Qu’est-ce que le keynésianisme?

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pierre30
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par pierre30 » 18 févr. 2013, 11:46:54

La banque centrale est une filiale de l'état (ou de plusieurs états). Donc c'est l'état, via sa filiale la banque centrale, qui imprime les billets. Quand la banque centrale achète des dettes de l'état, il y a plus de monnaie qui circule dans l'économie. En apparence, l'état a autant de dette. Mais en consolidé, l'état a moins de dettes puisque c'est sa filiale la banque centrale qui les détient. Elle en perçoit les intérêts, qu'elle rend à l'état sous forme de dividende.

La séparation entre état et banque centrale est une fiction, mais elle permet de faire une distinction claire (et utile à mon sens) entre politique monétaire et politiques non-monétaires.
Il y a quand même une nuance de poids : lorsque la banque centrale détient des dettes de l'état, l'état est obligé de rembourser ces dettes à échéance. C'est à dire que les sommes injectées sont détruites à terme, ce qui ne serait pas le cas si la banque centrale annulait ces créances. Cela change la position financière de l'état et de l'économie du pays.

Pour ce qui est des intérêts, la banque centrale peut les rendre à l'état sous forme de dividende ou s'en servir pour prêter aux banques ou régler ses frais de fonctionnement.

pierre30
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par pierre30 » 18 févr. 2013, 13:24:33

Certains économistes suggèrent que la FED et la Banque d'Angletterre devraient formellement annuler les obligations qu'elles ont achetées lors de leurs opérations de QE. Vu ce que j'ai dit plus haut, ce n'est en soi pas très significatif. Économiquement, ces dettes sont déjà annulées.

L'annulation formelle des dettes par la banque centrale signale une volonté politique forte de créer de l'inflation, mais de ne pas vouloir et pouvoir revenir en arrière. En effet, tant que la banque centrale détient un gros portefeuille de dettes publiques, les gens pourraient craindre qu'elle va les revendre (= contraction monétaire) au premier signe d'inflation. Dans ce sens, on travaille sur les attentes d'inflation, qui peuvent devenir des prophéties auto-réalisatrices. C.-à-d. qu'on obtient de l'inflation parce que les gens s'attendent à de l'inflation.

C'est une approche que j'envisagerais pour le Japon, où, après 15 ans de déflation, les gens ne croient plus à la capacité de la banque centrale de créer de l'inflation.
C'est une possibilité pour créer de l'inflation. C'est aussi un épouvantail pour les détenteurs de dette étatique ou privée. Il peut y avoir une hausse des taux notamment pour le privé. L'état peut alors se retrouver condamné à emprunter à la banque centrale et à approvisionner la tendance inflationniste ainsi créée.

Incognito
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par Incognito » 18 févr. 2013, 15:49:58

pierre30 a écrit : C'est une possibilité pour créer de l'inflation. C'est aussi un épouvantail pour les détenteurs de dette étatique ou privée. Il peut y avoir une hausse des taux notamment pour le privé.
Si cette hausse des taux est la conséquence d'un assouplissement monétaire, cela ne peut qu'être positif pour un pays qui souffre d'une politique monétaire trop restrictive. Parce que les taux d'intérêt ne pourraient monter que suite à des attentes d'inflation nettement plus élevée. Inflation qui ne peut se produire que suite à une croissance économique plus forte. Ce qui est exactement le but de l'assouplissement monétaire.
pierre30 a écrit :L'état peut alors se retrouver condamné à emprunter à la banque centrale et à approvisionner la tendance inflationniste ainsi créée.
C'est la politique monétaire trop restrictive qui force l'état à compenser par des déficits budgétaires élevés. Le Japon ne pourra réduire ses déficits budgétaires que quand la politique monétaire aura été sufisamment assouplie. Une fois la politique monétaire suffisamment assouplie, le Japon pourra baisser son déficit budgétaire sans impact néfaste pour la croissance économique.
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albert
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par albert » 18 févr. 2013, 16:18:00

Incognito a écrit :La banque centrale est une filiale de l'état (ou de plusieurs états). Donc c'est l'état, via sa filiale la banque centrale, qui imprime les billets. Quand la banque centrale achète des dettes de l'état, il y a plus de monnaie qui circule dans l'économie. En apparence, l'état a autant de dette. Mais en consolidé, l'état a moins de dettes puisque c'est sa filiale la banque centrale qui les détient. Elle en perçoit les intérêts, qu'elle rend à l'état sous forme de dividende.
Oui mais vous savez bien que tout ceci est théorique. En réalité, la BCE est une curieuse filiale puisqu’elle n’obéit pas à ses actionnaires et qu’elle est indépendante. Et par ailleurs, vous savez aussi qu’on ne raisonne jamais en terme d’endettement net (dettes moins actifs). Par ailleurs, les dividendes de la BCE (qui ne sont pas versés aux états mais aux banques centrales nationales) ne pèsent pas très lourd alors que les intérêts de la dette est l’un des plus gros poste du budget de l’état. Pour payer ces intérêts, l’état mène aujourd’hui une politique d’austérité, ce qui ne serait pas le cas si cette dette avec ses intérêts étaient purement et simplement annulés.
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pierre30
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par pierre30 » 18 févr. 2013, 18:27:44

Incognito a écrit :
pierre30 a écrit : C'est une possibilité pour créer de l'inflation. C'est aussi un épouvantail pour les détenteurs de dette étatique ou privée. Il peut y avoir une hausse des taux notamment pour le privé.
Si cette hausse des taux est la conséquence d'un assouplissement monétaire, cela ne peut qu'être positif pour un pays qui souffre d'une politique monétaire trop restrictive. Parce que les taux d'intérêt ne pourraient monter que suite à des attentes d'inflation nettement plus élevée. Inflation qui ne peut se produire que suite à une croissance économique plus forte. Ce qui est exactement le but de l'assouplissement monétaire.
Les taux d'intérêt peuvent aussi monter si les prêteurs anticipent une baisse de la monnaie sans que la reprise économique aille de pair.
L'Espagne, l'Italie, la Grêce ont des populations étranglées dont le pouvoir d'achat souffrirait beaucoup d'une forte baisse de l'Euro. D'ailleurs, leurs exportations reprennent actuellement mais ils restent en récession. Dans ces pays, rien ne garantit que le développement des exportations hors zone euro compensera la baisse de la consommation. Car n'oublions pas qu'une grande partie de leurs exportations se font dans la zone euro. La croissance espérée des exportations est donc limitée.

On pourrait aboutir à la stag-flation.
pierre30 a écrit :L'état peut alors se retrouver condamné à emprunter à la banque centrale et à approvisionner la tendance inflationniste ainsi créée.
C'est la politique monétaire trop restrictive qui force l'état à compenser par des déficits budgétaires élevés. Le Japon ne pourra réduire ses déficits budgétaires que quand la politique monétaire aura été sufisamment assouplie. Une fois la politique monétaire suffisamment assouplie, le Japon pourra baisser son déficit budgétaire sans impact néfaste pour la croissance économique.
Le Japon est fortement exportateur depuis les années 80. Il subit actuellement le contre-coup de Fukushima. De plus ses voisins ont une économie en forte croissance. On peut imaginer qu'une relance l'aiderait à passer ce cap. Surtout si il parvient à calmer ses problèmes relationnels avec la Chine.

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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par Incognito » 12 mars 2013, 13:48:53

Greg Ipp, le principal commentateur de macro-économie pour The Economist, résume les opinions en matière budgétaire sur lesquelles la plupart des économistes devraient être d'accord.
http://www.economist.com/blogs/freeexch ... cal-policy
BECAUSE it is always a good time to relitigate America's fiscal stimulus, the blogosphere has spent the past week or so relitigating America's fiscal stimulus. Rather than plunge headlong into the fray, I'll attempt to distill some fiscal policy truths that should be reasonably acceptable to most participants.

1) The American economy (and, to varying extents, much of the rich world) is suffering from weak demand. It is not necessarily suffering exclusively from weak demand. But whether or not efforts are made to address structural issues that may constrain growth in potential GDP, there is room to improve economic performance by raising demand. The evidence for a demand shortfall is compelling, in my view: inflation expectations are quite low at all horizons, wage growth is low relative to recent (over the past generation) trends, unemployment is high relative to recent trends, and government bond yields (real and nominal) are extraordinarily low, again at all horizons. The lack of upward wage and price pressure simply isn't consistent with an economy operating close to potential.

2) Monetary policy should be the counter-cyclical stabilising force of first resort, whichever cyclical variable one chooses to stabilise.

3) Monetary policy becomes less responsive to demand shortfalls when interest rates fall to zero. One can remain agnostic about whether this must be the case or is simply a result of central-bank preferences. But both empirical evidence and statements from central-bank officials indicate that stabilisation is incomplete at the zero lower bound.

4) We should be aware of the possibility of an asymmetry in the mutedness of central bank responses at the zero lower bound. A central bank may underrespond to fiscal expansion in exactly the same way as it underresponds to fiscal contraction, but it may not; the ZLB is a lower bound, not an upper bound.

5) Nevertheless, evidence suggests that fiscal multipliers are higher than normal, and above one, at the ZLB—in both directions. Multipliers on expansionary policy could be higher than normal because the Fed is unable to do more to stabilise the economy or because it is doing less than it would prefer to stabilise the economy because of fears other than high inflation.

6) Consequently, there is a case for automatic fiscal stabilisers. This case strengthens for economies in which the central bank targets inflation, strengthens further when the inflation target is a rate rather than a trend level, and strengthens still further the lower the targeted rate.

7) Some policies, like infrastructure investment and taxation of energy externalities, should be countercyclical whether or not they are needed for stabilisation. Infrastructure investment is cheaper and less likely to crowd out private spending and investment during periods of economic slack, for instance. Ideally, such programmes should be designed to automatically vary with the business cycle.

8) Most modern economies come equipped with other automatic stabilisers as well, like unemployment benefits and progressive tax systems. It seems wise to expand these programmes and to focus them, as much as possible, on direct cash payments (or direct payroll tax reductions).

9) Fiscal stabilisers should be automatic to the greatest extent possible and truly countercyclical, applying in expansions as well as contractions.

10) At cyclical durations (up to 12 years), cyclical components of budget deficits tend to dominate structural components of budget deficits.

11) At the ZLB, short-run deficit reduction strategies aimed at structural deficits (which reduce spending and/or raise revenue holding the output gap constant) will be less effective than in non-ZLB cases and could actually be counterproductive, at cyclical durations. And correspondingly, short-run fiscal expansion should contribute less to the debt than in normal cases and could actually lead to a lower debt-to-GDP ratio than in the but-for case, at cyclical durations.

12) We can condense (11) into the principle that to limit cyclical contributions to debt-to-GDP ratios, at the ZLB, deficit-reduction should be focused on long horizons while discretionary fiscal expansion should be temporary.

13) Alternatively, there is little reason not to address long-run budget concerns at any time, and little reason to address short-run budget concerns when interest rates are low.

14) It is possible to draw up models in which supply-side reforms contribute to deflation and worsen a ZLB crisis. In practice, accelerating price declines are almost never observed and central banks are usually effective in halting disinflation outside of the very short run. Given that, and given the fickle nature of governance, as a rule economies should never miss an opportunity to improve supply-side policy.

15) We can broaden (14) into the principle that economic crises may occasionally create political circumstances that permit policy choices that might not normally be available—like catch-up infrastructure investment, "belt-tightening", or tax reform—and it may sometimes be worth pursuing goals with large estimated long-run benefits even if there are short-run costs that could be avoided by waiting until the future to enact the policy.

16) But we should also be aware of the possibility of multiple equilibria. We should judge policies based on part on the possibility that they generate hysteresis effects and expectations traps that could prevent the economy from returning to its long-run trend.

17) It is very difficult to say with any certainty whether a particular level of debt-to-GDP is bad or should be lower. Whether or not debt levels above certain thresholds constrain growth, there is a risk that high levels of debt may limit the responsiveness of both fiscal and monetary policy to future crises. In general, widespread hand-wringing about the level of debt is a decent indicator that debt is approaching levels at which the ability to respond to future crises faces political constraints. Subject to all the factors discussed above, then, stabilising and reducing the debt-to-GDP level is a legitimate policy goal at such times.

Now I have little doubt that the internet will quickly disabuse me of the notion that these are things to which most economists can agree. But it sure seems to me that these are things to which most economists should be able to agree.
Mais il est bien connu que The Economist est un journal gauchiste.
Dieu est mort. Marx est mort. Et moi-même je ne me sens pas très bien ... (Woody Allen)

pierre30
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par pierre30 » 20 mars 2013, 17:57:40

http://lecercle.lesechos.fr/economie-so ... velle-solu

LE CERCLE. Une banque centrale qui distribue de l’argent "gratuitement" aux citoyens d’un État dans le but de relancer la demande, c’est possible ? Et bien en théorie oui, et c’est cela qui est évoqué par certains économistes à travers l’expression "helicopter money"

D’autres emploient cette expression pour désigner une autre forme de politique : une opération où un État mènerait une politique budgétaire expansionniste financée entièrement par sa banque centrale via une monétisation de la dette correspondante.

Dans les deux cas, le constat est le même : ce type de politique apparaît au premier abord comme relativement atypique. Les débats qu’elle soulève (création de monnaie sans achats d’actifs en contrepartie, capitaux négatifs des banques centrales, indépendance conditionnelle des banques centrales) apparaissent presque comme saugrenus au premier abord. Pourtant de nouvelles contributions apparaissent à propos de ce concept ces temps-ci : il n’y a qu’à regarder les articles récents sur le blog du Financial Times pour se rendre compte que l’helicopter money est un concept qui, en cet hiver 2013, revient à la mode. Ce premier article a pour objet de clarifier ce concept et de discuter des débats l’entourant.

Le concept

Le terme peut apparaître à première vue comme confus étant donné les multiples utilisations du terme "helicopter" dans les débats monétaires.

On a par exemple souvent parlé d’"helicopter drop" pour désigner les actions des banques centrales majeures lors de la crise actuelle, à savoir qu’elles ont "lâché" de la monnaie sur l’économie. On utilise souvent cette métaphore à propos du quantative easing "pur" [1], dans la mesure où le but est dans ce cas d’augmenter la base monétaire peu importe le moyen : c’est comme si la banque centrale "bombardait" l’économie de monnaie depuis son hélicoptère.

Patrick Artus parle lui d’"helicopter money" comme "une création de monnaie sans achats d’actifs en contrepartie" (Artus, 2012) (définition 1). Un auteur comme Waldman (2013) emploi cette même définition. Cela peut avoir plusieurs illustrations concrètes comme nous le verrons par la suite, une d’entre elles étant citée plus haut : chaque citoyen d’un État recevrait des billets de la banque centrale, sans ne rien devoir directement en retour. On voit ici la nuance avec le quantative easing : il s’agit là d’une "distribution" de monnaie et non d’une injection de monnaie avec achat d’actif en contrepartie comme cela est le cas à travers le quantitative easing. D’un point de vue bilanciel, cela se traduira par une augmentation du passif de la banque centrale sans augmentation conséquente de son actif. Cela pose alors le débat de la comptabilité des banques centrales (capitaux négatifs notamment), comme expliqué par la suite.

Une autre définition proposée pour l’helicopter money est celle soumise par exemple par Buiter et employée dans beaucoup de papiers de recherche. Celle-ci suppose que l’État va distribuer de l’argent aux citoyens (ou diminuer les impôts, ce qui est conceptuellement la même chose) dans le cadre d’une politique coordonnée avec la banque centrale "The treasury will implement a tax cut or increase in transfer payments and will finance this by selling debt to the Central Bank. The acquisition of Treasury debt by the central bank is financed through the issuance of base money" (définition 2). Ce concept est synonyme de "Overt Monetary Financing" (OMF), que l’on pourrait traduire par "financement monétaire manifeste" en français. Le débat que cette solution soulève est celui de l’indépendance des banques centrales, une monétisation de la dette d’un état par une banque centrale étant généralement perçue comme la preuve tangible d’un manque d’indépendance de l’institution monétaire.

Deux définitions pour une même expression : qui a alors raison, qui a tort ?

Si cette différence de définitions peut être source de confusion, en remontant à l’origine du concept on se rend en fait compte que ces deux spécifications sont acceptables malgré le fait qu’elles ne correspondent pas exactement à la même opération.

La métaphore de l’hélicoptère nous vient de Milton Friedman, dans son livre "The optimum quantity of money". Il l’emploie notamment au début du chapitre 1 lorsqu’il tente d’expliquer par un exemple simple pourquoi la monnaie est neutre sur le long terme. Il utilise alors l’image d’un hélicoptère qui passerait au-dessus d’un pays pour distribuer de la monnaie aux agents, qui subitement verraient leurs avoirs monétaires doublés. La métaphore employée par Friedman décrit donc un fait où les agents économiques d’un pays se retrouveraient avec de l’argent nouvellement créé sans qu’aucune autre variable n’ait fondamentalement changé. Que cet argent passe par l’état avec la coopération de la banque centrale pour une monétisation de la dette ou que cet argent vienne directement de la banque centrale, là n’est pas la question. Dans cette optique, on voit bien que les deux définitions proposées précédemment sont cohérentes en s’inscrivant dans la métaphore originelle de Friedman.

En fait, certains auteurs utilisent la deuxième définition en précisant que la première définit une opération irréalisable en pratique. C’est le cas de Buiter par exemple qui explique que la banque centrale ne peut créer de la monnaie et la distribuer puisqu’elle n’est pas, de par sa nature, censée rentrer dans un rôle d’agent fiscal, qui reste à la charge de l’État. Grenville (2013) soutient lui que "central banks have no mandate to give money away", autrement dit que la création de monnaie sans achats d’actifs en contrepartie n’est pas possible pour une banque centrale (juridiquement ou "éthiquement", l’auteur ne précise pas sa pensée). Or c’est justement un argument que ne semble pas accepter Patrick Artus, pour qui "les raisons théoriques pour lesquelles les banques créent de la monnaie seulement contre achats d’actifs ne sont donc pas claires". Argument que semble reprendre Steeve Waldman qui soutient que les banques centrales pourraient très bien adapter leur système comptable et créer par exemple un actif nommé "goodwill" (bonne volonté, désir de réussite selon les traductions…) purement fictif, mais créé en contrepartie de cette nouvelle monnaie. Le débat sémantique s’établit donc sur des différences de conceptions profondes.

L’helicopter money en pratique

L’implémentation de l’helicopter money peut se faire de diverses manières :

– Annuler une partie de la dette publique détenue par la banque centrale, ce qui revient à faire un chèque au Trésor public qui l’utilise pour rembourser la dette due à la banque centrale (rentre donc dans le cadre de la définition 1). Serait-ce une politique efficace ? Si le but de cette politique est juste de diminuer la dette de l’état (ce qui serait une illusion de court terme[2]), les conséquences directes sur la demande agrégée me paraissent plus qu’incertaines (quels seraient les canaux de transmission ? La confiance ? dur à imaginer étant donnée l’encre que ferait couler une telle opération dans les médias). Cette mesure pourrait surtout entamer à la fois la crédibilité du gouvernement (signal d’indiscipline) et celle de la banque centrale. Elle apparaît donc, au vu de ces arguments, comme la moins attractive des mesures.

– Monétiser la dette du Trésor public correspondant au financement de nouveaux projets (d’infrastructure par exemple). C’est sans doute l’application la plus probable si une politique d’helicopter money venait à voir le jour, dans la mesure où cela semble l’application "la plus vraisemblable parmi les invraisemblables". Une coopération monétaire et fiscale, prêchée par McCulley et Zoltan (2013) notamment et Martin Wolf (2013), ainsi qu’une évolution dans la pensée monétaire actuelle, seraient nécessaires pour ce faire.

– Distribuer de la monnaie à tous les ménages, ou uniquement aux ménages les plus pauvres (plus à même de consommer ce surplus), sous forme de chèques avec durée de vie limitée par exemple comme le propose Samuel Brittan, afin d’être plus sûr que l’argent créé sera dépensé. Les conséquences sur l’économie seraient, dans le cas d’une augmentation globale des dépenses, garanties sur le moyen terme. Cependant la faisabilité de cette solution et ses modalités d’implémentation restent à compléter (peu d’articles sur ce sujet précis à ma connaissance).

– Mettre en place une réduction d’impôts pour les ménages, financée indirectement par la banque centrale. L’économie générée pour chacun serait-elle dépensée (puisque c’est le but) ? Rien n’est moins sûr, et on peut certainement, de ce fait, écarter cette solution.

Conclusion

Une fois la définition de l’helicopter money posée comme nous venons de le faire ici, de nombreux débats s’ouvrent : une banque centrale peut-elle créer de la monnaie sans achats d’actifs en contrepartie ? Une banque centrale peut-elle avoir des capitaux négatifs ? Une monétisation partielle de la dette dans le cadre d’une politique de coopération entre une banque centrale et son État peut-elle s’avérer problématique ? Ces débats théoriques n’ont pas encore été suffisamment discutés, cela apparaît clairement dans les différences de point de vue dans les discussions associées à l’helicopter money (voir les références du Financial Times ou McCuley 2013 par exemple).

Une fois la clarification faite sur ces débats, la question de l’efficacité et de la mise en place de cette solution dans le contexte actuel pourrait être abordée beaucoup plus sereinement.

Une politique d’helicopter money pourrait-elle s’avérer comme la solution idéale dans le contexte économique actuel, où les politiques usuelles de quantative easing peinent à triompher notamment du fait d’un deleveraging généralisé du secteur privé ? De plus en plus de voix s’élèvent en tout cas dans ce sens.

Notes

[1] Le terme quantative easing peut prêter à plusieurs interprétations. Par quantative easing "pur", j’entends ici la création de monnaie "pour elle-même" où la banque centrale n’agit pas dans le but de baisser les taux d’intérêts sur un certain type d’actif, mais bel et bien pour augmenter la base monétaire. L’équivalent anglais serait "bank reserve policy". Dans cette optique, le "QE 1" de la FeD après la crise de 2007 n’est pas vraiment un QE, mais est plus proche d’une opération de "credit easing". Voir Borio et Disyatat (2009) pour le débat sémantique.

[2] L’helicopter money, dans ce cadre, entraînerait une baisse du capital de la banque centrale. Celle-ci devrait donc en théorie reconstituer son niveau de capital initial, ce qui passerait par la non redistribution de ses profits annuels au Trésor public. Chaque année l’État devrait donc emprunter l’argent qui lui étant auparavant procuré par les profits de la banque centrale. La dette implicite de l’État resterait donc inchangée à travers cette politique !

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albert
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Re: Qu’est-ce que le keynésianisme?

Message non lu par albert » 20 mars 2013, 18:25:24

pierre30 a écrit :http://lecercle.lesechos.fr/economie-so ... velle-solu

LE CERCLE. Une banque centrale qui distribue de l’argent "gratuitement" aux citoyens d’un État dans le but de relancer la demande, c’est possible ? Et bien en théorie oui, et c’est cela qui est évoqué par certains économistes à travers l’expression "helicopter money"
C’est marrant parce que j’écoutais l’autre jour dans l’émission "A voix nue" sur France Culture une rediffusion d’un entretien avec Jean-Marcel Jeanneney (mort il y a deux ans et demi, presque centenaire). Il a été ministre du général de Gaulle, puis s’est rallié en 1981 à François Mitterrand. Il avait appelé à voter pour Ségolène Royal en 2007.

Or Jeanneney, dans cet entretien, rappelait qu’il avait proposé en 1996, dans un bouquin intitulé "la France qui gronde" une mesure hétérodoxe : obtenir de la Banque de France la distribution à chaque Français d'une certaine somme d’argent pour doper la consommation. Jeanneney faisait valoir que cette mesure n’était pas interdite par Maastricht puisqu’en l’occurrence, il ne s’agissait pas de faire des avances à l’Etat ou aux organismes publics, mais des cadeaux aux particuliers. il rappelait aussi que lorsque Kohl voulait réévaluer l’encaisse de la Bundesbank, cela revenait également à créer de la monnaie ex-nihilo.

Il est certain que la situation était différente, puisqu’en 1996 la balance extérieure de la France était excédentaire, alors qu’elle est déficitaire aujourd’hui. Le point commun cependant, c’est qu’à l’époque déjà nous faisions face à une baisse de la demande intérieure.
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