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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
Pourquoi l’échec de
l’URSS ?
.Bien plus encore que les méfaits reprochés aux régimes de plan, c’est leur faiblesse
économique qui a porté un coup fatal au « Bloc de l’Est ». C’est certainement triste à dire,
mais un système survit davantage par ses succès économiques que par son innocence. Le
capitalisme a de très nombreux morts derrière lui (voir le site noir du capitalisme), mais il a
(apparemment) réalisé des « miracles » économiques. Si les USA avaient été une catastrophe
économique, on ne retiendrait de ce pays que le génocide amérindien et l’esclavage. La
prospérité des USA permet à beaucoup de dire que ces méfaits sont de l’histoire ancienne.
Aujourd’hui l’URSS, et ses satellites de Mongolie et d’Europe centrale, plus l’Albanie et la
Yougoslavie (même si le cas de cette dernière est assez particulier pour ce qui est des raisons
ethniques de son éclatement) ont disparu. Mais nous verrons dans une autre page pourquoi
elles ont disparu, car leur disparition ne me semble pas avoir été une issue inéluctable,
contrairement à ce que rabâchent les pro-capitalistes. En revanche, ce qui est incontestable,
malgré des succès comme l’effort de guerre contre l’Allemagne nazie, c’est la sousproductivité
des ex-économies planifiées de type soviétique.
Je n’ai jamais été dans une économie planifiée – mais ça ne saurait s’éterniser, étant donné
que j’envisage un voyage à Cuba-, aussi vais-je rédiger cette page comme la compilation des
interrogations que je me suis faites et des tentatives de réponses que j’ai pu donner sur ces
sujet. Toute contribution de quelqu’un ayant eu une expérience dans ces économies ou
pouvant fournir des sources ou d’autres commentaires est bienvenue.
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
Pourquoi les économies planifiées
furent-elles sous-productives ?
.Commençons par le constat :
Au meilleur de sa forme, dans les années 70, l’URSS avait un PIB (qu’elle exprimait par
le Produit Matériel Net, avec de nombreuses différences par rapport aux comptabilités
occidentales, d’où la difficulté d’estimer la production soviétique réelle) équivalent à 40% de
celui des USA. En raison d’investissements élevés, la consommation des soviétiques était elle
équivalente à un quart en valeur de celle des américains, ce qui ne signifie pas qu’ils
mourraient de faim mais consommaient nettement moins et de moins bonne qualité (à titre
d’exemple, le logement était souvent fourni par l’entreprise, ce qui n’était donc pas compté
dans le budget du foyer).
Les autres pays du CAEM ont eu des fortunes plus diverses. La RDA parvint jusqu’à la
moitié du revenu de sa voisine occidentale. Moins centralisées, plus tournées vers l’échange
avec le bloc occidental, la Tchécoslovaquie et la Hongrie avaient également un niveau de
consommation individuelle plus élevé que celui de l’URSS.
Un autre constat est le grand gaspillage de ressources, notamment dans l’agriculture,
mais aussi dans l’énergie, avec des consommations énergétiques doubles (cas de la RDA) ou
triples (cas de l’URSS) par rapport à ce qui était utilisé en Occident pour une même
production. Les résultats industriels des années 30 sont pourtant bons (les estimations
occidentales critiques parlent d’une progression de 200% sur la période 1928-1940 de la
production industrielle, soit bien moins que les comptes falsifiés de Tass, mais un score
honorable dans un monde en crise), mais ils constituent la période favorable d’une croissance
extensive, donc condamner à progresser de moins en moins vite.
.Démotivation ?
La réponse que j’obtenais lorsque je demandais la cause d’une telle sous-productivité
tient souvent en une idée : la démotivation. Les travailleurs des économies de plan étaient trop
peu motivés, paraît-il. Dans les faits, cette situation est inégale : en URSS, des millions de
travailleurs motivés côtoyaient des millions d’absentéistes. Et cela ne répond pas à la
question : la démotivation est-elle la cause de la sous-production, ou un symptôme d’un mal
plus profond ? A l’absence de quoi était due la démotivation? De la possibilité d’accroître son
salaire ? Pourtant les primes existaient, et la quantité de monnaie distribuée ne semble pas être
le principal problème : bien souvent, surtout dans des pays ayant connu une très forte inflation
comme la Pologne dans les années 80, les travailleurs ne manquaient pas de monnaie, mais
bien plus souvent de biens à acheter en échange de cette monnaie.
Les économistes spécialistes de l’URSS avaient plutôt repéré des montées
d’absentéisme, non pas reliées aux variations des salaires distribuées, mais aux situations de
pénuries ou d’abondance des biens. Lorsqu’ils avaient peu d’espoir de se fournir dans les
magasins d’état, les travailleurs préféraient davantage offrir leur labeur à l’économie parallèle.
Les économies de plan s’accommodaient de plusieurs « marchés » : le marché dit « rouge »,
c’est-à-dire la production légale de biens dans l’industrie d’état, distribuée à prix fixés dans
les magasins officiels ; à coté, se trouvait le « marché rose », c’est-à-dire les activités de
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
services légaux (la médecine entre autres), puis le marché « gris », c’est-à-dire les activités
privées tolérées par le pouvoir (petite industrie, production des lopins individuels, marchés
agricoles, etc.…) et le marché noir, qui, comme à l’habitude, regroupe les activités interdites.
+... Propriété et démotivation
En ressortant l’argument de la démotivation, les pro-capitalistes qui veulent expliquer la
sous-productivité soviétique sous-entendent que l’incapacité de pouvoir créer sa propre affaire
générait la démotivation générale. Marx avait déjà répondu à l’argument dès 1848 : selon les
anticommunistes du XIXème siècle, si la propriété privée des capitaux était supprimée, une
paresse générale s’installerait ; Marx avait rétorqué que dans un monde capitaliste où le
travail est exploité et la propriété non-productrice rémunérée, la paresse aurait déjà dû
terrasser la société. Aujourd’hui, c’est largement à Marx qu’il faut donner raison : 91% des
actifs français sont des salariés en 2005, ce qui signifie qu’ils ne sont pas propriétaires de leur
commerce ; et pourtant il n’y a pas de démotivation générale en France.
Les libéraux vont alors sortir que les éléments fondamentaux de la motivation sont les primes,
l’intéressement mais surtout la crainte du chômage.
.On peut répondre à cela en utilisant un autre argument : dans une économie
planifiée, il n’y a pas de propriétaire rémunéré pour son capital, qui peut s’enrichir au dépens
du travail des autres (il y a bien les nomenklaturistes, mais c’est un enrichissement par
l’autorité, pas par la propriété) ; autrement dit, l’immense majorité des actifs sont du côté des
travailleurs ne vivant que de leur labeur et doivent raisonner ainsi. Un exercice basique de
rationalité collective (c’est-à-dire une rationalité où l’on recherche son intérêt individuel en se
demandant comment va se comporter la collectivité) mène à considérer qu’un travailleur n’a
jamais intérêt, même pour son profit égoïste, à cesser de travailler. L’ouvrier qui ne
travaillerait pas à l’usine est le même que le consommateur qui ne trouve rien dans les
magasins. Ne pas produire, c’est se punir soi-même dans la majorité des cas ; les parasites ne
peuvent être qu’une minorité, sinon la production baisse et ils souffrent de leur propre
inactivité. Supposer un peuple paressant au travail et se plaignant de ne rien avoir à
consommer revient à supposer un peuple de fous schizophrènes.
Inégalités faibles et désincitation au
travail: un lien logique?
Autre argument : la faiblesse des inégalités sociales tue l’esprit d’initiative ; puisqu’on ne
peut plus dépasser son voisin en termes de revenu, pourquoi se démener ? Sauf que le but
pour la plupart des individus n’est pas forcément d’être plus riche que le voisin, mais d’être
moins pauvres que ce qu’ils étaient eux-mêmes auparavant. Dans une société où la
distribution des revenus était nettement plus égalitaire que dans les pays capitalistes, et où la
possibilité pour un individu d’accroître sa part personnelle du produit collectif est limitée, la
rationalité devrait au contraire le pousser à produire le plus possible et à stimuler l’activité du
groupe (en dénonçant les entraves à la production et les parasites par exemple), la raison étant
que si on ne peut accroître sa part du gâteau, la seule solution pour s’enrichir est donc
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
d’accroître le gâteau lui-même ; rationnellement, la faiblesse des inégalités devrait au
contraire jouer un rôle positif dans la motivation des individus, plus que dans une société
inégalitaire où la possibilité de dépasser du voisin n’incite pas forcément à produire plus, mais
à prendre la place des autres : s’il tombe, je monte, je m’enrichis mais pas forcément le
groupe.
Les causes réelles qui déterminaient la démotivation en URSS semblent donc résider
dans autre chose que la rareté de la propriété privée ou des inégalités. Comme nous l’avons dit
plus haut, les pénuries désincitaient à travailler dans le circuit légal ; cependant, on peut
toujours se demander pourquoi les travailleurs n’intervenaient pas dans le circuit de
distribution afin, sinon de régler les pénuries qui les frappaient, du moins constater et
dénoncer les blocages qui les causaient ? Parce qu’on n’était pas en démocratie tout
simplement, d’où le fait qu’il était plus facile de manifester son mécontentement par le
recours à l’économie parallèle que par la critique (même positive, c’est-à-dire dans le but
d’améliorer et non de supprimer le système) du Plan. Pour revenir à la démotivation, l’URSS
comptait à la fin des années quatre-vingt des millions d’employés en sureffectifs dans les
administrations, et quarante millions de personnes employées directement ou indirectement
dans le secteur de la défense : en quoi l’un de ces salariés allait-il être motivé à produire plus,
si son salaire est fixe, et si c’était pour produire davantage d’armes ou de « services
administratifs » ? Le raisonnement élaboré plus haut comme quoi les travailleurs n’ont pas
intérêt à léser les consommateurs qu’ils sont aussi ne tient plus lorsque le pouvoir répartit le
travail sans avoir à tenir compte des besoins de ces mêmes consommateurs.
.Des pénuries auto-entretenues
La contrainte douce
L’économiste hongrois Janos Kornai avait établi le concept de « contrainte douce »,
c’est-à-dire le laxisme de l’Etat vis-à-vis de ses entreprises. Les économies planifiées
réussissaient à accumuler des défauts paradoxaux : à la fois des rigidités dans l’allocation des
ressources et des ordres, et en même temps le laxisme quant aux contraintes imputées aux
entreprises. Dans une économie planifiée, l’Etat cherche à imposer des objectifs aux
entreprises, tout en leur allouant des ressources ; les prix étant fixés par l’Etat ainsi qu’une
grande partie des commandes, les entreprises ont donc pour intérêt : d’accroître les ressources
qui leurs sont allouées (subventions, prêts à taux très bas – voir négatif de fait), et diminuer
leurs objectifs. Ces comportements s’observaient déjà dans les premières économies de
guerre, comme l’économie de plan allemande de la Première Guerre Mondiale, dont
s’inspirèrent les bolcheviks dans les années vingt. La planification repose sur deux types de
relations d’autorité : les autorités économiques, ceux qui relient les entreprises aux ministères
de production, et les réseaux du Parti, les directeurs d’entreprises étant généralement membres
du Parti ; il y a donc possibilité pour ces mêmes directeurs d’utiliser leurs réseaux de relations
pour faire diminuer leurs objectifs. Les entreprises ne sont aussi pas contraintes, dans les faits,
de payer tout ou partie de leurs dettes ou de leurs frais; le fait de ne pas payer un fournisseur
peut aussi se répercuter chez le fournisseur qui accumule ses propres ardoises chez ses
fournisseurs. La situation de cessation de paiement de certaines entreprises amène celles-ci à
faire pression sur l’Etat pour l’accroissement de la masse monétaire. Les entreprises n’ont
donc pas de contrainte les obligeant à exploiter au mieux leurs ressources.
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
+...
La dictature laxiste
Mais l’on peut se ramener également au raisonnement élaboré plus haut : étant
donné le niveau de pénuries et les conséquences qu’elles entraînent, la réaction à ces pénuries
devrait venir des travailleurs eux-mêmes, en particulier ceux des entreprises subissant les
coupures d’approvisionnement des autres entreprises. Mais les entreprises pas plus que l’Etat
n’ont un fonctionnement démocratique. Ainsi, une pression pourrait s’opposer à celle des
entreprises dans leur action par rapport à l’Etat pour les contraindre à une utilisation plus
rationnelle de leurs ressources ; mais celle-ci n’existe pas une fois de plus en raison du
caractère dictatorial de l’état dans son ensemble. Une dictature n’est pas nécessairement rigide
et parcimonieuse dans l’allocation de ses ressources ; elle peut au contraire recourir davantage
au paternalisme afin de consolider sa base sociale (la nomenklatura dirigeant les entreprises
peut de toute façon se fournir dans des magasins prioritaires), sans avoir à affronter les
conséquences de ce laxisme sur l’ensemble de l’économie, puisque le pouvoir ne risque pas
d’être renversé aux prochaines élections. A l’inverse, un gouvernement démocratique qui
souhait sa réélection, pas forcément immédiate mais dans un avenir proche peut être contraint
à une rigueur qui peut lui faire perdre un électorat dans le but d’en gagner un autre (celui des
consommateurs qui pourraient être libérés des pénuries).
Une conséquence et cause des pénurie :
l’internalisation excessive
Mais ce serait trop simple si cela s’arrêtait là. Les entreprises ne sont pas seulement
créatrices de gaspillages, mais aussi victimes de ceux-ci. Les difficultés à se fournir les
incitent donc à incorporer dans un même site de production des activités extérieures au métier
de base de l’entreprise, notamment dans l’industrie (généralement plus développée dans les
économies de Plan que les services). Par exemple, une entreprise industrielle de 12000
salariés n’en utilisera que 5000 pour son activité principale, et le reste pour produire les
accessoires qu’elle craint de ne pas trouver dans les réseaux légaux de distribution, quand le
marché noir s’y pourvoit pas. L’effet de cette internalisation excessive est de mobiliser des
millions de travailleurs dans des activités qui se retrouvent dans plusieurs entreprises
différentes, en contradiction avec le principe de division du travail, et donc une sousproductivité
auto-entretenue par une système quasi-schizophrène : la spécialisation des
activités permettrait d’accroître la production et de réduire le risque de pénurie ; en pensant
résoudre le problème des pénuries, les entreprises ne font que l’amplifier. Il faut bien sûr
mentionner l’effet de la planification : les transports industriels utilisent nettement plus le rail
que la route, en comparaison avec les pays occidentaux ; la distribution inter-entreprises est
aussi sous l’effet des décisions du Plan, avec les erreurs qui l’accompagnent (cf. infra).
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
Les erreurs du plan, autre cause
permanente des pénuries
Avant même les deux tares évoquées plus haut, une autre cause générale de pénurie et de
sous-productivité est la perte d’équipements du fait des erreurs répétées du Gosplan. Celles-ci
ont commencé dès le Premier plan quinquennal de 1928, ce qui pouvait à la limite se
comprendre par le fait qu’il s’agissait d’une des premières tentatives d’instaurer la
planification dans un pays aussi vaste que la Russie-URSS. L’autorité du Plan sur les
directions régionales de l’Etat est aussi lâche, ce qui amène des économistes comme J. Sapir à
considérer que l’URSS était moins planifiée au début des années 1930 que l’Allemagne
(Moshe Lewin considère que l’URSS n’a jamais su planifier). Ces pertes peuvent consister en
du matériel abandonné à son arrivée en URSS, ou envoyé dans la mauvaise entreprise, ou
endommagé, ou après de longs délais. Ces erreurs peuvent être contenues dans les premières
versions du Plan comme dans les modifications survenant en cours d’application (les
« zigzags » reprochés à Staline par Trotski). On pouvait, jusque dans les années 80, trouver du
matériel étranger de pointe et à très haut coût unitaire livré à des entreprises qui n’en avaient
pas besoin, et qui restèrent dans les cartons. Pour l’agriculture, le résultat était des pertes
colossales (parfois majoritaires dans la production, comme pour le lait, dixit Gorbatchev) dans
les transports, l’entreposage, sur les champs mêmes. Pour se prémunir contre ces pénuries,
outre l’internalisation excessive évoquée plus haut, les entreprises pouvaient avoir recours au
troc, à la fraude sur les résultats, mais tout ceci ne pouvait avoir qu’un effet limité: encore
fallait-il pouvoir avoir accès aux transports pour renvoyer les équipements inutiles, les
échanger contre d’autres dont une autre entreprise n’aurait que faire… peut-être aurait-il pu
exister un marché des rebuts, où les entreprises auraient pu re-répartir ce qui avait été mal
distribué par le Plan. Mais encore aurait-il fallu qu’il soit toléré.
La concurrence au sein de la
bureaucratie
Marcel Drach décrit (La crise dans les pays de l’Est, Repères), un « jeu à trois joueurs »
entre le « Centre » (le gouvernement soviétique, les ministères de production), les vendeurs
(les entreprises), et les utilisateurs (particuliers, Armée, entreprises) dans lequel ce sont les
vendeurs qui sont toujours en position de force, les demandeurs étant contraint d’acheter ou
de ne rien avoir (un seul demandeur est en position de force: l’Armée). La planification
soviétique a aussi engendré de nombreux ministères de production, qui souvent se partagent
les tâches au lieu de se spécialiser. Dans ces ministères, les directeurs industries, qui sont
aussi membres du Parti, font pression pour avoir le plus de crédits pour investir (le principe de
l’économie mobilisée dont parle Jacques Sapir est, pour les entrepreneurs, de recevoir le plus
de fournitures et les objectifs les plus bas). On en arrive ainsi à des crises à quatre temps, par
le biais d’une concurrence entre les « clans » qui se forment au sein de la bureaucratie
soviétique:
-d’abord, quand la situation économique est stable, le Centre décide de nouveaux
investissements; sous la pression des différentes branches d’industries, il multiplie les projets
et chantiers, souvent irréalisables en fait;
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
-ensuite on s’aperçoit que trop de chantiers ont été ouverts, des équipements
manquent, les délais de construction prévus initialement sont largement dépassés, on en
réquisitionne dans le secteur productif pour tenter de finir des projets qui eux ne produisent
encore rien: on est dans une situation de crise (un peu comme la grande crise qu’a connu la
Pologne en 1980-1982, avec en plus un ralentissement brutal des importations);
-troisième étape: le Centre décide de stopper une série de projets définitivement
irréalisables, qui restent à l’état de ruines, et de finir ce qui peut être fait. Les pénuries
diminuent dans le secteur productif: retour à une situation économique « normale »;
-après l’accalmie, on décide de relancer de nouveaux investissements: retour à la
case départ, et re-belote…
Ces fléaux semblent, selon Drach, accuser l’économie planifiée centralisée en son coeur;
mais moi j’y vois plutôt l’effet direct d’une oligarchie politique pour qui les projets de
constructions sont avant tout une manière de consolider son pouvoir au mépris de leur intérêts
pour les travailleurs/ consommateurs!
.Conclusions provisoires
Ces erreurs à répétition du Plan ne se règlent pas avec le temps car les techniques
évoluent, ce qui fait que les planificateurs ont toujours un train de retard pour ajuster leur
directives même s’ils sont informés de leurs erreurs. Les thuriféraires du marché y ont vu là la
condamnation définitive de l’économie planifiée. Je trouverai autre chose à leur répondre: si
tant de comportements aberrants ont pu être cumulés par la planification sur près de soixante
ans, frappant en priorité la population consommatrice, pourquoi celle-ci n’a-t-elle pas protesté
contre ce dont elle était la principale victime? Pourquoi n’a-t-elle pas changé de dirigeants?
Réponse simple: par ce qu’il s’agissait de dictatures! On commence à toucher ce qui me
semble être une cause majeure de la sous-performance des économies de plan : le fait que ces
pays aient été des dictatures.
Une dictature inévitable?
Nous avons vu dans l’Anti-site noir du communisme que l’instauration de la dictature
répondait à bien d’autres causes que la collectivisation et la planification. Les
anticommunistes peuvent bien répéter que « tous les pays collectivistes ont été des
dictatures », cela ne démontre en strictement rien que la collectivisation et la planification de
l’économie causent ces dictatures, puisque la dictature est toujours intervenue avant la
planification, dans tous les pays se réclamant du communisme. Les anticommunistes ont lancé
l’argument comme quoi les pénuries dues à la planification obligeait le pouvoir à instaurer la
terreur pour contenir la populace, ce qui prend les faits à rebours : c’est parce qu’il y a
dictature qu’il y a pénurie et non l’inverse. Parce qu’il y a dictature, le Plan peut orienter
l’économie dans des sens tout à fait opposés à la satisfaction des besoins de consommation et
accumuler les gaspillages sans subir trop de critique. La population soviétique n’était pourtant
pas plus encline que d’autre à tolérer que ses gouvernants la maintiennent dans la pauvreté: au
début de la guerre civile russe, dans le Nord de la Russie, on fusilla des soviets lorsqu’il
manquait de pain; dans les années cinquante et soixante, la propagande pouvait maintenir la
fidélité d’une majorité d’habitants dans un système qui connaissait effectivement la
croissance, mais cette confiance s’est évanouie dans les années soixante-dix.
Il est de toute façon inutile et absurde de concevoir des plans qui auraient pu sauver
une URSS morte depuis 14 ans. Mais cela n’empêche pas de penser que le système des
soviets, responsables devant leurs électeurs, qui pouvaient être aussi responsables de
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
l’approvisionnement, aurait pu, s’il avait réellement existé, constituer une correction à la
planification. Un état de droit, avec une législation contre le gaspillage de biens publics et les
fautes professionnelles à tout niveau pouvant engendrer la pénurie aurait pu y concourir, hors
cela est impossible dans une dictature. Dans un pays où l’état et l’économie ne font qu’un, le
fait que l’état ne soit pas responsable devant sa population mènera à une économie du même
type. Ce raisonnement pouvait difficilement émaner d’un capitaliste, pour qui l’état et
l’économie sont deux choses différentes (et effectivement, la dictature ou la démocratie sont
globalement indifférentes à l’économie de marché, qui peut prospérer dans l’un ou l’autre des
deux régimes).
.L’échec économique (nous ne parlons pas encore de la destruction du système) de
l’URSS s’explique en bonne partie par l’absence de démocratie, qui est elle-même due aux
guerres qui ont provoqué la Révolution et qu’elle a dû traverser pour survivre. Doit-on en
conclure que, « contrainte à la dictature », en sachant que celle-ci provoquerait l’inefficacité
économique, l’URSS n’aurait « pas eu de bol »? Pas vraiment; elle aurait pu faire son
ouverture démocratique, ne serait qu’après la Seconde Guerre Mondiale, et l’acquisition de
l’arme nucléaire. Mais même après la mort de Staline, ses successeurs, ayant tous participé au
régime de ce dernier, pouvaient difficilement rétablir une démocratie qui les aurait
directement mis en cause. De plus, heureuse d’avoir échappé aux purges staliniennes, la
génération au pouvoir à la mort de Staline se partagera le pouvoir jusqu’à sa mort biologique,
dans les années 80, soit probablement trop tard pour empêcher les ennemis du système de le
détruire.
Ce schéma résume la brève analyse de l’histoire de l’URSS:
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
Pourquoi les économies planifiées ontelle
disparu en 1989-1991?
.Entre 1989 et 1991, tous les états européens qui se sont réclamés du communisme ont
soit éclaté, soit changé brutalement de système économique, dans le cadre d’une récession
sans précédent de leur production économique, déjà peu satisfaisante avant 1989. Les états
d’Europe centrale et orientale ont vu leur produit national chuter de 20% au moins jusqu’à
50-60% dans le cas de la Russie, l’Ukraine et l’Albanie.
Pour les anticommunistes, c’est là le « jugement de l’Histoire » : en plus d’avoir
massacré des dizaines de millions de gens, les régimes « communistes » auraient abouti à la
ruine de leurs pays.
Mais quelques questions quand même : pourquoi et comment cela s’est-il produit ?
Comment des économies dites « utopiques », mais qui ont tout de même existé pendant quatre
décennies en Europe centrale (et six en URSS, en enlevant les années vingt où la planification
n’était pas encore lancée), et qui ont connu une certaine croissance –même si déclinante,
extensive et non intensive, et gonflée par le truquage statistique- ont pu, en l’espace de trois à
quatre ans, s’effondrer aussi radicalement ?
D’abord regardons les chiffres des revenus nationaux dans les pays du bloc de l’Est.
Ceux-ci sont issus des Nations-Unies (
www.un.org), mais on en trouve de légèrement
différents si l’on prend d’autres sources (la Banque mondiale par exemple), mais qui
n’infirment pas les tendances générales. Je donne d’abord les évolutions des revenus
nationaux de 1980 à 1994, puis les évolutions des populations, puis enfin l’évolution du
revenu par habitant qui s’en déduit.
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
Évolution du PIB par habitant, base 100 en 1980
Albanie Bulgarie Hongrie Pologne Roumanie Slovaquie
République
Tchèque
URSS Yougoslavie
1980 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00 100,00
1981 103,62 104,65 102,92 89,15 99,51 99,41 99,96 102,53 100,66
1982 104,61 108,67 105,98 84,06 102,90 98,91 100,08 105,53 100,50
1983 103,74 111,60 107,02 87,94 108,63 100,54 102,39 108,82 98,49
1984 100,29 116,54 110,29 92,06 114,36 103,47 106,03 111,64 99,34
1985 99,80 118,67 110,39 94,65 113,50 107,13 106,72 112,50 99,68
1986 102,74 125,25 112,53 97,99 115,28 110,97 108,98 113,76 103,03
1987 99,20 131,68 117,69 99,41 115,31 113,23 109,65 113,76 104,21
1988 95,40 135,62 118,11 103,01 113,79 114,89 111,95 117,20 101,63
1989 102,79 135,90 119,41 102,81 106,58 115,66 116,97 119,27 102,61
1990 91,58 124,54 115,58 90,65 100,49 112,29 115,53 - -
1991 65,92 112,61 102,01 84,02 87,66 95,59 102,08 - -
1992 61,67 105,44 98,92 86,03 80,25 88,88 101,49 - -
1993 68,51 104,96 98,34 88,99 81,91 90,18 101,52 - -
1994 75,30 107,96 101,20 93,51 85,62 95,40 103,71 - -
Taux
de
croiss
ance
annuel
moyen
1981-
1989
0,31 3,47 1,99 0,31 0,71 1,63 1,76 1,98 0,29
Source: ONU Statistical Database
.Le premier tableau comme le troisième font clairement apparaître que jusqu’en 1989,
année à la fin de laquelle chutèrent les régimes de RDA, Pologne, Hongrie et
Tchécoslovaquie, les économies planifiées connaissent malgré tout une croissance faible,
tendant à la stagnation, mais en dehors de la Pologne en 1981-1982, pas de périodes
d’effondrement. Seule la Roumanie est déjà en récession importante en 1989, mais ceci est lié
aux décisions de son régime, et notamment le recul massif des investissements dans ce pays à
la fin des années 80. Les années cinquante et soixante avaient été des périodes de fort
accroissement de la production nationale, surtout en URSS ; puis la rupture se fait surtout
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
sentir à partir des années 70, avec le déclin indubitable de la productivité marginale des
facteurs que sont le capital et le travail. C’est-à-dire que chaque nouveau travailleur adjoint à
la population occupée ou chaque investissement supplémentaire, pour une même somme,
rapporte de moins en moins.
+...
Lire les statistiques soviétiques, ou
marcher sur des oeufs...
Encore faut-il s’entendre sur les statistiques. Celles-ci restent toujours sujettes à
caution, car dans les économies planifiées les indicateurs ne prennent pas en compte les même
éléments qu’à l’Ouest (par exemple les économies planifiées ne prennent pas en compte les
services dans la publication de leur Produit matériel Net), et les chiffres déclarés par les
entreprises sont toujours susceptibles d’être gonflés pour coller aux objectifs (mais tous les
biais des statistiques ne sont pas forcément à la hausse, puisque les statistiques officielles ne
peuvent prendre en compte l’économie clandestine, elle aussi importante). Ainsi, le
gouvernement américain et ses services (dont la CIA) réalisaient couramment leurs
estimations des performances de l’économie soviétique, en en donnant des estimations bien
plus sombres : ainsi, une étude du Directory of Intelligence de 1986 affirmait que la
productivité des facteurs de production (et ici il s’agissait de productivité totale, pas
marginale) aurait baissé de 1970 à 1985. Ceci dit ces reconstitutions ne doivent pas être
considérées comme la vérité surgissant face aux mensonges des services statistiques du Bloc
de l’Est, et elles n’ont pas fait l’unanimité : les chiffres que je donne sont tirés des Nations
Unies, et donnent une légère croissance annuelle du produit par habitant, comprise entre 0 et
2% pour la plupart des états d’Europe centrale et orientale.
Le constat sur lequel on peut s’accorder est donc : les économies de plan en Europe
(en y rajoutant la Yougoslavie, économie non planifiée) ont durant les années 80 connu soit la
stagnation, soit une croissance faible, mais elles ne s’effondraient pas.
La question que l’on peut se poser, du moins pour ceux qui comme moi ne sont pas assez
vieux pour garder le souvenir des années 1989-1991, est : comment est-on arrivé à passer de
cette stagnation à la chute brutale que l’on peut constater sur les chiffres des années 1990-
1994 (et même au-delà pour certains états) ?
.Les réformes
Le déclin des performances économiques avait déjà engendré une prise de conscience
au sein des partis au pouvoir dans le bloc de l’Est, qui dans plusieurs cas ont tenté des
réformes visant le plus souvent à accroître l’autonomie des entreprises au sein du Plan, mais
sans jamais chercher à revenir sur l’absence de démocratie. On pourrait croire que je fais là un
hors sujet, mais il me semble évident (voir la page sur la sous-productivité des économies
planifiées) que l’incapacité de l’électorat à se plaindre de ses conditions d’existences, à
discuter le plan, était pour beaucoup dans les contre-performances économiques et
écologiques.
12
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
Le « modèle hongrois »
Le cas de « réforme » le plus poussé fut la Hongrie : après les évènements de 1956, le pouvoir
tente d’introduire des éléments de marché dans la planification, en laissant une plus grande
marge de choix aux entreprises pour choisir leurs fournisseurs et clients, en pouvant exporter
d’elles-mêmes, alors que le commerce extérieur est monopole d’état dans presque toutes les
économies planifiées. Mais le « Centre » conservait la fixation plus ou moins rigide des prix,
des salaires, des profits…La version hongroise du « socialisme » a laissé a priori de meilleurs
résultats que dans les autres économies de plan en Europe Centrale ; mais le Plan, qui a gardé
l’allocation des ressources et guère diminué son pouvoir malgré les mesures de
décentralisation, continue de multiplier les erreurs dans la distribution des capitaux.
.La Perestroïka...
L’URSS avait connu plusieurs plans de réforme avant l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev. La
réforme de 1957, sous Khrouchtchev, tendait à remplacer les ministères de branche qui étaient
censés contrôler la production d’un secteur par des groupes régionaux, les sovnarkhozes, sur
lesquels le pouvoir brejnévien est revenu ensuite. Vint en 1965 la réforme inspirée par
Libermann visant à restaurer la profitabilité des entreprises, à renforcer le système d’incitation
à la production et à la vente, et à utiliser la fiscalité pour que les entreprises économisent leur
équipement. Jusqu’à 1985, se sont succédé les mesures incitatives, de pénalité en cas de non
respect des objectifs, de réduction du pouvoir des ministères, le recul de la bureaucratie étant
l’entreprise la plus vaine.
Le programme lancé par Gorbatchev à partir de 1985 –et qui selon certains, n’était qu’un
plan décidé par ses prédécesseurs pour conserver le « communisme »- visait à la fois à réduire
les gaspillages béants –en hommes, en biens, en énergie- cumulés par l’économie soviétique,
à ré-autonomiser les entreprises, tout en relançant l’économie par l’investissement pour
atteindre une véritable croissance intensive (au passage, relancer une économie planifiée par
la consommation est sans intérêt, vu que les particuliers ne manquent quasiment jamais des
liquidités que le gouvernement émet à tour de bras en même temps qu’il fixe les prix ; c’est la
capacité de l’offre qui pose le plus souvent problème). Au sein de la « première phase » du
plan, s’associaient des mesures de discipline (dont le plan anti-alcoolique, qui retarda des
centaines de milliers de décès, fut partie intégrante, dans le but de limiter l’absentéisme au
travail), des mesures de contrôle de la qualité et d’économies d’énergie, ainsi que les éléments
clés de la Perestroïka, la remise de la recherche de partenaires et de la décision d’investir entre
les mains des directeurs d’entreprise eux-mêmes, alors que normalement le Centre finançait
les investissements et réglait les échanges entre entreprises comme autant d’ordres d’achats et
de ventes. A côté de cela, pour augmenter les capacités en offre et épaissir le « tissu
économique » de l’URSS, le plan prévoyait aussi de légaliser plus largement les petites
activités privées, coopératives de préférence, dans le domaine agricole notamment, en
s’inspirant de l’exemple chinois – alors qu’en URSS la population agricole, à 15-20% des
effectifs de la population active nationale, bien que toujours plus importante qu’en Occident,
était nettement plus réduite qu’en Chine, et l’agriculture soviétique tout de même plus
mécanisée ; une limite considérable au développement d’une agriculture privée (hors des
lopins qui produisaient du quart à la moitié de la récolte nationale, selon le produit) fut
justement que les fournitures agricoles d’origine industrielle restaient délivrées selon le bon
vouloir du secteur planifié.
13
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
+...
...et ses incohérences
On pouvait déjà se poser la question de l’incohérence –qui n’est pas passée inaperçue
à l’époque- entre la volonté de reconstruction (Perestroïka), c’est-à-dire l’adaptation d’un
nouveau système, et en même temps son accélération (Uskurenie). En effet, dans un pays qui,
à cause de son fonctionnement non démocratique et de la relative impunité de ses décideurs
économiques et politiques, à plusieurs niveaux, voit l’efficacité de ses investissements
diminuer d’année en année, pourquoi vouloir relancer ceux-ci avant même d’avoir modifié le
système en place ?
.La seconde phase de la Perestroïka devait couvrir les années 1988-1990, en renforçant
les axes de la première phase (autonomie financière et décisionnelle des entreprises,
investissements massifs surtout vers la recherche…). L’URSS apparaît comme un état où
personne n’était responsable de rien tant le partage des tâches par le Plan cantonnait les
individus à un rôle donné, et où l’initiative était soit interdite soit inutile tant qu’on était seul.
C’est peut-être une caricature, mais c’est cependant le comportement-type vers que les
directeurs d’entreprises ont appliqué, utilisant leur appartenance au Parti et leurs liens
politiques pour reconvertir les échanges prévus par le Plan en ordres, et ainsi récupérer la
stabilité de leur clientèle. A l’impératif d’autofinancer leurs investissements, ils répondirent
par l’arrêt de ceux-ci.
Car en même temps le gouvernement Gorbatchev tente de réformer les prix, vers un système
semi-guidé comme dans le dispositif hongrois ; en réalité, si certains prix augmentent, les
salaires suivent, diminuant les marges des entreprises ; le tout suscite une création monétaire
de plus en plus vive, car c’est le seul moyen dont dispose le gouvernement soviétique pour
financer ses déficits budgétaires-et ils vont croissants, avec notamment la hausse des dépenses
militaires face aux USA et pour la guerre en Afghanistan, avec une Armée Rouge absorbant le
quart de la production du pays.
La « reconstruction » aboutit donc à un système de moins en moins organisé, les directeurs
d’entreprise n’étant pas des entrepreneurs et ne réagissant pas comme tels, dans le cadre d’une
inflation montante (réprimée dans une économie à prix fixés), l’impossible recul du pouvoir
administratif, la baisse des investissements –comme dans les états d’Europe Centrale qui
s’étaient eux aussi prêtés à un nouveau cycle investissement-désinvestissement.
L’échec de la Perestroïka va de pair avec la relâche de la pression soviétique sur ses satellites.
Ceux-ci, tout en suivant le même alignement vers la stagnation que l’URSS, vont être plus
susceptibles à un changement de régime.
14
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
.La dette
Les états du bloc de l’Est avaient également, dès le début des années 70, décidé le recours
massif aux importations de biens d’équipements occidentaux, dans le but de développer leur
propre production en important des biens d’équipement et de créer une concurrence sur les
biens de consommation afin de stimuler la qualité de leurs propres productions. Ces imports
ont surtout eu pour effet d’accroître la dette de ces états :
Endettement brut et net des pays de l'Est en devises (en milliards de dollars) (1971-1987)
1971 1975 1979 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987
Bulgarie brut 0,7 2,6 4,4 3,2 2,9 2,4 2,1 3,6 4,9 5,4
net 0,7 2,3 3,7 2,4 1,9 1,2 0,7 1,5 3,5 3,8
Tchécoslovaquie brut 0,5 1,1 4,1 4,1 3,7 3,5 3,1 3,4 4 4,4
net 0,2 0,8 3,1 3 3 2,6 2,1 2,4 2,7 3,1
RDA brut 1,4 5,2 10,9 14,2 12,6 12,1 11,6 13,8 16,1 17,1
net 1,2 3,5 8,9 12 10,7 8,7 7,1 7,3 8,7 9,2
Hongrie brut 1,1 3,1 8,5 8,7 7,7 8,3 8,8 11,8 15,1 16,5
net 0,8 2,2 7,3 7,8 7 6,9 7,3 9,5 12,9 14,8
Pologne brut 1,1 8 22,7 26,2 26,2 26,4 26,8 29,3 33,5 34,8
net 0,8 7,4 21,5 25,4 25,2 25,2 25,3 27,7 31,8 32,5
Roumanie brut 1,2 2,9 7 10,2 9,8 8,9 7,2 6,6 6,4 6,1
net 1,2 2,4 6,7 9,9 9,5 8,4 6,6 6,3 5,8 5,2
Europe orientale brut 6 22,9 57,6 66,6 62,9 61,6 59,6 68,5 80 84,3
net 4,9 18,6 51,2 60,5 57,3 53 49,1 54,7 65,4 68,6
URSS brut 1,8 10,6 18 29 28,4 26,9 25,6 32 37,5 37,5
net 0,6 7,5 9,3 20,5 18,4 16 14,2 18,9 22,6 24,8
Source: Nations-Unies, 1988
15
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
.On note dans ce tableau que : 1) les pays d’Europe Centrale étaient, par rapport à leur
poids démographique, nettement plus endettés que l’URSS elle-même ; trois états, la Pologne,
la Hongrie et la RDA, réalisaient en 1987 68,6 milliards de dollars d’endettement brut et 56,5
milliards en net, et représentaient à cette année 56,2% de l’endettement brut des économies
planifiées européennes, et 60,5% du net, alors que ces trois pays ne représentaient que 16,4%
des états du bloc soviétique européen (donc hors Yougoslavie et Albanie) en 1987. 2) Entre
1981 et 1984, les états du bloc soviétique ont bel et bien réduit leur endettement, même si le
rapport entre leur dettes et leurs exportations était très élevé. Les années 86-87 verront repartir
les emprunts envers l’Ouest, mais surtout du fait, là encore, des trois (Pologne-Hongrie-RDA)
et de l’URSS, qui garde une dette relativement faible par rapport aux autres pays du bloc, eût
égard à sa taille.
+...
Le bloc de l’Est a-t-il gagné à s’endetter?
Ceci doit être rappelé pour répondre à l’affirmation comme quoi le bloc de l’Est
« vivait au dépens de l’Occident » et qu’il pratiquait une pression à l’armement (« les fusées
sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest » disait Mitterrand). Certes la dette a globalement et
largement enflé, mais, faut-il le rappeler, surtout du fait de quelques états qui sont allés plus
vite que les autres, et qui n’en ont pas forcément profité. Ainsi la Pologne, qui avait accumulé
26,2 milliards de dollars de dettes brutes en 1981, année où elle subit une récession historique
de 12%, suivie d’une autre de 5% en 1982. On peut se demander si la situation du pays aurait
vraiment été pire s’il n’avait pas emprunté ou beaucoup moins, car il est évident que les
emprunts des années soixante-dix n’ont pas permis une croissance viable. L’évolution de la
dette soviétique montre qu’à partir de 1985, la Perestroïka fut avaleuse de crédits occidentaux,
en plus d’être inefficace. Quant à la RDA, sa dette nette en 1987 était de 9,2 milliards de
dollars, soit 7,9 milliards de moins que sa dette brute, ce qui signifie que, en déduisant ses
créances envers d’autres états, elle n’utilisait pas autant d’emprunts pour elle-même que la
Hongrie et la Pologne.
Quant au « poids » de ces emprunts pour l’Occident, il faut préciser à ce sujet
qu’entre 1970 et 1986, les pays occidentaux ont cumulé un excédent commercial de 30,6
milliards de dollars avec l’URSS et surtout l’Europe orientale (source : Nations Unies, 1987),
soit le quart des dettes brutes et le tiers des dettes nettes du bloc soviétique européen. Donc
une partie de ce que l’Occident à prêté audit bloc lui est directement retourné par les
échanges, et le reste a eu une efficacité assez contestable pour faire «vivre » les économies
planifiées.
16
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
.La destruction des économies planifiées
Les évènements de 1989-1991
La Pologne est un des pays déclencheurs de la chute du bloc soviétique. Sa politique
d’importations inefficaces l’avait contraint à l’endettement massif évoqué plus haut, et du fait
de la sous-productivité de son économie, se retrouvait avec une surdemande permanente par
rapport à une offre atrophiée. Le régime du POUP (Parti Ouvrier Unifié Polonais), après avoir
tenté plusieurs fois de réduire le pouvoir d’achat nominal en augmentant les prix ou réduisant
les salaires, avait dû reculer face à des grèves ouvrières (entre autres, Gdansk en 1970 et
1980). La Pologne se retrouve en surliquidité permanente, d’où une inflation qui flirte avec
les 1000% à la fin des années 80, et une série de dévaluation durant la décennie, qui
n’améliorent par sa situation extérieure. Il ne sera pas question de retracer l’épopée de
Solidarnosc, mais au final le POUP décide lui-même de sa remise en cause : après un
référendum en novembre 1987 ou les deux tiers des votants se prononcent pour les « réformes
économiques » et la démocratisation, la poursuite des grèves, la stagnation économique (et
une légère récession en 1989) et l’inflation galopante mènent le Parti à organiser des tables
ronde en avril 1989, qui aboutissent, devant l’échec reconnu par le pouvoir de la politique des
prix et salaires, à la nomination du premier gouvernement dirigé par un non-communiste
(Note de l’Auteur : à supposer qu’on ait pu parler de communisme avant…) en août. Le
Parlement (Diète) vote le passage à l’économie de marché en même temps qu’elle abolit
l’hégémonie du POUP le 29 décembre.
Pendant ce temps, le PC de Hongrie avait reconnu l’insurrection de 1956 et réhabilité
ses participants, ouvert le « Rideau de fer » (mai-juin 1989), accepte des élections partielles
qu’il perd (en juillet, août et septembre), et abandonne son rôle dirigeant en même temps qu’il
se convertit en Parti Socialiste en octobre. En mai 1990, le nouveau gouvernement de Joszef
Antall consacre la conversion à l’économie de marché.
Le PC tchécoslovaque fait aussi lui-même abolir son rôle dirigeant et les références de
la Constitution tchécoslovaque au marxisme-léninisme et file le pouvoir au Forum civique de
Vaclav Havel en décembre. L’événement le plus spectaculaire est la chute de la RDA, où
après les départs de plusieurs milliers de personnes en RFA par l’intermédiaire d’autres exdémocraties
populaires, et plusieurs centaines de milliers de manifestants à travers le pays,
l’ouverture du mur en novembre, le SED accepte de se démettre de son pouvoir en décembre.
Pendant ce même mois, éclate à Bucarest la révolution contre Ceausescu, qui après un
millier de morts laisse la place au Front de Salut National, composé pour sa majorité de
militaires et de membres du PC. En mai 1990, Ion Iliescu, le candidat du Conseil Provisoire
d’Unité National, constitué pour près de moitié par le FSN. En Bulgarie, c’est également le
PC qui se démet de son rôle dirigeant (et de son dirigeant tout court, Todor Jivkov, en
novembre 1989) puis gagne les élections en mai 1990, avant de les perdre en octobre 1991.
En Albanie, le pouvoir attend Décembre 1990 pour autoriser le multipartisme, et le Parti du
Travail (l’ancien parti d’Enver Hodja) gagne les législatives d’avril 1991. Les cas de la
Roumanie, de la Bulgarie et de l’Albanie sont intéressants car dans ces trois pays, l’ancien
parti « communiste » réussit à sauver la mise, quitte à changer de nom et partiellement sa
composition, et où le début des « réformes » est le plus tardif. Il est facile ensuite d’accuser
« les communistes » d’avoir « ruiné le pays » : les roumains héritaient d’une situation
catastrophique léguée par Ceausescu, où celui-ci avait stoppé les investissements pour ne pas
avoir à emprunter. Ne pas s’endetter n’était pas forcément une mauvaise idée vu l’efficacité
des investissements permis par l’endettement, mais contrairement à la Tchécoslovaquie elle
17
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
aussi peu endettée, la chute des investissements est beaucoup plus marquée et les pénuries
deviennent nettement plus grave en 1988-1989. Quant à la Bulgarie, sa dépendance vis-à-vis
des autres économies du CAEM a causé sa chute des 1990. Dans une économie planifiée, où
il n’y a pas de fournisseurs alternatifs quand l’un vous fait défaut, la propagation des crises à
travers les échanges peut être au moins aussi rapide que dans les économies de marché.
La chute économique
Dans les quatre premiers états d’Europe Centrale à avoir renversé leur régime, les
réformes économiques commencent au tout début de 1990. Le point principal d’un passage au
capitalisme (la privatisation de la majorité des entreprises) est long à mettre en place, et les
nouveaux gouvernements les justifient, outre par le besoins de rentrées financières pour
l’Etat, par la nécessité de réduire le pouvoir des bureaucrates et … des salariés, dont certains
refusent le nouvel état des choses. Il est à préciser que pour plaire à l’illusoire « capitalisme
populaire », on distribua, en ex-URSS comme en Europe Centrale, une petite partie des
capitaux des entreprises à privatiser aux salariés. Le résultat fut la revente de ces actions en
période de forte baisse du pouvoir d’achat, et exit la propriété des entreprises par leurs
salariés.
Le point le plus direct de la transition fut la « libération » des prix, effective à 85-90%
en Hongrie, Pologne et Tchécoslovaquie en 1990. Le résultat était prévisible dans des
économies où les marchés n’étaient pas équilibrés en terme d’offre et de demande, où ce
déséquilibre ne se reflétait pas dans les prix, et où l’offre ne pouvait encore se déplacer là où
les prix augmentait le plus : une inflation à deux chiffres voire trois pour la Pologne en
1990, ce qui était déjà le cas en 1989, mais cette fois-ci le gouvernement n’émet plus de
monnaie pour faire suivre les salaires et le pouvoir d’achat s’effondre. Le passage à
l’économie de marché va faire rapidement passer les entreprises d’une économie de pénurie
qu’est l’économie planifiée (plus de demande que d’offre) à une économie où se fournir
auprès d’autres entreprises pour produire plus n’est pas difficile, mais où trouver des clients
l’est de plus en plus. La Pologne comme la Tchécoslovaquie et la Hongrie perdent 20% de
leur PIB par habitant de 1989.
En ex-RDA, la monnaie est assimilée au mark de l’Ouest avec une parité garantie.
Cette mesure, qui signifie un important choc monétaire pour l’Allemagne réunifiée, va aussi
contribuer à un double-coup pour l’économie de l’ex-Allemagne de l’Est : elle perd à la fois
son marché extérieur avec la chute des économies du CAEM, et son marché intérieur car les
« Ossis » (ex-allemands de l’Est) peuvent désormais se fournir à l’Ouest, en produit de
meilleure qualité, avec un pouvoir d’achat artificiellement soutenu par la parité des deux
marks. Ce qui fait que l’ex-« meilleur élève » du bloc soviétique se retrouve avec l’une des
plus grosse récession économique des anciennes démocraties populaires, et les conséquences
qui s’en ressentent sur le chômage national, et les recettes fiscales censées payer les
infrastructures déjà défaillantes des « nouveaux Länder ». Cet effondrement est à prendre en
compte avant de parler du coût de la réunification pour l’Allemagne de l’Ouest.
18
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
+...
Parenthèse: l’économie de pénurie
Une économie de plan est naturellement une économie de pénurie, qu’elle soit
démocratique ou pas ; mais cette appellation d’ « économie de pénurie » n’est pas du tout une
critique. Elle signifie que les liquidités dont disposent les agents leur permettent toujours
d’absorber au moins toute la production, et que trouver des clients n’est jamais un réel
problème. La supériorité de la demande sur l’offre, qui, avec des prix fixés, se traduit par des
délais d’attente et non de l’inflation ouverte, ne signifie pas que l’offre n’augmente pas quand
même, et que le niveau de vie de la population ne progresse pas. Les entreprises peuvent
également fonctionner à perte dans une économie de Plan, le gouvernement épongeant ces
déficits avec la création monétaire. Puisque les prix sont fixés, et si l’écart demande-offre
n’est pas trop élevé pour dégénérer en marché noir détournant des ressources du secteur légal,
alors l’économie peut connaître une croissance régulière. Mais l’absence de discussion des
défaillances du Plan rendait quasiment impossible la réduction des gaspillages et l’adaptation
de l’offre à la demande dans les économies du Bloc de l’Est.
Le sort de l’URSS
Quant à l’URSS, au niveau économique, elle surmonte l’année 1990 avec une
récession qui n’atteint pas un niveau extraordinaire (de –2 à –4%), qui fait dire à La
Documentation française qu’en 1990 son économie ne s’est pas effondrée. Outre le recul de
certains secteurs clés comme le pétrole dont la production baisse en 1990, la récession se
comprend du fait de la récession grave qui touche les partenaires européens (les échanges
extérieurs de l’URSS avec ses alliés se contractent très vite en 1990). Mais surtout, l’URSS
est en proie au cours de cette année à une pleine décomposition politique. Les quinze
républiques proclament leur souveraineté cette année-là : le Kirghizstan (qui proclame sa
souveraineté le 2 Février), la Lettonie (indépendance votée le 15 février), la Lithuanie
(indépendance votée le 11 mars), l’Estonie (souveraineté proclamée en juin 1988, abolition de
la République socialiste le 5 mai 1990), la Géorgie (souveraineté le 20 juin 1990, après l’avoir
proclamée une première fois le 23 Novembre 1989), l’Ouzbékistan (souveraineté le 20 juin
aussi), la Moldavie (souveraineté proclamée le 23 juin), l’Ukraine (souveraineté proclamée le
16 juillet), le Turkménistan (ce pays proclame sa souveraineté le 22 août, mais dans le cadre
de l’URSS), l’Arménie (23 août), le Tadjikistan (le 24 août), le Kazakhstan (souveraineté y
compris sur ses ressources naturelles, le 26 août), ( l’Azerbaïdjan (souveraineté proclamée le
23 septembre). La Russie elle-même proclame la primauté des lois et Constitution russes sur
celles soviétiques le 8 juin. Pour les observateurs, la notion de « souveraineté » pose problème
car on ne sait pas si elle équivaut à une indépendance ; mais elle entraîne en tout cas la fin
d’une planification centralisée. Le dernier plan soviétique, le douzième, prend fin en 1990, et
il n’y en aura pas de treizième. Au même moment où la planche à billet tourne à plein pour
couvrir les déficits budgétaires de l’ère Gorbatchev, la production recule par rupture des
chaînes d’échange, les pénuries s’auto-entretiennent : les entreprises constituent des stocks de
plus en plus importants, pour garder des fournitures. Les magasins font de même, avec aussi
19
Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
l’espoir de profiter de la hausse des prix. Ces stocks accroissent plus encore les pénuries, et
ré-incitent au même comportement de stockage.
En 1991, malgré quelques tentatives de restauration de l’ordre soviétique (envoi
d’unités de l’Armée Rouge dans les pays Baltes pour lever des conscrits), le pouvoir central
s’effondre concrètement avec la tentative de « coup d’état » de Yannaev en août. Chacun
convient que l’URSS a cessé d’exister, même si cela ne sera reconnu que le 25 décembre.
Pendant ce temps, le pays, décapité, connaît une récession de 17% de sa production.
.Conclusions
En retraçant la chute des économies de plan en Europe, on peut d’abord constater que
cet « effondrement » est d’abord politique, et que la récession massive n’arrive qu’après le
début des « réformes » dans les quatre états d’Europe centrale (Pologne, Tchécoslovaquie,
RDA, Hongrie), et qu’elle fait effet et qu’il n’y a qu’en Roumanie et en Albanie que la
politique du pouvoir peut être créditée d’avoir fait chuter le produit national avant même la fin
du régime. En URSS, la destruction politique du pays intervient clairement avant
l’effondrement économique radical de 1991. Le cas de la Yougoslavie est encore plus
particulier, puisqu’en 1989 elle connaît une quasi stagnation, puis, juste après être confrontée
aux récessions de ses voisins orientaux, s’anéantit en guerres inter-ethniques.
Que les régimes « communistes » aient guidé leurs pays jusque dans des impasses où
c’était le maintien même du revenu par habitant qui se jouait, alors que le chemin était long
pour acquérir la productivité occidentale, c’est une chose. Mais que ces économies se seraient
« forcément effondrées » dans un scénario où les partis se seraient maintenus au pouvoir après
1989, c’est une hypothèse, sauf pour la Roumanie, que rien n’assure, même avec une dette
dont les états n’avaient souvent guère les moyens de payer les intérêts, et dont la stagnation
n’aurait pas forcément été pire pour la situation macroéconomique. Nul ne sait ce qui se serait
passé si il n’y avait pas eu de destitution politique du bloc de l’Est avant la ruine des
économies. Peut-être une diminution lente du revenu national en fin de compte, peut-être une
ouverture par zones économiques spéciales, ou des économies planifiées « aménagées », dans
le style de ce que connaissent Cuba ou le Belarus aujourd’hui.
Qu’on nous dise que ce passage par une période de récession dure était nécessaire pour
sortir d’une économie bloquée, ça peut se discuter. Mais au moins admet-on, pour la plupart
des ex-démocraties populaires, que cette chute faisait bien partie du plan de transition – et elle
fut annoncée avant même ladite transition, comme une étape « dure mais pas longue », en
Pologne par exemple-. Aussi faut-il combattre cette idée de « l’effondrement des économies
planifiées ». Les mots ont leur importance, et celui d’effondrement induit l’idée qu’on n’y
pouvait rien, que c’était là leur destinée fatale, et qu’au fond l’ancien régime en est
responsable. La concordance entre les réformes et la récession montre que les économies de
l’Est ne se sont pas effondrées, elles ont été détruites. Détruites, au sens où cette évolution
résultait de politiques conscientes et volontaires, qui ont leurs défenseurs pour leurs effets à
long terme (le redressement des économies d’Europe centrale à partir de 1993-1994), mais
dont on doit aussi admettre les effets à court terme.
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Pour le Communisme – VI. Les causes de l’échec de l’URSS
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Y avait-il moyen de faire autrement ?
Il ne servirait à rien, en 2006, de bâtir des plans qui auraient pu sauver une URSS morte
depuis quinze ans et où je n’ai jamais posé les pieds. Il n’en reste pas moins que, du point de
vue de certains habitants de cette Europe de l’Est « libérée », le cours des évènements n’était
pas le plus souhaitable. De cela témoignent les victoires des « socialistes » (c’est-à-dire le
plus souvent les membres des anciens PC représentés sous un autre nom) en Pologne, en
Bulgarie, les scores toujours élevés de la gauche de la gauche en ex-RDA (où le Linkspartei
faisait un quart des voix en 2005), ou la persistance du KSCM en République tchèque (20%
aux européennes de 2004), et du PC russe (qui atteignait 20% des voix jusqu’à son érosion en
Décembre 2003, due à d’autres concurrents de gauche). Certes, ces partis ne réclament pas
l’abolition de la propriété privée, ont parfois remplacé leur discours « communiste » par un
discours nationaliste, mais il ne faut pas croire non plus que la « nostalgie » de l’ancien
régime –ou plutôt de certains de ses aspects sociaux- se limite au vote pour ces formations. En
Russie, des sondages (qui doivent être pris avec précaution), ont donné à la fin des années 90
jusqu’à 50% de gens qui, à défaut d’être attachés à l’ex-URSS, considéraient que leur vie était
pire qu’il y a dix ou quinze ans.
Nous avions déjà souligné l’incohérence des plans de sauvetage de l’URSS
gorbatchévienne, entre relance des investissements avant même un changement du système. Il
reste cependant des économies planifiées dans le monde (Cuba et la Corée du Nord), il est
toujours temps de se demander comment on peut améliorer les économies de plan qui
souffrent des maux décrits dans la page précédente (internalisation excessive de la production,
gaspillage des ressources distribuées…) sans forcément tout détruire comme en Europe de
l’Est en 1990-1992. Les gorbatchéviens avaient au moins raison de pointer les gaspillages
massifs de leur industrie, à défaut de lutter contre.
Un pays occidental soucieux d’aider une économie planifiée bureaucratique à passer à
la croissance intensive pourrait proposer que le pays planifié mette une à une ses entreprises
industrielles sous tutelle d’une firme occidentale, qui se chargerait de démanteler les postes
redondants, de spécialiser l’entreprise sur son métier premier, de réaliser pour elle les
équipements nécessaires, en se chargeant de pourvoir aux fournitures que l’entreprise ne
produirait plus ; la firme occidentale prendrait en guise de rémunération une partie du revenu
ou de la production de l’entreprise une fois sa productivité accrue. La pollution aurait pu s’en
trouver nettement réduite. A condition de recourir à des modes de transports plus souples
(routiers par exemple), un marché de la revente des fournitures livrées à des entreprises qui
n’en avaient pas besoin, que ce soit à l’intérieur du pays où vers l’étranger –surtout lorsque
ces équipements inutilisés étaient importés- aurait pu être source d’économies.
Non pas que les soviétiques n’aient jamais pensé à laisser des firmes occidentales s’installer
chez eux, mais le nombre de joint-ventures reste en fait très faible au cours des années
soixante-dix et quatre-vingt, restant limités à quelques dizaines de créations par an en Europe
centrale en 1989, et de plusieurs centaines voire milliers en 1990 et 1991, c’est-à-dire
lorsqu’il était trop tard. Les régimes de l’Est ont préféré limiter le phénomène alors qu’il
aurait pu permettre à des entreprises de mieux réaliser leurs objectifs du Plan, plutôt que de
détruire celui-ci, et sans remettre définitivement en cause la propriété étatique (à défaut de
collective) des entreprises, les contrats avec les occidentaux n’étant pas éternels.