bruxelles, Berlin veut profiter de la crise de l'euro pour relancer l'intégration européenne et renforcer le contrôle des budgets des Etats. « Nous devons faire un grand pas en avant en matière d'union budgétaire », a déclaré cette nuit Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances allemand, à des journalistes dans un avion entre Bangkok et Berlin. L'Allemagne veut proposer trois mesures phares : renforcer de façon massive les pouvoirs du commissaire européen aux affaires économiques et monétaires pour le rendre « aussi puissant que le commissaire à la Concurrence » ; lui donner la capacité de rejeter un budget national « aussi bien lors de sa présentation qu'après son vote par le parlement du pays » ; impliquer davantage les députés européens en leur donnant un « droit de vote flexible ». Selon la proposition allemande, seuls les députés de la zone euro pourraient voter sur les questions concernant la monnaie unique, les autres devraient s'abstenir. « Tout cela va nécessiter quelques changements des traités européens et donc la tenue d'une convention », a précisé Wolfgang Schäuble.
L'Allemagne a déjà fait des propositions similaires à ses partenaires européens, jusqu'ici sans succès. Cette fois-ci, Berlin espère que le débat sur le sauvetage de la Grèce, qui doit recevoir une troisième tranche d'aide d'ici novembre, permettra de s'attaquer au problème de fond de l'Europe. « Plus la crise est profonde, plus les chances de changement sont élevées », a martelé le ministre lors de sa tournée pour promouvoir l'euro à Tokyo, Singapour et Bangkok. Sa proposition est une contribution au rapport sur l'avenir de l'Union européenne (UE) que doivent présenter en décembre les quatre présidents de l'Europe -Herman van Rompuy, président du conseil de l'UE, José Manuel Barroso (Commission), Mario Draghi (Banque centrale européenne, BCE) et Jean-Claude Juncker (Eurogroupe). « J'ai présenté cela à l'eurogroupe la semaine dernière, a précisé Wolfgang Schäuble. Mes collègues ne m'ont pas pris pour un fou. » Angela Merkel, qui doit faire jeudi une déclaration de politique européenne au Bundestag, le Parlement allemand, devrait prendre le relais lors du Conseil des chefs d'Etats et de gouvernements européens qui se tient jeudi et vendredi à Bruxelles. « La chancelière est plus prudente que moi », a toutefois précisé son ministre.
Difficile feu vert français
La proposition de l'Allemagne devrait donner lieu à d'intenses négociations. En l'état, la France pourrait difficilement donner son feu vert, surtout après le débat difficile qu'il vient de mener avec sa majorité pour ratifier le pacte budgétaire. La création d'un commissaire européen au budget aussi puissant signifie un abandon de souveraineté que bien des Etats ne sont pas prêts à accepter, y compris en Allemagne où le Bundestag est jaloux de ses prérogatives. Mais le président de la République, François Hollande, qui veut lui aussi relancer le projet européen, pourrait aussi profiter de l'initiative allemande pour faire valoir sa propre vision de l'Union, davantage axée sur la croissance et pas seulement sur l'austérité. Sa priorité : éteindre le feu en Grèce, en Espagne, en Italie ou au Portugal pour éviter une contagion vers la France. Il privilégie un instrument, jusqu'ici rejeté par Berlin, les eurobonds.
L'Allemagne estime que le nouveau pacte budgétaire, qui vient d'être adopté après des mois de négociations, et les autres efforts entrepris par l'Europe depuis le début de la crise vont dans le bon sens, mais ne suffisent pas. Le commissaire en charge des Affaires économiques et monétaires a déjà un poids accru. S'il estime que le projet de loi de Finances d'un Etat viole les critères de stabilité, typiquement avec des déficits trop élevés, il peut proposer aux 26 autres commissaires de le retoquer. Pour Wolfgang Schäuble, le commissaire doit être indépendant. « Il doit décider seul ». Surtout, « il doit être aussi respecté que le commissaire européen à la concurrence, qui est craint dans le monde entier », insiste-t-il. S'il les soupçonne d'abus de position dominante ou de cartel, celui-ci peut en effet lancer seul -sans le feu vert des autres commissaires -des enquêtes contre des géants comme Siemens, Alstom ou General Electric, avec des conséquences parfois désastreuses pour les industriels.
Impliquer d'avantage le Parlement Européen
La proposition de Wolfgang Schäuble la plus audacieuse pourrait cependant porter sur le Parlement européen. « Nous devons plus l'impliquer », affirme-t-il. Dans la réalité, ce souhait se heurte à une difficulté pratique : seuls 17 pays sur les 27 de l'UE ont adopté l'euro. Or s'il existe un eurogroupe, composé des ministres des Finances des pays de la monnaie unique, il n'existe pas de Parlement pour la zone euro. « Les députés européens doivent avoir des droits de vote flexibles, estime Wolfgang Schäuble. Ils ne doivent pouvoir voter que pour les décisions qui concernent leur pays, par exemple pour la zone euro ou pour les pays de Schengen ». L'Allemagne a déjà fait une telle expérience. Avant la chute du Mur, les députés de Berlin ne pouvaient pas participer à certains votes du Bundestag qui concernaient exclusivement les Länder de l'Ouest. Dans l'état actuel, les propositions du ministre allemand n'incluent pas la possibilité de saisir la Cour européenne de justice si un Etat enfreint les règles de stabilité -une proposition chère à Angela Merkel.
Schäuble réservé sur l'Union bancaire
Wolfgang Schäuble, qui à 70 ans est perçu comme le doyen de l'Europe et le plus européen des Allemands, n'est pas aussi enthousiaste sur la création d'une union bancaire avec une supervision sous l'égide de la BCE. « Je pense que nous établirons un cadre général dans les prochains mois. J'espère avant la fin de l'année mais je ne suis pas sûr, a-t-il prévenu lors d'une rencontre avec des investisseurs à Singapour. Cela nécessite le feu vert unanime des 27 pays de l'UE, et je vous assure que c'est difficile, ainsi que du Parlement européen. » Wolfgang Schäuble estime que ses partenaires, dont la France et l'Espagne, ont été un peu vite en besogne en annonçant fin juin un accord final d'ici la fin de l'année. Outre les réserves de l'Allemagne, qui veut prendre son temps pour établir un gendarme bancaire efficace, il constate une grande résistance de la Grande-Bretagne, prompte à protéger les intérêts de la City. François Hollande entend bien faire avancer le sujet le plus vite possible. Les négociations sur l'avenir de l'euro ne font que commencer...